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LA TYRANNIE DE L’HYPNOSE SOCIALE
jeudi 15 octobre 2020, par
Prise entre un dangereux virus aveugle, impersonnel, et la dictature de l’économie, la classe politique affolée, déjà très affaiblie par la mondialisation en tant que pouvoir politique, est sommée de faire l’impossible, c’est à dire de prendre des décisions contradictoires et de tenir des discours paradoxaux.
En réalité, le monde moderne est pris entre :
Le marteau d’une pandémie non maîtrisée, complètement autonomisée, déclenchée par des siècles de dévastation des éléments naturels et de migrations urbaines forcées, s’invite, s’empare et menace notre santé – mettant de ce fait directement en péril le cœur nucléaire de la « civilisation » moderne : l’économie du travail
L’enclume d’une « valeur », elle aussi complètement autonomisée, qui est le véritable Sujet de cette « civilisation », et qui n’a que faire des obstacles, créés par ce virus, à la production/reproduction sans limites de cette « valeur » dont l’économie est le vecteur central
La classe politique est en présence d’un dilemme inextricable, du type nœud gordien (que je ne cesse de proposer de trancher).
Historiquement, une fois passé le temps d’installation de l’économie dans la vie sociale (jusqu’en 1914), la classe politique n’a plus tenu sa légitimité que de sa capacité à se présenter comme l’outil indispensable pour faire tourner le mieux possible le monde économique (d’où la naissance du keynésianisme, répondant à ce nouveau rôle, puis du néolibéralisme).
Non pas (comme on nous l’apprends à l’école) en tant que représentation démocratique des citoyens pour gérer la « chose publique », mais comme l’unique moyen centralisé d’assurer les équilibres économiques dans un marché concurrentiel et à tendance anarchique (« la main invisible »).
La classe politique est la garante de la « création de valeur ». Ou dit autrement, la « valeur » est le Sujet de la société productive de valeur gérée par ses institutions politiques.
Quand Macron emploie à dessein le vocable de « couvre-feu », il se réfère à la rhétorique guerrière qu’il utilisa dès le début de la pandémie : ce virus est en effet un ennemi mortel, invisible, insaisissable et omniprésent de l’économie, càd de la « création de valeur ». Le « couvre-feu » renvoie aux heures sombres de l’occupation allemande et de la guerre d’Algérie : c’est dire l’inquiétude de la classe politique, prête à rompre avec toutes les orthodoxies sacrées édictées par les gardiens du temple financier, pour éviter l’effondrement.
Le masque est vraiment la métaphore de cette société dont la crise profonde fait remonter en surface toutes ses apories, et surtout toutes ses contradictions génétiques.
Il est paradoxal d’en appeler à la citoyenneté et à la responsabilité collective au moment même où on isole les individus. C’est surtout oublier que depuis 50 ans, la doxa néolibérale répétait « il n’y a pas de société, il n’y a que des individus consommateurs et leurs familles ». En tant que grand représentant (comme ses pairs étrangers) de cette doxa, il est normal que les réactions fusent de tous côtés et en tous pays.
Le virus impose sa loi aveugle, mettant en échec (sauf quand on est en Chine totalitaire) les gouvernements qui ne pensent qu’au travers de l’économie. Il révèle au grand jour que la politique n’est pas une affaire politique mais économique (c’est en ce sens que je dénonce la politique en système capitaliste en tant que « masque »).
Prise en étau entre ces 2 contraintes aveugles et impersonnelles, la classe politique fait la démonstration de son impuissance face à une population qui demande l’impossible : à la fois préserver sa santé et son travail. Cette crise évidente de la souveraineté politique (au sens où les citoyens croient en la politique) se traduit chez les dirigeants politiques par un volontarisme impuissant que ressentent les populations.
C’est tout le sens de dirigeants autoritaires comme Trump, Bolsonaro ou Johnson, qui cherchent à démontrer qu’ils ont personnellement vaincu le virus, et que les gens doivent donc retourner courageusement au travail : « economy first ! ».
Libération titrait sur le « couvre-feu » : « Bonne nuit ! ». C’est bien cela. On ne met pas seulement sous cloche les petits plaisirs et désirs de la jeunesse : ce sont tous les gens, toutes leurs émotions, tous leurs sens qui sont mis en endormissement, et qui sont même devenus problématiques : on ne touche plus à rien, on passe son temps à se laver les mains, on ne s’approche pas. Les symptômes du covid (disparition des sens) se retrouvent dupliqués dans la société, et c’est au final toute la vie sociale et culturelle qui est mise sous cloche :
« métro – boulot – bonne nuit les petits »
Au nom de l’économie, c’est à dire de la « création de valeur », les sens de la liberté individuelle et les manières dont la société civile pourrait réagir sont stérilisées et mises sous hypnose par des « stories-telling » politiques. Comme l’écrivait K. Polanyi, il est temps de « désencastrer l’économie » de l’ensemble de la vie sociale – ce ne sera pas une mince affaire.
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