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Des “révoltés” en quête d’un Maître à vénérer !!

vendredi 7 juin 2024, par Zavally




Réflexions de Stefan Zweig [1] sur "la jeunesse révoltée", issue de "Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen" (1943) [2].

“Toute une jeunesse nouvelle ne croyait plus aux parents, aux politiques, aux maîtres ; chaque proclamation de l’État était lue d’un œil méfiant. D’un coup, la génération d’après-guerre s’émancipait brutalement de toutes les valeurs précédemment établies et tournaient le dos à toute tradition, résolue à prendre elle-même en main sa destinée, s’éloignant de tout le passé et se jetant d’un grand élan vers l’avenir. Avec elle devait commencer un monde absolument nouveau, un tout autre ordre, dans tous les domaines de la vie ; et, bien entendu, cela débuta par de violentes exagérations. Tous ceux ou tout ce qui n’étaient pas du même âge qu’elle, passait pour périmé”.

(…)

“Dans les écoles, on constituait sur le modèle russe des conseils d’élèves qui surveillaient les professeurs, le “plan d’études” était aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qui leur plaisait. On se révoltait par seul goût de la révolte contre les formes établies, même contre la volonté de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes. Les filles se faisaient couper les cheveux, et si court qu’avec leur coiffure “à la garçonne” on ne pouvait les distinguer des vrais garçons ; les jeunes hommes, de leur côté, se rasaient la barbe, pour paraître plus féminins, l’homosexualité et les mœurs lesbiennes firent fureur, non pas par un penchant intérieur, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles, légales, normales de l’amour”.

(…)

“Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté dans la langue. Les articles “le”, “la”, “les” furent supprimés, la construction de la phrase mise cul par-dessus tête, on écrivait “escarpé” et “abrupt” en style télégraphique, avec de fugueuses interjections. Au demeurant, toute littérature qui n’était pas “activiste”, c’est-à-dire qui ne consistait pas en théories politiques, était vouée à la poubelle”.

(…)

“Plus un homme était jeune, moins il avait appris, plus il était bienvenu par le seul fait qu’il ne se rattachait à aucune tradition – enfin la grande vengeance de la jeunesse se déchainait triomphalement contre le monde de nos parents. Mais au milieu de ce carnaval sauvage, rien ne m’offrit un spectacle plus tragi-comique que de voir combien d’intellectuels de l’ancienne génération, dans leur crainte panique d’être dépassés et considérés comme “inactuels”, se barbouillaient d’une sauvagerie factice avec la hâte du désespoir et cherchaient à suivre le mouvement d’un pas lourd et claudicant jusque dans les chemins le plus manifestement aberrants”.

(…)

“Tandis que fondait la valeur de la monnaie, toutes les valeurs, toutes les autres valeurs se mettaient à glisser ! Une époque d’extase enthousiaste et de fumisterie confuse, mélange unique d’impatience et de fanatisme”.

(…)

“On s’arrachait tout ce qui promettait des états d’une intensité dépassant ce qu’on avait connu jusque-là, toute espèce de stupéfiants, la morphine, la cocaïne et l’héroïne ; au théâtre, l’inceste et le parricide, dans la politique, le communisme et le fascisme étaient les seuls thèmes, extrêmes, qu’on accueillit favorablement ; en revanche, on proscrivait sans appel toute forme de normalité et de mesure”.


  • Toute ressemblance avec l’époque actuelle est bien entendu ridicule, puisque, c’est bien connu, l’Histoire ne se répète pas, qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, que le point Godwin et autres clichés sont brandis chaque fois que l’on tente non une simple identification mais un parallèle, une comparaison. De la même manière, on nous expliquera que Poutine n’est pas Hitler et qu’associer les deux périodes témoigne d’une faiblesse de raisonnement.

Mais nous apprécions fort Stefan Zweig…


[1Stefan Zweig, né le 28 novembre 1881 à Vienne en Autriche-Hongrie et mort le 22 février 19424 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien.

Ami de Sigmund Freud, Arthur Schnitzler, Romain Rolland, Richard Strauss, Émile Verhaeren, Stefan Zweig a fait partie de l’intelligentsia viennoise. Il quitte son pays natal en 1934, en raison de la montée du nazisme et de ses origines juives pour se réfugier à Londres, puis au Brésil où il se suicidera. Son œuvre est constituée essentiellement de biographies (Joseph Fouché, Marie-Antoinette, Marie Stuart), mais aussi de romans et de nouvelles (Amok, La Pitié dangereuse, La Confusion des sentiments, Le Joueur d’échecs). Dans son livre testament, Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, Zweig se fait chroniqueur de cet « âge d’or » de l’Europe et analyse ce qu’il considère comme l’échec d’une civilisation.