Lincoln Park, banlieue de Detroit, 1964.
Rob Tyner (chanteur chevelu), Fred "Sonic" Smith et Wayne Kramer (guitares), Pat Burrows (basse) et Bob Gaspar (batterie) montent leur groupe : Le Motor City Five : Motor City en référence au surnom de la ville de Detroit et "five" pour les 5 membres du groupe…
À Détroit, dans les sixties, se développe une scène rock conséquente associée à un violent mouvement de contre-culture et John Sinclair, leader de l’underground y réuni, au début de l’année 1967, divers artistes contestataires en vue de fonder un mouvement dévoué à la révolution culturelle. Le bouillonnement contestataire culmine avec les émeutes du 23 juillet 1967, qui font 43 morts et 467 blessés.
Juillet 1967 : Detroit s’embrase.
La ville symbole de l’industrie automobile connaît alors un relatif déclin. De 1947 à 1963, elle a perdu 13 4000 emplois industriels. En 1966, 20 000 habitants, surtout des Blancs de la classe moyenne, déménagent. Les quartiers populaires où s’entasse une population noire en surnombre, sont sinistrés, malgré les programmes sociaux du maire Jerome Cavanagh.
Le comportement de la police locale, connue pour son racisme et sa brutalité met le feu aux poudres. Dans la nuit du 22 juillet 1967, les policiers arrêtent un groupe de consommateurs noirs dans une boîte de nuit. Le voisinage s’attroupe et les gens révoltés par l’attitude des policiers s’attaquent aux commerces à proximité. Des dizaines de milliers de jeunes noirs envahirent les rues de la ville dans une ambiance de terreur et de révolution.
C’est le début de six jours d’émeutes et de pillages auxquels participent plusieurs dizaines de milliers de jeunes chômeurs noirs. Romney, le gouverneur du Michigan, qui survole la ville en hélicoptère, constate que "Detroit ressemble alors à une ville après un bombardement." Le 24, il fait appel à 12 700 militaires, policiers et gardes fédéraux pour mâter l’insurrection. Au bout du compte, 43 personnes sont tuées, 467 blessées, plus de 7 200 arrêtées ; 1 700 commerces sont pillés et 2 000 bâtiments incendiés. [1]
White Panter Party
Après ces événements, le mouvement de Sinclair devient le White Panter Party, d’inspiration maoïste et se veut le pendant du Black Panter Party d’Elridge Cleaver [2] et Huey P Newton [3]. Sinclair devient manager du MC5 qui, lui même, devient le porte parole du White Panter Party [4]. Le groupe milite pour la révolution, la libre consommation de marijuana, de LSD et l’amour dans les rues. Anti-conformistes et agressifs, les shows débutent par "Foutons tout en l’air bande d’enculés ! " et se terminent souvent en bastons généralisées…
(Rob Tyner, MC5. Photo by Leni Sinclair.)
"Motor City Is Burning"
Le MC5 ne se résume pas au seul "Sex, Drugs, and Rock & Roll" des sixties… Avant de jouer le rageur "Kick Out The Jams", les concerts débutent par un appel à la subversion : "Il vous faut 5 minutes, 5 minutes pour décider si vous voulez être le problème ou si vous voulez être la solution".
Dans leur premier album "live" enregistré les 30 et 31 octobre 1968 au Grand Ballroom de Detroit, outre cet appel, figure "Motor City Is Burning", l’adaptation d’un morceau écrit par John Lee Hooker, après les émeutes raciales de 1943 [5].
Tyner y fait l’éloge des snipers du Black Panter Party pendant les émeutes de Detroit en 1967.
"Motor city is burning" MC5
Détroit est en train de cramer, baby,
et rien de peut l’empêcher, les mecs,
Détroit est en train de cramer
et la société blanche ne peut l’éviter.
Ma ville est en train de brûler totalement
et c’est encore pire qu’au VietnamLaissez-moi vous dire comment ça a commencé...
cela a débuté au coin de la 12ème et de la rue Clairmont ce matin là.
C’était la panique chez les flics,
les voitures de pompiers continuaient d’arriver
mais les snipers des Black Panthers ne les laissaient pas éteindre les incendies.Il y avait des bombes incendiaires éclatant un peu partout,
il y avait des soldats partout
il y avait des bombes incendiaires éclatant tout autour de moi,
il y avait la garde nationale partout.
J’entendais la population criait.
Les sirènes hurlait dans l’air (3X)Ton père et ta mère ne comprennent pas l’origine du problème.
Ils ne saisissent pas ce qui se passe.
Ton père et ta mère n’y comprennent rien, baby,
ils ne peuvent pas voir ce qui se passe
Lis les nouvelles, lis les journaux, baby ?
Tu as juste à sortir dans la rue pour les vérifier.Détroit est en flamme
Je ne vais rien faire pour éteindre l’incendie (2X)
et bien, je pars avec ma femme, la populace et ???
Eh bien, juste avant de partir baby ???
les pompiers dans la rue, des gens tout autour,
maintenant, je devine que c’est vrai,
je voudrais juste craquer une allumette pour les libertés
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi.
oui, c’est devenu réalité, c’est devenu réalité.
Dans ce même album, à coté des classiques "Rama Lama Fa Fa Fa" ou "Kick Out The Jams" on trouve "Starship", inspiré par Sun Ra [6] qu’écoute le groupe.
La maison de disque (Elektra) opère une censure. Au lieu de "Kick Out The Jams, Motherfucker !", on entend "Kick Out The Jams Brother And Sisters"… et certaines éditions de l’album sont amputées des notes de pochettes incendiaires de John Sinclair.. [7]
– Kick Out The Jams, Motherfucker & Motor City Is Burning
"C’est de la boue "
L’album est salué par l’ensemble de la critique, sauf par Lester Bangs [8], qui, dans le magazine Rolling Stone du 5 avril 1969, le décrit comme "ridicule, arrogant et prétentieux, et de la qualifier de "Punk" (c’est de la boue). Sans le savoir, il allait être l’un des premiers à "nommer" un nouveau genre musical et culturel… [9] (Quelques années plus tard il se rétractera pour encenser l’album…)
Punk, punk-Rock, R&B et Free Jazz…
Dans l’album "The Big Bang ! : Best of the MC5", sorti en 2000, figurent 21 morceaux dont "Ramblin’ Rose", "Kick Out the Jams" ou "Rocket Reducer No.62 (Rama Lama Fa Fa Fa)". Le label WEA / Atlantic Records n’a retenu que le répertaoire Punk-Rock.
Mais, dans ses débuts, MC5 n’est pas différent des autres garages bands. Il joue principalement des reprises des Rolling Stones, des hits de la Tamla Motown [10], James Brown, Chuck Berry, les Yarbirds ou les Them.
Très vite, le MC5 aspire à jouer autre chose et ce d’autant plus que Tyner [11] , Smith et Kramer apprécient Ornette Coleman, Albert Ayler, John Coltrane, Archie Sheep et le Free Jazz (ou Jazz Libertaire) dont l’écriture est souvent liée aux revendications du "Black Power" [12]
Avec "James Brown medley", "Motor City Is Burning", "It’s A Man’s Man’s Man’s World" ou "Born under a bad sign", le R &B et le Blues côtoient le punk-Rock sans hiérarchie.
Ils empruntent également à Pharoah Sanders [13] un morceau phare du Free Jazz de 1966 qu’ils réinterprètent : "Upper Egypt & Lower Egypt" [14]. Le groupe joue désormais devant plus de 1000 personnes.
"Notre show est basé sur la rythmique de James Brown. Il débute à dix heures et demie et ensuite... Dans un mauvais jour, nous sommes grands, dans un bon jour, nous sommes incroyables" [15].
Le troisième et dernier album, "High Time", parait en 1971. C’est le plus expérimental et le groupe fait montre de ses influences avec des titres comme "Sister Ann", "Future/Now" et "Skunk" influencé par Sun Ra. Devant la faiblesse des ventes, Atlantic vire le groupe. Le désarroi gagne le MC5 qui désormais se retrouve à jouer devant quelques dizaines de fans alors qu’il en réunissait plus de mille à leur grande époque. C’est la dissolution début 1973.
MC5 : punk or not punk ?, telle n’est pas la question
Pour l’amateur de punk, ou d’autres musiques-mouvements, il est toujours intéressant de regarder un peu en arrière, en quête de groupes ayant contribué à cette éruption musicale. Non pas les sempiternels Clash ou Sex Pistols [16], qui ont fait connaître le mouvement au grand public, mais plutôt leurs ancêtres. Parmi tous ces groupes éphémères, fruits de la vague garage-rock, le MC5, avec son énergie révolutionnaire, se trouve en bonne place dans l’arbre généalogique [17]. Ne les considérer que comme un "proto-punk" (au nom d’une "étude") ou les exclure (au nom d’une "pureté") et s’en contenter, serait passer à côté d’une autre facette du groupe, bien plus importante. Déjà, dans les sixties, derrière les mots et les étiquettes, les critiques ou les amateurs puristes entretenaient un rapport ambigu (et récurent), avec la contre-culture populaire, qui s’oppose à la fois à l’objectivation des discours contestataires, mais aussi à leur unification dans un mouvement qui se revendiquerait d’ "Avant-garde"…
À ceux qui idolâtrent le punk en excluant tout autre culture "impure" ou le muséifient en ne retenant que "l’artistico-esthétique" [18], il est bon de leur rappeler les racines du MC5 et le cri lancé en ouverture de leurs concerts : "Il vous faut 5 minutes, 5 minutes pour décider si vous voulez être le problème ou si vous voulez être la solution "…
Merci à "lhistgeobox.blogspot.fr", "archives.gonzai.com" et "marseillechatbleu" pour leurs documentations en ligne.