Pour bien commencer 2016, nous ne saurions trop recommander la lecture de "Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans" rédigé par Paul-Henri Thiry, baron d’Holbach, savant et philosophe matérialiste d’origine allemande [1].
Ce court texte d’une dizaine de pages, publié initialement en décembre 1790, brosse le portrait de ces intrigants qui vivent et agissent à l’ombre de maîtres qu’ils se sont choisis.
Dès la première page, le ton est donné :
L’homme de Cour est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. Un philosophe danois compare le courtisan à la statue composée de matières très différentes que Nabuchodonosor vit en songe. « La tête du courtisan est, dit il, de verre, ses cheveux sont d’or, ses mains sont de poix-résine, son corps est de plâtre, son cœur est moitié de fer et moitié de boue, ses pieds sont de paille, et son sang est un composé d’eau et de vif-argent. »
Cet essai qui va à l’essentiel est jubilatoire [2]. À sa lecture, gageons que pour certains, remontent les souvenirs de veules personnages croisés au sein d’organisations politiques, syndicales ou simplement humaines.
Personnellement, c’est un certain Walter [3] qui m’est revenu en mémoire. Entré en politique comme on entre sur scène, ce jeune homme bien élevé et petit boutiquier papetier, prit sa carte dans l’organisation où j’avais la mienne. Très vite, il reconnut les différents courants qui la traversaient et identifia les figures qui s’y dégageaient. Lui restait alors à s’attirer les bonnes grâces de ceux qu’il jugeait comme étant ses maîtres : des héritiers d’une "noble" famille ibérienne, désormais administrateurs d’une gloire passée.
" Un bon courtisan ne doit jamais avoir d’avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre… "
Comme souvent dans tous groupes, des divergences stratégiques apparaissent. Walter, qui avait fort progressé dans l’art de flatter, tissa également des liens et des réseaux. Pour répondre aux vœux de ses nouveaux maîtres qui souhaitaient sauvegarder leurs privilèges, il fut chargé d’organiser une cabale contre les "divergents". Il endossa alors le costume d’Arlequin [4] contre ceux qui, par mimétisme, était devenu "ses" propres adversaires. Avec zèle, il se lança dans l’art du discrédit, usa de l’insulte, colporta des ragots et des mensonges. Mettant sont art de la plume au service de son mandat, il devint un habile producteur de faux documents …
Hélas pour Walter, "ses ennemis" esquivèrent les flèches. Ses maîtres ne remportèrent pas la victoire escomptée. Pour le punir de son échec, ils lui refusèrent l’avantage qu’il avait sollicité en récompense de ses œuvres : une charge pour s’occuper à mi-temps de sa petite boutique…
" Un courtisan est tantôt insolent et tantôt bas "
Vexé, Walter quitta ses maîtres et l’organisation pour une autre où il tenta de revêtir son costume de courtisan afin d’obtenir la charge précédemment visée. Pas dupes et ayant eu vent de ses manipulations passées, les "maîtres escomptés" de Walter le remercièrent. Dépité mais obstiné, il reprit alors le chemin vers ses anciens princes, fit amende honorable et entreprit d’obtenir leur pardon.
Quel respect, quelle vénération ne devons-nous pas avoir pour ces êtres privilégiés que leur rang, leur naissance rend naturellement si fiers, en voyant le sacrifice généreux qu’ils font sans cesse de leur fierté, de leur hauteur, de leur amour-propre ? Ne poussent-ils pas tous les jours ce sublime abandon d’eux-mêmes jusqu’à remplir auprès du Prince les mêmes fonctions que le dernier des valets remplit auprès de son maître ? Ils ne trouvent rien de vil dans tout ce qu’ils font pour lui ; que dis-je ? ils se glorifient des emplois les plus bas auprès de sa sacrée personne ; ils briguent nuit et jour le bonheur de lui être utiles, ils le gardent à vue, se rendent les ministres complaisants de ses plaisirs, prennent sur eux ses sottises ou s’empressent de les applaudir ; en un mot, un bon courtisan est tellement absorbé dans l’idée de son devoir, qu’il s’enorgueillit souvent de faire des choses auxquelles un honnête laquais ne voudrait jamais se prêter. »
Le texte du baron d’Holbach, tombé dans le domaine public, est publié chez Allia. Il aurait tout aussi bien pu trouver sa place dans le catalogue d’une édition d’expression libertaire à côté de titres ayant la même volonté d’aiguiser les esprits.