Sur les permanents syndicaux !

Par AutreFutur
Publié le : Mis à jour : 16/02/21

Contribution au débat sur les permanents syndicaux. (Cornélius Philogène)

Dans la rhétorique anarcho-syndicaliste contemporaine, plus spécifiquement à la CNT, un certain nombre de concepts proposés en direction du public sont tout simplement faux.
Faux car contraires à l’histoire réelle du syndicalisme révolutionnaire, contraires à la logique de sa construction et contraires aux statuts mêmes de la CNT.
Faux et dangereux car ces concepts ont empêché l’adhésion de nombreux militants en mal d’une organisation syndicale conséquente. Par organisation syndicale conséquente, nous entendons un syndicat qui est démocratique, non démagogique et qui porte un projet de société.
Ces concepts dévoyés empêchent la construction pourtant urgente et nécessaire d’un mouvement de masse pouvant faire pendant aux ensembles multi-organisationnels que sont les religions, les capitalismes, le stalinisme.
De surcroît, on retrouve ces travers, dans les autres organisations syndicales où le radicalisme se confond avec l’irrationnel.
Voici sans caractère exhaustif, quelques uns de ces concepts :
D’abord celui de l’organisation en général et des permanents en particulier, et celui de la gratuité ensuite.

Les permanents

A juste titre, bien des écrits assr fustigent la bureaucratie. Et en vouant aux gémonies les bureaucrates, rejettent en même temps les permanents syndicaux...
Nous nous opposons à ce raccourci.
Ce n’est pas parce que les bureaucrates des « grandes » confédérations sont très souvent des permanents, que tous les permanents sont des bureaucrates et vice versa que les bureaucrates sont tous des permanents.

Les méchants permanents :
L’histoire du syndicalisme démontre la déconnexion des permanents politiques de la base de l’organisation. Ils ne sont pas déconnectés simplement parce qu’ils sont payés pour accomplir des tâches syndicales, mais aussi par le contenu de ces tâches.
Le paritarisme (syndicats, patronat) et le tripartisme (Etat, syndicats, patronat) sont une des causes de ces éloignements des préoccupations des salariés. La mise en place de multiples institutions, notamment par l’Etat est cause d’une dispersion et d’une dilapidation du temps des syndicalistes. Faute d’attraction et d’intelligibilité de ces multiples commissions pour les militants syndicaux de la base, les militants permanents des UD, fédés et confédération sont dans l’obligation de cumuler les mandats. SUD et CNT, n’échappent pas à cela, et l’on peut dire qu’au regard de leur taille, la dérive est même plus rapide.
Le temps qu’il reste aux militant(e)s est alors d’autant diminué pour cultiver le terrain. Comme toute femme et homme, aux contacts d’autres femmes et hommes, des relations humaines s’établissent avec des interactions fortes au point de modifier la force des revendications de la base (et encore quand la base a eu vent de telle ou telle commission, réunion...). Les revendications, les discussions ont pour support des tableaux statistiques, des chiffres, des textes, autant de barrières entre la base et ces permanents. Barrières dues non pas aux capacités intellectuelles des syndicalistes non permanents mais aux capacités physiques tout simplement. Les journées n’ont que 24 heures .

Cette critique du tripartisme est partiellement vraie pour des militants non permanents, qui faute d’un nombre de militants suffisant dans la boîte cumulent également les fonctions de représentation.

Distinguer les tâches syndicales :
Le travers le plus important de ces permanents est que ce sont ce que l’on nomme des permanents politiques. Ces militants sont mandatés par leur syndicat dans des rôles décisionnels. Ils ont un pouvoir de décision qui leur est confié pour une ou plusieurs mandatures et sont dans le même temps absent du lieu de travail.
Dans la plupart des syndicats, le contrôle des permanents politiques est faible en raison du pouvoir fort qui est confié. C’est l’absence de contrôle des décisions qui est en cause.
La critique des permanents devrait précisément être celle de « permanents politiques dans une organisation non démocratique ».

Les gentils permanents
Est-il juste d’insulter les camarades qui dans telle ou telle confédération font des travaux de secrétariat, d’imprimerie, de mise en page, de ménage et sont rémunérés par le syndicat ?
Nous pouvons rêver à ce que des militants effectuent toutes les tâches à tour de rôle mais non seulement ce n’est pas possible mais c’est de surcroît inégalitaire.
Prenons l’exemple du ménage (et encore c’est nier la professionnalisation de ces tâches de dire que tout le monde est à même d’effectuer du ménage dans des locaux collectifs, tandis que nous nous battons pour l’amélioration des conventions collectives de ces métiers).
Appuyons nous donc sur cet exemple essentiel [1] :

Si le ménage doit être autogéré et bénévole, cela signifie que tout le monde doit y participer à égalité de temps. Comment calcule-t-on le différentiel de ceux qui viennent de plus loin ? Ceux qui ont une vie familiale plus lourde ? Ceux qui travaillent déjà toute la semaine dans des entreprises de propreté ? Nous voyons bien que l’égalité n’est pas possible et que ce vont être certains militants qui vont subir ces tâches. Notamment ceux qui de par leur présence plus fréquente vont militer le plus. On arrive à l’absurdité suivante : ceux qui assument des tâches militantes et des mandats vont devoir être ceux qui nettoient le plus, ou se résigner à vivre dans la crasse.
L’égalité absolue n’est-elle pas qu’une part de la cotisation de chacun serve à rémunérer les tâches non militantes ?
Cela n’est pas contradictoire avec le fait que les militants aient un savoir vivre lors des usages des locaux !

Toujours dans l’optique de séparer le politique du technique, il apparaît évident qu’un comité de rédaction d’un tract, d’un journal, d’un livre doit être entièrement contrôlé par des militants non rémunérés et mandatés par l’échelon syndical correspondant.
Par contre tout le travail de mise en page, surtout pour un journal hebdomadaire ou mensuel doit-il être pris sur le temps militant des camarades mandatés ? Ce temps ne serait-il pas mieux utilisé à d’autres activités ? Celles du développement de l’idée et de la culture syndicales, essentiellement dans des tâches collectives.

De bacillia bureaucratia
La bureaucratie ne recoupe pas la sphère des permanents par nature, mais est concomitante à l’histoire, durée, du syndicalisme. Nous définirions la bureaucratie comme l’insertion et le développement d’espaces non démocratiques dans une structure quelconque.
En aparté, notre critique de l’Etat est précisément là : plus une organisation géographique de la société est centralisée plus elle devient propice au développement d’espaces incontrôlables. Cette structure ainsi bureaucratisée prend alors pour nous le nom d’Etat. Cependant si la version jacobine d’une organisation, qu’elle relève de la production ou de la citoyenneté, dérive très vite vers la bureaucratie, la version fédéraliste n’en est à l’abri que pour un temps défini.
Toute association composée de bénévoles est elle aussi à terme contaminée. Il va en être de même des collectifs ou syndicats quels qu’il soient.
La bureaucratisation est un phénomène inévitable, qui n’est pas dû qu’à la forme de l’institution mais aussi à son histoire, à sa durée. L’inertie, l’implication plus ou moins forte des être humains qui la composent, la durée de ces implications et la formation de membres influents, de réseaux informels, construisent la bureaucratie.
L’ironie de l’histoire est que l’idéologie ultra-étatiste en se construisant contre les pouvoirs non dits de la société par un contrôle absolu amène une bureaucratie absolue. A l’opposée, les partisans de l’informel ou du spontané qui se sont construits contre l’étatisme proposent quant à eux la bureaucratie à l’état pur.
Les tendances informelles, assembléistes sont extrêmement favorables à la constitution de pouvoirs non dits mais réels.
Entre ces options, il n’existe pas de modèle à l’abri de la bureaucratisation, pas même le fédéralisme .

Les « permanents bénévoles » dans le syndicalisme :
Nous employons le terme de permanents bénévoles de manière résolument provocatrice. A la CNT, le syndicat qui se veut le plus radical, mais également dans certains SUD, et plus généralement dans le « mouvement social » il y a des simili-permanents syndicaux.
L’anarcho-syndicalisme a toujours cherché à limiter le recours à des permanents syndicaux qui ont un rôle politique, sans toutefois l’exclure totalement. Cette réflexion politique n’excluait pas le recours aux permanents techniques. La contradiction actuelle de la CNT est d’avoir abouti à l’exact inverse, des permanents politiques non contrôlables et une paralysie de fonctionnement par l’absence de prises en charge des tâches techniques.

Avec la baisse du temps légal de travail salarié, des militants en arrivent à fournir un nombre d’heure très conséquent au syndicat. Qu’est ce qu’œuvrer 30 heures hebdo pour le syndicat sinon, l’équivalent d’une moyenne du temps de travail d’un emploi salarié ?
Le développement des retraites et l’allongement de l’espérance de vie, le chômage indemnisé, la mise en place de revenus non liés au travail (RMI, petits rentiers), le développement d’emploi atypiques (intermittents, intérimaires, chèques service…) ont permis à des militants de s’assurer un revenu, temporaire ou plus durable, tout en ayant une capacité de travail dans le syndicat équivalente, voir supérieure, à des militants rémunérés par le syndicat.
La critique de ce phénomène prend alors plusieurs formes, selon la déclinaison du militantisme.
Les différentes situations :
 Premièrement les permanents bénévoles mettent leur capacité de travail dans le cadre de mandat précis et plus précisément en rapport avec leur branche d’industrie.
 Deuxièmement ces permanents mettent leur capacité de travail dans le cadre d’un mandat précis technique confédéral.
 Troisièmement ces permanents mettent leur capacité de travail dans le cadre d’un mandat politique confédéral.
 Quatrièmement les permanents bénévoles mettent leur capacité de travail dans le cadre de nombreux mandats, mi technique, mi politique, recevant les mandats des démissionnaires dans l’urgence et bien d’autres tâches.
 Cinquièmement les permanents bénévoles mettent leur capacité hors de tout mandat, dans le soutien à de nombreuses luttes hors de leur branche d’industrie.

Nous comprenons bien en séparant ces différents modes, que si les deux premiers modes ne posent pas de problème particulier, le troisième est ambigu et les deux suivants pour le moins gênants.
C’est la réalité du salariat contemporain et l’existence de revenus de substitution qui produit cela et il serait idiot de chercher à l’interdire, mais il est dangereux de ne pas l’avoir analysé pour mettre en place les contre pouvoirs.
Une solution absurde serait de confier les mandats à des camarades déjà surchargés de salariat et de vie familiale, qui sacrifieraient une partie de leur présent pour un hypothétique avenir. Cette option ne peut rester que l’exception, le modèle de société que nous proposons est en gestation dans notre fonctionnement et il est impensable de construire celui ci avec des « moines et moniales soldat(e)s rouges et noirs ».
Nous n’avons qu’une vie, et nous militons pour en jouir. Il est contraire à l’essence du syndicalisme révolutionnaire que celui-ci nous fasse différer, au profit d’un hypothétique bonheur futur, le besoin de vivre.

Le permanent bénévole qui dispose de temps n’est pas à l’abri d’une dérive moraliste. L’impression de donner énormément de son temps produit à terme des crispations avec celles et ceux qui remettent en cause ce pouvoir plus ou moins formel.
Ce n’est pas seulement le problème du militant s’il sacrifie une partie de sa vie, mais cette dérive est en partie de la responsabilité du syndicat qui la tolère.
Cette réflexion ne doit pas obérer celle sur le plaisir et l’accomplissement de soi qu’il peut y avoir à militer.
Le sacrifice de soi, de son avenir, le don de soi, le compassionnel sont des données qu’il faut éradiquer de la construction d’un mouvement anarcho-syndicaliste. L’auto-exploitation n’a pas de place dans une lutte contre un système d’exploitation.
« Un militant ne doit pas compter son temps » ? Lorsque l’on entend cette phrase, l’on est plus proche du mouvement catholique que du mouvement libertaire. C’est la fusion idéologique des mouvements catholiques sociaux des années 30 et des mouvements gauchistes des années 70, qui produit une telle aberration dont certaines franges du syndicalisme révolutionnaire auto-proclamé se voudraient l’avant garde sanctifiée !
Chacun est libre de se complaire dans la flagellation, mais une organisation collective ne peut se construire sur des attitudes morales des individus.
La durée, la solidité que demande une organisation syndicale ne peut reposer sur des individus, a fortiori s’ils adoptent des postures christiques « en militant sans compter, j’œuvre pour le bien des autres »…Une organisation repose sur des mandats, contrôlables, comptables…

Le problème du financement des permanents
Les permanents dits bénévoles ne sont pas moins dangereux que les permanents rémunérés par le syndicat. Nous pourrions même dire que leur indépendance financière vis à vis du syndicat les rend plus incontrôlables.
Ce raccourci nous démontre par l’absurde que le financement n’est pas la cause de la dérive des sur-militants. Que le réel problème est dans le pouvoir qui est délégué et de quelle manière celui ci est contrôlé et également qui finance !
Les syndicats traditionnels ne peuvent pas subvenir à leurs besoins avec les seules cotisations des adhérents, c’est un fait. Les rapports divergent sur la part que représentent les cotisations dans le budget des confédérations et nous ne crierons pas avec les loups réactionnaires pour dénoncer l’opacité des trésoreries syndicales.
Nous ne sommes pas là pour dénoncer le fait que la CGT, FO etc vivent au dessus de leurs moyens ! La lutte des classes requiert toujours plus de moyens et conformément à notre analyse de la société, l’argent d’où qu’il provienne est toujours celui qui est produit par le travail (ou anticipé sur ce même travail). Le problème n’est donc pas de savoir d’où vient l’argent, mais qui décide de son attribution.
Là, également, certains textes de la CNT sont ambigus : peut-on d’une part dénoncer le fait que la CGT ait allègrement pioché dans le CE d’EDF et d’autre part éditer des livres sur la guerre d’Espagne où des pilleurs de banques sont malheureusement érigés en héros parce que l’argent était reversé au syndicat ?
Personnellement dans l’illégalité nous préférons la manière la moins violente et pour ce qui est de l’histoire, les pilleurs de banque espagnols étaient dénoncés par la très grande majorité des syndicats comme étant contre-productifs, individualistes et quelque part déjà dans une dérive autoritaire qui a conduit à provoquer de manière contre-productive, anti-stratégique, la réaction encore plus violente de la bourgeoisie.

C’est donc un fait : le syndicalisme doit s’assurer de financements autres que les cotisations. Par contre il est tout aussi évident que le fonctionnement de base du syndicat doit être le plus indépendant possible. Les financements des caisses de grèves et des permanents syndicaux doivent être au cœur de ce système indépendant.
La combativité du syndicat doit être assurée au maximum. Si du financement complémentaire vient pour acquérir des biens et non pour le fonctionnement quotidien, tant mieux. Photocopieuses, locaux. Ce qui est acquis est acquis ! Peut importe qui paie, puisque au bout du compte il s’agit toujours de notre argent.
La rémunération (et son mode) des permanents est extrêmement importante. Un permanent rémunéré entièrement par son syndicat ou sa branche sera de force bien plus favorable à la démocratie syndicale, qu’un permanent au revenu assuré par des financements attribués par divers organismes (heures de délégation...).

Ainsi donc ce n’est pas l’existence de permanents qui est selon nous problématique, puisque ils existent en gros nombre déjà à la CNT, dans certains SUD, dans de nombreux collectifs, mais au contraire l’absence de réflexion sur leur contrôle ainsi que sur un financement autonome.

Enfin, autre problème crucial, dans le cadre de la rotation des tâches de personne détachée pour le syndicat, il faut s’assurer d’un retour dans le salariat classique du permanent après son mandat.
En effet, le problème qui se pose dans le secteur privé est qu’un permanent syndical ne soit pas condamné à rester permanent ou à devenir chômeur (l’entretien d’embauche, « qu’avez vous fait ces deux dernières années ? »). Le syndicalisme doit s’assurer d’avoir développé de nouvelles bourses du travail et des contrôles syndicaux dans le placement afin de « recaser » les camarades.

Pour des permanents rémunérés
Pour revenir sur l’action syndicale au niveau de son syndicat ou de sa branche. Il nous semble que le bénévolat complet, le défraiement en partie, la rémunération à temps partielle ne soient ni les uns ni les autres un réel problème.
L’important est le contrôle des mandatés par le syndicat.

C’est le type de salariat qui construit sa représentation. La problématique est différente dans le cadre du salariat classique ouvrier et d’entreprises de grandes tailles, et à l’autre extrémité dans les secteurs du multi-salariat, de l’atomisation des lieux de travail.
Evidence des évidences : Des militants vont plus facilement aborder leurs collègues et en très peu de temps à la sortie d’un établissement d’importance, qu’informer les professeurs des écoles rurales, les employés de maison, les ouvriers agricoles et autres emplois des toutes petites structures qui représentent la très grande majorité du salariat. Développer réellement le syndicalisme dans l’essentiel du salariat, doit dépasser la poste ou internet, mais doit bien passer par le contact humain. Cet éclatement des « ressources humaines » exige des moyens à la hauteur.
Il n’y a pas nécessité d’avoir des permanents pour débuter dans tous ces secteurs, cependant s’interdire d’avoir des journées rémunérées par le syndicat pour ces tâches c’est nier le développement du syndicat. Nombre de salariés, proche de l’anarcho-syndicalisme, et qui l’envisagent à long terme et à grande échelle, rechignent à franchir le pas vers le CNT (ou vers les autres syndicats qui ignorent ces secteurs et qui leur demanderaient des révolutions intellectuelles) en raison de ces illogismes.
Pourquoi celle ou celui qui dans le cadre d’une délégation, hors grève et combat collectif, doit quitter le travail devrait en plus perdre sa journée de travail ? Cette vision demanderait qu’un camarade se sacrifie (favorisant les personnalités extrémistes ou « border line ») ou que personne n’y aille paralysant ainsi toute création du syndicalisme. Le contrôle ou la révocation de ce mandat ne sont pas remis en cause par le fait que le camarade soit défrayé ou non.
La lutte des classes a obtenu justement qu’il y ait des heures de délégation, que ce soit le patronat qui maintienne le salaire du salarié et que cela soit garanti dans des conventions collectives !
C’est un acquis obtenu par la lutte et tout acquis peut-être remis en cause. La dépendance au bon vouloir du patronat est donc bien réelle pour les heures de délégation, mais tout comme le niveau du salaire, les congés payés…. Le syndicalisme est une partie du salariat, supprimons les congés payés, divisons par deux les salaires et le fonctionnement du syndicat en sera affecté tout autant !
Si dans certaines branches et en fonction de la taille des boîtes, il est possible d’avoir des heures de délégation syndicale, dans d’autres cela est très difficile. Pourtant la nécessité de défrayer ou de rémunérer partiellement les camarades est évidente. Dans ces nouvelles branches d’industrie, la force du syndicalisme révolutionnaire serait justement de s’affirmer en autonomie financière, c’est-à-dire que seul le syndicat avec ses cotisations se permette de dégager du temps pour des camarades, selon les modalités qu’il choisi.
Nous pouvons citer historiquement le cas de IWW américaines, qui salariaient des camarades itinérants devant construire le syndicat partout où il passait. Ce n’est pas la bureaucratisation qui a vaincu ce syndicalisme révolutionnaire mais les flingues des milices patronales et les camps de concentration des années 20 et 30 aux USA !

Quelles tâches peuvent être rémunérées ?
Nous pensons qu’il est possible de rémunérer des camarades pour trois raisons. Premièrement en raison de la structure du salariat d’une branche qui demande beaucoup de temps pour contacter les salariés et où les heures de délégations sont impossibles, deuxièmement pour des mandats techniques précis et demandant des formations importantes, troisièmement le travail de recherche, de compilation, de formation, de défense : juridique.

La défense juridique
Exemple, il apparaît évident qu’un camarade défenseur au prud’homme, conseiller du salarié, puisse ne pas perdre sa journée de travail, le cas contraire serait laisser la seule possibilité aux permanents bénévoles d’assurer ses tâches !
L’égalité entre les camarades dans le syndicat demande deux choses : que celles et ceux qui le désirent assument ces mandats quelles que soient leurs activités professionnelles. La défense juridique demande une formation qui ne se fait pas dans le cadre d’une simple rotation des tâches. Il faut se former, cela prend du temps et imagine-t-on un ou une camarade passer des dizaines d’heures à se former pour effectuer un prud’homme de deux heures ? De surcroît, un certain nombre d’activités ne s’exercent efficacement qu’avec une grande pratique. (Imagine-t-on être chirurgien à tour de rôle ?)
Dans la défense juridique, le syndicalisme doit assumer son autonomie (tant que cela est légal) c’est la force de la CNT que de ne pas s’en remettre totalement aux avocats.
Il ne s’agit pas de critiquer les avocats en tant qu’êtres humains, mais de pointer le fait qu’ils ne font pas partie du syndicat, qu’ils ne sont pas contrôlables et que leur intérêt est aussi pécuniaire !
En termes économiques, si nous faisons abstraction de l’aide juridictionnelle, l’internalisation est toujours plus rentable que l’externalisation contrairement à ce que martèlent les économistes. De surcroît, la propension actuelle des syndicats, quels qu’ils soient, à passer par les avocats est d’une irrationalité comptable totale : Un avocat demandera entre 300 et 1000 euros pour de l’accompagnement de premier niveau. Pour un syndicat (une fédé, une UR, une UL) où il n’y aurait ne serait ce que 20 prud’hommes par mois, le coût serait donc en moyenne de 13000 euros. Soit de quoi rémunérer très correctement (2000 euros net/mois) au moins 3 salariés à temps plein. Or un salarié seul peut effectuer largement 20 prud’hommes de premier niveau par mois.
Regardons ces chiffres autrement : un conflit avec un avocat qui coûte 6000 euros, pour défendre 3, 4 salariés dans une crèche, par exemple, cela représente 3000 mois de cotisations de précaires à SUD ou à la CNT, soit 250 années de cotisations d’un salarié précaire [2]

Nous affirmons que c’est un point essentiel que de maîtriser la lutte juridique, mais pour cela il faut s’en donner les moyens. A terme, le syndicalisme révolutionnaire doit pouvoir être autonome dans tous les domaines de lutte, excepté la Cour de cassation.
La force et la différence de notre syndicalisme est là : construire une sphère autonome de classe.
Il y a urgence à le faire car une menace claire pèse sur cette possibilité de la défense syndicale aux prud’hommes. Elle risque de n’être réservée qu’aux avocats dans les années à venir.

Les tâches techniques : qui a peur de la productivité ?
Le syndicalisme doit construire une alchimie délicate, être une école de culture de lutte, un lieu d’écoute, d’apprentissage afin de rassembler sur le long terme des hommes et des femmes différents et en même temps être un outil de lutte efficace.
La division du travail est un moyen d’accroître la productivité, d’améliorer l’efficacité et le rendement. Il faut l’utiliser et ne pas laisser au capitalisme le choix d’utilisation des gains de productivité…
Se bat-t-on pour les droits des informaticiens, des ouvriers d’imprimerie, des secrétaires, des salariés du nettoyage ? Oui !
Alors pourquoi demanderaient-on à ceux ci de faire des heures supplémentaires non rémunérées au syndicat, militer ainsi, au détriment des caisses de retraites, ou d’assurance maladie, bref du salaire socialisé auquel nous aspirons. Nous abhorrons le travail non déclaré mais sans nous en rendre compte nous en faisons la promotion d’un autre côté. Mais pis, nous ne pouvons laisser dire, que tout le monde peut faire de la mise en page, du ménage, alors que nous nous battons pour le respect de ces métiers, comme véritables métiers !
L’anarcho-syndicalisme ne peut aller dans le sens de la dérégulation du travail au nom du militantisme. Ce qui fait de moi un adversaire acharné des SEL, terrain expérimental de l’ultra libéralisme où le prélèvement social est nié.

Tout travail mérite salaire, nous ne sommes pas des curés ou des bonnes sœurs ! Tout travail mérite un salaire socialisé et déclaré nous sommes anarcho-syndicalistes !

Aller sur le terrain : un coût !
Le développement d’un syndicalisme ne se fait pas par génération spontanée…en pensant qu’avec 100 000 prospectus distribués en manif, 40 000 000 de travailleurs (ses) vont nous rejoindre.
Outre le service juridique, l’efficacité de l’organisation syndicale, deux points ci dessus cités : le syndicat doit avoir les moyens de se développer en allant directement sur le terrain. Un courrier électronique ne remplacera jamais pour une institutrice isolée en classe unique la visite d’une ou d’un camarade syndiqué qui vient passer une demi heure pour parler…Il faut du temps pour faire du porte à porte, dans les quartiers où habitent les demandeurs d’emplois, les salariés précaires, les employés de maison…
Oui il faut du temps et de l’argent pour toutes ces tâches qui sont indispensables…
Toutes ces tâches, les militants politiques du FN le font, mais aussi les fascistes religieux (évangélistes, salafistes...). Ils sont sur ce terrain social qui devrait être le nôtre.

La formation syndicale :
Former les militants, notamment dans les tâches juridiques, techniques, cela demande également à être fait sur du temps de travail et rémunérés comme tel.

La gratuité, un concept libéral ?
Notre syndicalisme aspire à une société collective où une part du travail des uns sert à prendre en charge le travail d’autres (hopitaux, écoles, infrastructures collectives, formation…).
Nous ne pouvons ériger en principe idéologique ce que nous, comme d’autres organisations, effectuons par faiblesse, par manque de moyens.
Toutes les activités équivalentes à un travail sont du travail, comprenant une part de salaire directe et une part indirecte.
Le capitalisme dans sa version la plus « moderne » lui, au contraire, vise a éliminer tout tiers, à ne parler qu’en termes de contrat direct, à valoriser le bénévolat…
Bien souvent, en prônant la gratuité, des militants sincères pensent réduire la marge de profit des capitalistes mais aboutissent à concurrencer comme jamais ne l’aurait rêvé un financier, en construisant le dumping social absolu.
Camarades informaticiens, les grandes entreprises sont heureuses, car plus encore que les informaticiens sous payés des pays en voie de développement, voici le travail gratuit de développeurs de logiciel !
Nous sommes jardiniers ou maçons, nous hurlons contre l’utilisation abusive des stagiaires, contre l’utilisation de salariés étrangers exploités selon les salaires de leurs pays, mais il y a mieux voici maintenant les jardiniers et maçons gratuits…l’ultralibéralisme absolu.
Pas de salaire direct, c’est un problème pour ceux qui travaillent gratuitement me direz vous, mais surtout pas de salaire indirect, pas de socialisation…plus d’école, plus d’hôpitaux publics…
Pourquoi ce qui semble logique dans certains métiers ne l’est-il pas dans d’autres ? Lorsqu’il y a perte de revenus pour une entreprise, les salariés subissent toujours avant les actionnaires.
Il ne faut pas confondre le problème de position dominante et la rémunération du travail de manière différée…Lorsqu’il faut lutter contre une multinationale informatique, ou des majors de disques, il est absurde d’aller dans leur sens en prônant le travail gratuit ou le piratage…bien au contraire, il faut construire des entreprises socialisées !
Tout travail mérite salaire…

Le syndicalisme repose sur du travail. Il est même la société du travail libre en gestation, il ne peut-être construit sur de l’exploitation, il ne peut et ne doit prôner le travail gratuit…
Syndicalistes, nous sommes solidaires, pour l’entraide, mais en aucun cas pour la charité...Un empire ne se construit pas sans que le vin et le sang, l’or et l’encens ne se mêlent

Cornélius Philogène
22 janvier 2765

Notes

[1L’entretien des locaux, est un acte fondamental et démonstratif de la capacité réellement révolutionnaire d’une organisation. Il en a toujours été ainsi dans le mouvement révolutionnaire, le niveau d’exigence du collectif est du niveau le plus élevé du privé et non pas l’inverse comme on peut le voir dans certains locaux d’organisations antiautoritaires depuis deux décennies.

[2Citons le cas d’une camarade en délicatesse avec un employeur, ayant pris la CNT comme défense : une de ses collègues a choisi un avocat qui au milieu de la procédure l’a lâchée car le chirurgien (employeur) avait soigné la mère de l’avocat) !

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