Le gouvernement espagnol « de gauche » a célébré le 8 mai la journée de l’exil car selon lui, « elle permet de relier le peuple espagnol à la mémoire démocratique européenne, et place les victimes espagnoles de l’exil dans le cadre de la victoire alliée contre le nazisme et le fascisme, pour laquelle ces compatriotes ont fait tant de sacrifices pendant la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale ». Cette commémoration a eu lieu à Madrid en présence de Carmen Calvo, la vice-présidente socialiste, de Francisco Martinez, le secrétaire d’État à la mémoire historique socialiste et les organisations satellites du gouvernement que sont l’Association des descendants de l’exil de Madrid et l’Association 24 août 1944 de Paris.
Mais, on peut se poser la question, pourquoi commémorer le 8 mai 1945 ? Ce jour-là, une partie des déportés républicains avaient été libérés des camps nazis, mais ne pouvaient pas pour autant revenir en Espagne. La libération d’une partie de l’Europe n’a pas remis en question l’existence de la dictature franquiste qui a survécu trente ans de plus au cours desquels de nouveaux exils ont été générés, des milliers de personnes ont été torturées, persécutées pour leurs idées et tuées.
(la vice-présidente Carmen Calvo)
Le gouvernement a rejeté la proposition de l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH), la plus importante des associations de mémoire espagnole, de commémorer comme journée de l’exil républicain le 22 février, date de la mort du poète Antonio Machado, sur le sol français. Cette date symbolise parfaitement le parcours de milliers de personnes qui ont fui le fascisme espagnol à travers les Pyrénées et dont beaucoup sont morts sans jamais reposer le pied sur le sol espagnol.
En ce qui concerne la date à laquelle le gouvernement entend commémorer les victimes de la dictature, l’exécutif a choisi le 31 octobre, jour de l’approbation par le Parlement du texte de la Constitution de 1978, avec les arguments suivants : « Le processus constituant en général, et la Constitution espagnole de 1978 elle-même, sont l’exercice de réconciliation par excellence du peuple espagnol et le triomphe définitif des valeurs de liberté, d’égalité, de pluralisme politique et de diversité territoriale pour lesquelles ont lutté les victimes du coup d’État militaire et de la dictature franquiste ».
L’ARMH avait proposé que la date de commémoration des victimes de la dictature soit le 12 décembre, car ce jour-là, en 1946, l’Assemblée générale de l’ONU a condamné la dictature de Franco et c’est une date à marquer sur le calendrier. Le texte de la résolution stipule que : « Par son origine, sa nature, sa structure et sa conduite générale, le régime franquiste est un régime à caractère fasciste, établi en grande partie grâce à l’aide reçue de l’Allemagne nazie d’Hitler et de l’Italie fasciste de Mussolini ».
(Véronique Salou, présidente de l’association 24 août 1944)
La date du 31 octobre 1978 ne peut pas permettre de commémorer les victimes de la dictature parce que le texte a été approuvé par un Parlement issu d’élections auxquelles la participation des partis républicains était interdite et parce que la Constitution ne mentionne ni ne rappelle les victimes de la dictature ni ne reconnaît la lutte de milliers d’hommes et de femmes pour reconquérir leur liberté. Le texte de la Constitution a pratiqué le négationnisme à l’aide d’un « pacte du silence », elle ne peut servir à commémorer les victimes.
Le PSOE, le Parti socialiste au pouvoir, aujourd’hui, était à l’origine signataire en 1977 du Pacte de Moncloa avec toutes les forces politiques de l’époque, de la Phalange au Parti communiste. Un pacte législatif qui devait rétablir la monarchie, après 40 ans de dictature fasciste, et mettre fin, à travers une loi d’amnistie, à toute possibilité de poursuites contre les assassins et les persécuteurs de millions d’Espagnols pendant et après la guerre. Le PSOE au pouvoir est le parti qui a le plus longtemps gouverné l’État espagnol depuis 1978, il a été le principal garant de l’impunité des crimes de Franco et de la continuité de l’appareil d’État franquiste, du système judiciaire, de la police et de l’armée.
(…l’exil)
La grande majorité des associations de mémoire en Espagne et en France refusent les deux dates commémoratives proposées par le gouvernement espagnol. Si l’État a mis en place deux fausses dates qui ne représentent pas la réalité des exilés et des victimes, il rend un mauvais service à la démocratie et à la liberté, au lieu de résoudre un problème avec dignité, il en génère un autre.
Daniel Pinós
Source : http://memoire-libertaire.org