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Retour sur un désert amplifié

jeudi 18 novembre 2021, par Contribution

À propos de "Désert de la critique" de Renaud Garcia.

Plutôt qu’une nouvelle recension qui répéterait le très bon texte de Freddy Gomez (À contretemps), nous reprenons ici son analyse…

Qu’est-ce qui fait qu’un livre marque une époque ? Sans doute sa capacité à se saisir, dans une période de confusion intellectuelle sans limites, du corpus idéologique qui l’inspire et qui, par une de ces ruses que la raison affecte, est devenu quasi dominant dans le monde de « la culture », et d’en analyser, dans une perspective clairement émancipatrice, les effets délétères. Avec la ferme intention de démontrer l’absolu néant de ce simulacre de pensée subversive que représente la philosophie de la déconstruction, Renaud Garcia, philosophe lui-même, s’est attelé à cette tâche risquée, en 2015, en nous livrant son Désert de la critique, ouvrage qui avait eu les faveurs d’une longue et laudative recension sur notre site.

Six ans après, les vaillants soutiers de L’Échappée, son éditeur, remettent le couvert en ressortant l’opus de Renaud Garcia en poche [1] dans une édition augmentée d’une longue préface de 60 pages – « De l’esprit de parti » – où l’auteur revient sur « les aléas de la réception » souvent houleuse de son livre, mais plus encore s’attache à témoigner en quoi, depuis, le désert a progressé. C’est cette préface, et elle seule, qui fera ici l’objet de ce retour critique, étant entendu que, pour le reste, c’est-à-dire le livre à proprement parler, notre opinion n’ayant pas changé, nous renvoyons le lecteur à ce que nous en disions lors de sa première édition [2].

« Sans jamais se départir de son calme – écrivions-nous en 2015 en conclusion de cette recension –, un calme qu’on sent parfois bouillir sous sa plume maîtrisée, Renaud Garcia questionne, dans cet indispensable Désert de la critique qui deviendra classique, le paradoxe qui veut que, cartographiées comme radicales ou subversives par les experts de l’industrie culturelle dominante, les théories de la déconstruction se révèlent non seulement inopérantes – et même désarmantes au propre sens du terme – pour comprendre le monde tel qu’il s’effondre, mais participent, dans tous les champs qu’elles investissent, de cette marche vers le chaos que la folie capitaliste porte en elle comme la nuée porte l’orage. » Ce calme, qu’on retrouve dans chaque production – même objectivement polémique – de Renaud Garcia [3] est sa marque de fabrique. Il tient son cap sans jamais forcer le trait. Pour le Désert, nous apprend-il dans cette préface à sa réédition, « l’exercice cohérent de la critique » impliquait, « en concertation avec l’éditeur », de « contenir la veine pamphlétaire, comme on retient la crue d’un fleuve, et s’attaquer pied à pied, avec érudition si besoin, aux théories amphigouriques de la déconstruction et leurs décantations dans le milieu militant » (p. 9). Pari de la mesure tenu donc, mais sans le moindre effet sur le « parti déconstructeur », qui, toutes tendances confondues, vit dans la démonstration de Renaud Garcia la marque infamante du sanglot de l’homme blanc, colonialiste, hétérosexuel et forcément réactionnaire. Sainte Inquisition des temps postmodernes, il le voua, en certaine chaire académique, aux gémonies de la studieuse jeunesse qu’il façonne et, ce qui est plus troublant, l’accusa, en certain milieu « libertaire » déconstruit, d’amabilités diverses sur le « confusionnisme » de ses thèses, objectivement récupérables, aux dires des subtils postanarchistes, par la droite extrême. De quoi perdre patience, en somme, même quand, comme Renaud Garcia, on en fait vertu.


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[1Renaud Garcia, Le Désert de la critique : déconstruction et politique, réédition augmentée d’une préface : « De l’esprit de parti », L’Échappée, « collection poche », 2021, 272 p.

[2Freddy Gomez, « D’un néant critique : déconstruction et postanarchisme », novembre 2015. En janvier 2016, notre site a également repris, sous le titre « Du délire en milieu “déconstructionniste” », un entretien que Renaud Garcia avait consacré à La Décroissance, complété d’un post-scriptum qu’il avait rédigé pour À contretemps. Il est conseillé de se reporter à ces deux pièces pour suivre les aventures du Désert, dont le texte présent se veut un prolongement.

[3Notamment dans La Collapsologie ou l’écologie mutilée, L’Échappée, 2020, ouvrage recensé sur ce site sous le titre « Misère de la collapsologie ».