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Le véritable antiracisme

samedi 31 octobre 2020, par Contribution

Le véritable antiracisme est celui qui dépasse l’idée même de race, pas celui qui la reprend à son compte en l’inversant.

Le fameux «  retournement du stigmate  », qui transforme une identité subie en une identité revendiquée et défendue activement (la valorisation qui remplace la dévalorisation, la «  fierté  » en lieu et place de la honte : I’m black, I’m proud ; black is beautiful, ...), ne permet nullement de dépasser la race et d’effacer la «  ligne de couleur  » dont parlait Du Bois [1]. Il aboutit dans le pire des cas à une forme de racisme en miroir.

Le racisme, c’est en effet cette idée très simple que certaines catégories d’individus sont naturellement dotés d’attributs négatifs, et son corollaire, que d’autres catégories d’individus en sont dépourvues. Remplacer la naissance et la biologie par la société, comme le font les théoriciens postmodernes de la race qui parlent d’une «  race sociale  », ne contribue nullement à dénaturaliser la «  race  ». Au contraire, l’assignation à une identité figée – et la division qu’elle fonde – est ici reconduite, même si ses signes sont inversés. Le «  racialisme  » aboutit dans les faits à autoriser et célébrer le racisme et sa vision manichéenne chez ceux qui en sont les principales victimes : les propos et les comportements les plus abjects s’en trouvent ainsi cautionnés.
Le racisme , l’identitarisme ne sont nullement un phénomènes exogènes, spécifiques, dus à la nature particulière d’une communauté, à ses caractéristiques propres ou à son essence immuable. Ce sont des phénomènes historiques et social, qui trouvent ses racines dans le monde objectif où vivent tous les individus et toutes les communautés : le monde de la société capitaliste, dont le seul but est de se conserver et qui trouve à se nourrir (remarquablement bien) dans la fragmentation de la société actuelle, fragmentation de la société civile en une multitude de communautés séparées, ennemies, aux droits spécifiques garantis par les institutions nationales et européennes (on parle aujourd’hui de «  droits des groupes  », «  droits des minorités  », «  discrimination positive  », pour désigner les droits spécifiques attachés à des individus du fait de leur appartenance à une communauté particulière), repli des individus dans la sphère privée, réduction des individus à leur communauté, croyance, foi, haine... tels sont les ingrédients qui composent la soupe infecte où l’on veut noyer les êtres humains. Les immigrés ne seraient plus rejetés pour des raisons « ethniques » mais pour leur appartenance supposée à une culture originelle identifiée à l’une de ses dimensions : la religion musulmane – qu’ils sont pourtant nombreux à ne pas pratiquer, et ceci même lorsqu’il leur arrive d’en conserver quelques traditions devenues coutumières. Se joue là un tour de passe-passe qui assimile la « race » à la religion en tant que matrice culturelle. On est face à une « mystification conceptuelle(…), l’assignation de tout un pan d’individus, en fonction de leur origine ou de leur apparence physique, à la catégorie des « musulmans », permettant de faire taire toute critique de l’islam, parce que celle-ci ne rentrerait plus dans la critique des religions, mais directement dans le domaine du racisme » .
Si Claude Guillon voit du « mépris » dans cet « antiracisme des imbéciles », nous y décelons surtout ce spectre qui hante la gauche : le tiers-mondisme, idéologie qui conduit à adopter de façon a-critique le parti de « l’opprimé » contre celui de « l’oppresseur ». C’est ainsi que, pendant la guerre du Vietnam, dénoncer les Américains entraînait le soutien au Viet Minh et à la politique d’Ho Chi Minh, dont les comités Vietnam scandaient le nom et brandissaient le portrait à longueur de manif ; comme aujourd’hui, défendre les Kurdes peut impliquer de soutenir le PKK et de brandir le portrait d’Oçalan. Ce qui s’est passé pendant la guerre d’Algérie où ceux qui, voyant dans le « colonisé » l’exploité par excellence, ont soutenu inconditionnellement le FLN, s’est reproduit face à la révolution iranienne de 79 et chez les pro-Palestiniens. Le tiers-mondisme a ainsi abandonné petit à petit le prolétariat comme sujet révolutionnaire pour lui substituer le colonisé, puis l’immigré, puis les descendants d’immigrés.
Ce même tiers-mondisme originel avait promu le relativisme culturel, ses successeurs ont adopté le culturalisme, qui prétend expliquer les rapports sociaux par les différences culturelles.
C’est dans les années 80, avec la grande manipulation de SOS Racisme, ce glissement est devenu une doctrine qui donnera naissance à toutes les dérives actuelles, jusqu’à assigner une identité musulmane à tous les immigrés « arabes et berbères » et leur descendants.

Devant le constat du glissement opéré au sein de toute une partie de la gauche vers l’idéologie culturaliste, il est intéressant de pointer que celle-ci est devenue, après 1968, l’angle d’attaque d’un courant d’extrême-droite : la Nouvelle droite. Son rejet de l’immigration ne repose plus sur un racisme biologique mais sur l’idée d’assignation identitaire, basée sur une vision figée des sociétés dans des traditions anciennes, et sur la nécessité, comme garantie de paix sociale, de conserver des cultures homogènes. Selon les élucubrations des néo-droitiers, pour qui les conflits sont ethno-culturels et pas de classes, les Maghrébins, par exemple, assignés à la culture musulmane, doivent en conséquence rester dans leur pays d’origine pour vivre leurs traditions entre eux ! Au passage, Alain de Benoist, chef de file de la Nouvelle droite, défend des luttes tiers-mondistes et anti-impérialistes, et nie le caractère raciste de sa « défense de l’identité européenne ». Cette évolution du discours raciste est à l’œuvre depuis quelques années au sein d’une autre formation d’extrême-droite, en quête de respectabilité, le Front national, qui reprend en partie la rhétorique de la Nouvelle droite : le problème ce n’est plus les « immigrés » mais les « musulmans ».

C’est ainsi que l’on en vient, de bords a priori radicalement opposés, à adopter un discours identitaire qui considère que tous ceux qui ont un lien d’origine ou familial avec l’un ou l’autre pays du Maghreb (ou d’autres pays « arabes ») doivent se considérer comme musulmans, sous l’appellation aberrante de « Français d’origine musulmane ». Alors que ce n’est pas en raison de la religion qu’ils pratiquent ou qu’on leur prête qu’ils sont discriminés mais parce que souvent ce sont des travailleurs immigrés ou issus de familles ayant immigré. Ce n’est pas l’identité qui est en jeu mais l’appartenance de classe. Cette « origine musulmane », qui fait bondir les athées d’origine maghrébine, travestit un stigmate social en stigmate culturel. L’Etat et les media ne s’y trompent pas quand ils font du « Musulman »,signifiant dommageable ou ariéré, une nouvelle caractérisation d’un membre de la classe dangereuse.

C’est sur ces bases que l’idéologie identitaire anti-islamophobe vient s’associer, notamment chez certains marxistes, à celle de la « race sociale », chimère universitaire d’importation récente, qui tente de plaquer ici le schéma racial et communautaire de la société américaine. Cette vision « racialiste » qui prétend créer une nouvelle classe de « race » ne sert en réalité qu’à masquer, voire à nier, la réalité du rapport social capitaliste : l’exploitation des prolétaires, de tous les prolétaires, quelles que soient leur origine, leur couleur de peau, leur religion et leurs us et coutumes personnels. La justification en serait que le racisme aurait été indispensable au développement capitaliste parce qu’il justifierait le colonialisme. En réalité, inférioriser l’opprimé a toujours été une stratégie de pouvoir qui s’applique à tous les opprimés quelle que soit leur supposée « race ». Maintenir dans leur condition les serfs, les paysans pauvres, les esclaves puis les ouvriers, passe notamment par les empêcher de s’exprimer et d’avoir accès à l’éducation, au prétexte qu’ils seraient trop bêtes et ignares pour cela, qu’ils appartiendraient à une catégorie inférieure. Rappelons que les Anglais ont durement colonisé et pillé les Irlandais et les Russes les Ukrainiens sans avoir besoin d’une telle justification. Et, dans leur ensemble, pillage et colonisation, tout comme l’exploitation proprement dite, n’ont pas besoin de quelconque excuse. Et pourtant, le racisme existe bel et bien et le rejet du « musulman » pauvre et immigré est l’une de ses manifestations. Le discours du FN, du Bloc Identitaire et de Pegida contre l’islam n’est que l’arbre qui cache la forêt :Ce sont des xénophobes qui veulent que les immigrés dégagent. L’argument culturel est sans doute plus respectable à leurs yeux que les vieilles lunes racistes basées sur des caractéristiques qui seraient innées (les noirs sont comme ci, les Arabes comme ça…).
Cette stratégie leur permet aussi de ratisser plus large, d’autant que ces mouvements exploitent à leurs fins racistes la montée réelle de l’islam radical. Si l’immigration est pour eux le fond du problème, ils se raccrochent à des arguments plus honorables tels que la défense de la laïcité ou le combat contre le sexisme. Mais, en réalité, que les immigrés (pauvres, bien sûr) soient ou non musulmans, ils sont toujours pour eux des indésirables. Le racisme, comme la xénophobie, est un outil qu’utilisent les dominants contre les dominés. Ainsi, Fredy Perlman écrit : « les colons-envahisseurs d’Amérique du Nord avaient recours à un outil qui n’était pas, tel la guillotine, une nouvelle invention, mais qui était tout aussi mortel. Cet instrument sera plus tard nommé racisme et s’intègrera dans la pratique nationaliste (…). Les gens qui avaient abandonné leurs villages et leurs familles, qui étaient en train d’oublier leur langue et qui perdaient leur culture, qui étaient dépouillés de tout sauf de leur sociabilité, étaient manipulés afin de considérer la couleur de leur peau comme substitut à ce qu’ils avaient perdu  » ; « le racisme avait été une arme parmi d’autres pour mobiliser les armées coloniales (….) et elle n’a pas supplanté les autres méthodes, elles les a plutôt complémentées  ».

Les divisions raciales deviennent, logiquement, particulièrement opérantes dans les périodes de crise où le revenu s’effondre et où l’emploi vient à manquer. C’est sur ce terrain que le FN parvient à conquérir les anciens bastions ouvriers de la gauche. Et, même à l’époque du plein-emploi, le pouvoir et ses media ont toujours plus ou moins entretenu la xénophobie, encourageant la stigmatisation successive de chacune des différentes vagues de travailleurs immigrés (les « Polaks », les « Macaronis », « les Portos » etc.). La grande différence était que, dans les unités de travail, la solidarité ouvrière prévalait sur les préjugés et que tout le monde travaillait et combattait au coude à coude.

Mais c’était avant…

Quant au terme « islamophobie », le problème n’est en fait pas la notion même mais l’usage qu’en font ceux qui la manipulent. On retrouve d’ailleurs les mêmes usages manipulatoires de la notion d’antisémitisme lorsqu’il est donné pour un équivalent de l’antisionisme et achève sa course en « judéophobie », avec l’affirmation que la critique du sionisme ne peut qu’être une attitude raciste vis-à-vis des « juifs » et non une critique du caractère colonisateur de l’Etat confessionnel qu’est Israël. L’islam politique vise, comme le dit Claude Guillon, à faire de « l’islamophobie une arme de guerre idéologique contre l’athéisme » et, plus largement, un vecteur de propagande pour la religion musulmane. Les anti-islamophobes d’extrême gauche ont des positions pour le moins ambivalentes par rapport cet islam politique. Ils prétendent ainsi interdire toute critique de la religion musulmane donnée pour une pratique raciste, dans une posture moralisatrice révélatrice d’un manque d’analyse de l’évolution de l’islam politique dans le monde depuis la révolution iranienne de 1979. (l’ Iran n’est ni la seule ni la première ni la principale puissance musulmane agissante) Quand ils n’en viennent pas à en nier l’existence même. Face au djihadisme, nos anti-islamophobes ne se laissent pas pour autant désarçonner. Après chaque attentat commis par les djihadistes en Europe (qui s’ajoute à la longue liste de leurs forfaits, notamment sur le continent africain et au Moyen-Orient), ils s’inquiètent surtout de la recrudescence d’ « islamophobie » que cela risque d’entraîner (et aussi, à juste titre, des politiques répressives) et pointent comme seuls responsables l’impérialisme occidental.

Ainsi, selon eux, les attentats de Paris du 13 novembre 2015 ne seraient qu’une répercussion des guerres menées par l’Etat français en Irak, en Libye au Mali… Les intérêts de ce dernier dans les enjeux géopolitiques au Moyen Orient et en Afrique sont évidents, mais sont insuffisants pour expliquer l’émergence et la persistance de l’Etat islamique ou de Boko Haram. Ces discours permettent tant bien que mal aux anti-islamophobes de passer sous silence les implications réelles de l’islam radical dans les attentats, ici et ailleurs dans le monde, et de nier la capacité d’initiative de leurs auteurs, les frères Kouachi ou Coulibaly parce qu’ils sont prolétaires et « issus de l’immigration »oui mais habité peu à peu par l’islam radical. On retrouve ici l’idéologie victimaire qui assigne non seulement des individus et des groupes à des identités (les femmes, les « racisés », etc.), dans des statuts figés de victimes et d’opprimés dont il ne faudrait pas critiquer les choix et les pratiques, même les plus réactionnaires.
De telles postures idéologiques amènent à occulter le caractère contre-révolutionnaire de l’islam radical qui, depuis plusieurs années, connaît en Europe occidentale (sans oublier bien sûr le Maghreb et le Moyen Orient) une progression, même s’il reste minoritaire par rapport à l’ensemble de la population qui se dit musulmane. Alors qu’il était marginal, voire quasi inexistant, l’islam radical, dont la forme la plus courante aujourd’hui est le salafisme, s’est largement répandu. Pour ces gentils anti-islamophobes, il s’agirait tout bonnement de considérer la religion musulmane avec la plus grande bienveillance parce que ce serait la religion des « opprimés ». Ils semblent oublier que la fonction même de toute religion est le contrôle social et, en l’occurrence, l’islam politique ne cesse d’affirmer partout sa vocation à contrôler au plus près la société qu’il entend régir.

Ainsi, le salafisme occupe suffisamment le terrain dans certains quartiers urbains pauvres pour pouvoir exercer un contrôle social : pendant les émeutes de 2005, les salafistes ont d’ailleurs tenté de ramener l’ordre dans certaines banlieues. L’évolution de cette tendance s’inscrit dans un contexte de crise économique, marquée par le développement du chômage de masse, d’attaques sur les salaires mais aussi de recul des politiques sociales de l’Etat. Pour y pallier, les salafistes ont su mettre en place des réseaux d’entraide économique, ce qui leur permet d’avoir une emprise sur les populations.

Ne pas perdre de vue ce rôle des religions nous semble indispensable. « Une religion est en effet un ensemble de croyances métaphysiques qui portent en elles des règles de vie bien précises, basées sur la tradition et la morale, auxquelles l’individu doit se soumettre. Il s’agit d’un rapport social, une forme de mise au pas de chaque individu et des masses dans leur ensemble. Elle recouvre en outre un rôle de justification du pouvoir, de garant de la tradition et de l’ordre établi, plus généralement d’une certaine « pacification » sociale. Cela à travers une interprétation organiciste de la société, une exaltation des hiérarchies, le refus de l’autonomie individuelle. Souvent la religion est aussi un moyen de diriger la conflictualité sociale vers des cibles fictives, ou de la brider en faisant miroiter un paradis futur. Le paradis, ce triste mensonge qui garantit la paix pour les puissants, ici et maintenant.

En donnant un espoir dans la transcendance, la religion étouffe la plupart des poussées révolutionnaires des exploités ici-bas et maintenant. Ainsi et précisément le fond du problème de la religion c’est que "l’idée de divinité est la base conceptuelle de l’autorité et sa contrepartie, la foi, celle de l’acceptation de la servitude » Si la foi et les interrogations métaphysiques sont affaires personnelles et qu’on peut se trouver au coude à coude dans une lutte avec quelqu’un qui se dit croyant sans que cela pose problème, nous voulons pouvoir affirmer haut et fort que nous sommes athées.

Affirmer notre athéisme et critiquer toutes les religions est indissociable de nos positions politiques et nous entendons librement pratiquer tant le blasphème que la dénonciation, au minimum, des pratiques religieuses et/ou coutumières coercitives, mutilantes ou humiliantes, ainsi que le statut inférieur assigné aux femmes par toutes les religions monothéistes (pour les autres, on verra une autre fois).


Enfin, précisons que, pour nous, il n’existe que deux classes, celle du capital et celle du travail. Même si, au sein de la classe exploitée, certains sont plus exploités que d’autres en raison de leur sexe et de leur origine, ils ne constituent pas une classe, ils en sont des segments créés par le pouvoir et les exploiteurs. La pensée bourgeoise, ( existe -t -il une puissance de la pensée ? ) Quel que soit son supposé bord politique, trouve là un moyen de diviser le prolétariat, de stimuler la concurrence entre les travailleurs et d’endiguer ainsi les luttes sociales. Parce que toute division de la classe du travail ne fait qu’affaiblir sa capacité de lutte et que la segmenter pour mieux la diviser permet à la classe du capital, particulièrement en période de crise, de jouer sur la concurrence de tous contre tous .L’unité n’est pas le moyen de la lutte mais son enjeu ? Ce n’est pas par l’anti-racisme qu’on combat le racisme mais par la lutte des classes. ’ Si l’on en est au point où « Penser avec la race devient un impératif incontournable » et que « tout refus de ce vocabulaire et de ce qu’il charrie sera systématiquement considéré comme de la dénégation, voire du déni, et tombera sous le coup du dispositif accusatoire »cela ferait des racistes de ceux qui, comme nous, n’adhèrent pas à cette vision. A la limite du supportable !
LAMRANI Rhadija   


[1William Edward Burghardt Du Bois dit « W. E. B. Du Bois », né le 23 février 1868 à Great Barrington, États-Unis, et mort le 27 août 1963 à Accra, au Ghana, est un sociologue, historien, militant pour les droits civiques, militant panafricain, éditorialiste et écrivain américain.