Après la Convention Nationale des Républicains (RNC), en 2008, à St Paul (Minnesota) , il y a eu au Black Dog un débat sur "politique et musique" [2]. Dean Magraw [3], guitariste à l’aise dans des champs très divers : jazz, folk et d’autres trucs a livré cette réflexion qui rejoignait la mienne, lui de États Unis et moi d’ici : à un moment, on pouvait aller dans une manif, le lendemain on allait dans un concert, ou vice et versa et on y retrouvait des gens en commun. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On a l’impression qu’on vit dans des mondes séparés. Je n’aime pas cette idée la.
À une époque, au festival de Châteauvallon par exemple, les gens parlaient de LIP. Aujourd’hui, on figure trop et on est pas assez. Règne une certaine forme d’absence, de consommation tranquille (y compris de formes plus politiques). C’est tout ca qu’il faut bousculer, relier la musique à la vie "tout court" parce que c’est ce que c’est. Dans les musiques traditionnelles, les gens font une fête, il y a une musique pour la fête, ils font l’amour, il y a une musique pour l’amour, ils font la guerre (pas la meilleure idée), il y a une musique pour ça etc. C’est au cœur de la société. Pour nous, c’est partout, sauf au centre et on ne sait plus trop à quoi ca correspond. Ce qui m’intéresse, c’est le sens. Les disques avec Tony Hymas [4] et Barney Bush (un poète amérindien) [5] sont révélateurs de ce désir. Barney Bush dit que ses textes sont ceux du messager et que la musique est le canoë qui l’emmène.
C’est comme quand tu lis un journal. Tu as les pages économiques, vie de société et à la fin, tu as les pages culture (de moins en moins) et tout ca séparé. Tu pourrais très bien avoir un truc sur la vie d’un quartier, la musique des gens de ce quartier. Il y a une passivité du public qui me frappe. Il vient trop consommer : "je suis intelligent, j’ai écouté du classique ou du jazz, je fais le plein de mon truc, c’est bon. Je rentre chez moi, ma vie n’a pas changé".
Dans Zugzwang, le premier disque d’Ursus Minor [6] le rappeur Boots Riley [7], dit : "L’écoute du disque ne changera pas votre vie, mais c’est ce que vous allez faire après l’avoir entendu le peut". Je me relie assez à ca. Bien entendu, on est dans une sorte d’abstraction, on n’appuie pas sur telle note qui va produire telle chose, mais c’est une abstraction transformable qui peut porter un certain nombre d’idées et de faits assez concrets aussi.
(Entretien avec Jean Rochard, paru dans AutreFutur - le Mag N°5, de mars 2012)
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