Depuis la fin du XVIIIème siècle, une idée se répand : l’Art se meurt. Le rationalisme questionne l’acte poétique et ses rapports au mythe et à la fable. Dans les années 1820, Hegel annonce que "dès lors que l’art ne va pas au-delà de la simple imitation, il est incapable de nous donner l’impression d’une réalité vivante ou d’une vie réelle : tout ce qu’il peut nous offrir, c’est une caricature de la vie ". Perdant sa vérité et sa vie, ne semblant plus répondre aux exigences de l’esprit, déclaré mort, l’art appartient alors au passé… [1]
Pour un achèvement de l’Art
Au XXème siècle, le spectre de l’art, encore et toujours au service des règles académiques, va être la cible d’attaques lancées par quelques mouvements qui souhaitent l’achever :
– Dada : de 1915 à 1923, une poignée d’artistes entreprit le sabotage de la logique, des hiérarchies des valeurs esthétiques d’un art "bourgeois" emprisonné dans des règles d’esthétiques strictes pour reconstruire un autre art "subversif et terroriste", qu’on aurait tort d’appeler surréalisme, puisque ces derniers se révèleront n’être que des salonnards… [2]
– Le Bauhaus, dynamisé par l’esprit de révolte de la Commune de Berlin, va intégrer tous les arts à la vie quotidienne : l’architecture, la photographie, le costume, la danse et le design qui ne seront plus considérés comme des représentations, mais qui concurrenceront à une nouvelle proposition vivante de la modernité [3].
– CoBrA. Dès 1948, des artistes politiques rejettent la culture rationaliste européenne dont la guerre venait de démontrer la décomposition [4]
– L’Internationale lettriste. Pour eux, le monde était à démonter et à reconstruire sous le signe de la créativité généralisée. [5]
– L’Internationale situationniste, au-delà de l’art, prône une révolution permanente de la vie quotidienne. [6]
L’Art sous influence financière
Si Dada ou les situationnistes œuvrèrent pour l’achèvement de l’Art, c’est le "Pop Art" (Popular Art) [7] qui, paradoxalement, signa son coma et sa mort latente.
Bien que puisant ses sujets dans la culture populaire ou figurant des objets et symboles du quotidien telles que les conserves ou la BD, sa production d’images et sa diffusion "de masse" n’eurent aucune ambition "populaire". L’art, traité comme une marchandise, à l’image des produits que l’on possède déjà et que l’on peut renouveler en déambulant dans les rayons de supermarchés, se mua en un un reflet miroir de sa consommation et non plus de son émancipation. Comme valeur marchande, l’Art est maintenu en vie artificiellement par des courtiers qui ont ouvert un nouvel espace dans le marché de l’art. Ils y vendent non pas une quelconque expression artistique ou vivante, mais des "produits" qui, comme n’importe quelles valeurs refuges, s’échangent sur des marchés en quête de nouvelles opportunités financières. Les entreprises investissent désormais "dans l’art", comme dans l’immobilier ou les champs pétrolifères, avec l’objectif d’en tirer de substantiels bénéfices à la revente [8].
Et chaque année, à Bâle, se tient le "Art Basel". Son sous-titre ? : "le grand supermarché mondial de l’art contemporain" [9]… Dont acte.
Des arts outsiders et modestes
Encore à l’écart des investisseurs (avant qu’ils n’y décèlent de possibles marges confortables), deux mouvements, tendances ou courants se distinguent dans l’Art actuel, dont le coma ne cesse d’être maintenu à coup de perfusions financières.
Hey ! modern art & pop culture
En 2010, Anne & Julien créent "HEY ! modern art & pop culture", une revue trimestrielle centrée sur l’art "outsider pop", produit par des créateurs marginaux, autodidactes, ayant élaboré leurs œuvres en dehors de l’influence du milieu artistique, de type lowbrow [10] et la culture populaire par opposition à l’art élitiste [11]. L’art qu’ils défendent depuis de nombreuses années est vivant, hétérogène, complexe avec de multiples courants ou territoires, oscillant entre la radicalité de l’art brut ou les formes les plus savantes du surréalisme pop. Les "subcultures", comblent la faille entre les "beaux arts" et les expressions picturales populaires : art urbain, illustration, graphisme, peinture, bande dessinée, tatouage, taxidermie ou art du poster…
Explorer, retranscrire, exposer, s’exposer : l’art est une des manifestations du risque dont le cœur humain a besoin pour se renouveler. Il saisit la vie dans son entier dynamisme. Il est le pain de l’esprit. D’éléments épars, il construit une unité. Nous avons grandi en musique et dans le brouhaha de la fête, sur les pavés de nos rues, dans les caves de nos cités. Nous aimons les images que notre nature et notre époque nous contraignent à créer, leur pouvoir de synthèse, leur capacité à relier.
HEY ! est une protestation envers des esprits favorisant le cloisonnage et le dogme esthétique. Il laisse la parole aux autodidactes, aux déviants, aux pratiques singulières, aux activistes, à la marge, reversant les valeurs établies du "beau", du "laid", du "bon" et du "mauvais goût"…
En Grande-Bretagne, la revue "RawVision" poursuit la même démarche [12].
Depuis 1995, la Halle Saint-Pierre ouvre ses portes à l’art brut, singulier ou outsider, dont celui présenté par Hey ! [13]
Les arts modestes du MIAM
Dans la ville de Sète, un ancien chai à vins abrite le MIAM ( Musée International des Arts Modeste), créé par Bernard Belluc [14], les frères Richard et Hervé Di Rosa [15] en 2000. Il présente des créations marginales ou périphériques, favorise la circulation des regards entre la culture savante et la culture populaire, le dépassement des frontières ou des genres, s’ouvre aux multiples réalités des cultures et des productions (dites) modestes, pour ne pas dire "ringardes", reléguées au dernier rang de l’Art.
Au MIAM, on trouve des jouets, des figurines, des gadgets ou des "bibelots" de toutes sortes, qui participent de "l’archéologie de l’enfance", qui côtoient les périphéries de l’art brut, de l’art naïf ou de l’art populaire. On est loin des galeries aseptisées et des verbiages de spécialistes auto-proclamés. Dans la cour intérieure du musée, le "jardin des plantes modestes", réalisé par l’artiste-botaniste Liliana Motta, raconte l’histoire de plantes généralement considérées comme des "mauvaises herbes", gênantes ou nuisibles au bon goût de l’esthétique…
Compagnons de route de cette aventure moderne, les "rastaquouères associés" (Pascal Comelade et le Général Alcazar) avec leurs instruments modestes (piano-jouet, guitares en plastique, lapin-tambour) ont composé un "Hymne au MIAM", pour accueillir les visiteurs de ce haut lieu.
L’art modeste ou "l’enfance de l’Art".
L’art modeste et "l’Art transversal".
Bref, les arts "outsiders" et modestes nous convient à des sortes de "réunions carambar" qui se tiendraient de manière aléatoire chez le facteur Cheval ou dans le château meringué de Louis II de Bavière où participeraient Pierre Molinier [16], les pensionnaires de l’hôpital Sainte-Anne, Pieter Brueghel [17], Hugo Ball [18], Philippe de Champaigne [19], Robert Tatin [20], Isidore Isou [21], les tatoueurs du port de Hambourg, Hans Richter [22] ou encore Jérôme Bosch [23].