Trois objets récemment parus nous parlent du temps de ce temps à partir d’un autre temps, des fragments du devenir : les parutions de deux petits livres Les fantômes de mai 68 de Jacques Kebadian et Jean-Louis Comolli [1], De Motu d’Evan Parker [2] et d’un album discographique Both directions at once : the lost album de John Coltrane [3].
Le titre de ce disque du signataire pétrisseur de "My favorite things" est posthume bien sûr, la classique histoire de bandes retrouvées ci-ou-là, sur une étagère, dans un garage ou dans une boîte à thé. Il y a eu des Lost albums d’Elvis Presley, Alexis Korner, Doris Day, The Trashmen, Johnny Thunders, Rod Stewart, Paul McCartney, The Kinks, Patto, Fred Wesley and the JB’s, Eddie Harris et des dizaines d’autres. Un Lost album, c’est très différent d’un Last album, comme ceux d’Albert Ayler ou Lee Morgan par exemple, en cela qu’il n’a pas de valeur testamentaire autre que celle d’un soudain possible trait d’union pouvant à nouveau éclairer sinon toute une œuvre, au moins un coin de la forêt. Coltrane, Elvin Jones, Jimmy Garrison et McCoy Tyner y livrent l’éclat d’un moment à deux têtes où s’entrechoquent la valeur de l’histoire et la décharge des traces chéries vers une sorte d’unité de sens pourtant multiple. Deux directions en une.
Les acteurs de Mai 68 ont connu leur lot de lost et last jusqu’à paraître pour des fantômes. Les images arrêtées de Jacques Kebadian proviennent du film qu’il avait tourné avec Michel Andrieu en mai 1968, Le Droit à la parole . Le texte de Jean-Louis Comolli leur redonne un autre mouvement, un autre transport, que celui d’un défilement de 24 images par secondes, celui de la pertinence du geste révolté, de la résistance féconde, du possible départ à tout moment de l’imprévisible train à partir des abords. Le commencement est un ralliement où vivre ses amours véloces en alliance idéale.
Directions complémentaires, le mouvement : De motu. Retour sur les mots d’Evan Parker prononcés à Rotterdam en 1992. Sur la couverture le saxophoniste réfléchit devant une photo de John Coltrane. On sait la filiation. Le texte évoque les fragiles contours de l’improvisation libre, "la façon de remplir l’espace ", "la force de la musique résidant dans sa capacité à indiquer une dimension au-delà du banal ", "les limites de l’endurance " . Le vécu n’est pas une simple forme architecturale. Deux directions en une.
Trois commentaires sur la beauté qui sont la beauté où l’apparente violence de l’expression abolit la douleur, jusqu’au vaste silence et le bruit de tous ses habitats, jusqu’à la végétation où grandissent les amitiés, les bonheurs fuselés. "Aussi limité que cela puisse paraître, il semble que même les publics qui réclament du "connu" aient besoin d’une musique renouvelée." [4] "Nous revenons à nous et, qui sait, nous allons vers les autres. Aucune autre nécessité que celle d’aller vers une vie bonne et de la partager. telle est l’utopie qui nous a conduits." [5]
Article original publié par nato