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L’araignée et le cinéma
lundi 17 septembre 2012, par
« L’araignée dit : “l’heure est venue de nous organiser : pour de meilleurs salaires, pour de meilleures conditions de travail, pour des bottes et des gants, pour qu’on nous paye ce qu’on nous doit, pour un syndicat indépendant.”
Lis et fais passer. »- Paco Ignacio Taibo II, Deux histoires de l’araignée
(Par Théo Roumier, SUD Éducation/Solidaires Loiret)
À Orléans, le samedi 15 septembre, les salarié-es du Cinéma Les Carmes se sont mis en grève. Précisions à toutes fins utiles : le cinéma en question, classé “Art et essai” emploie 8 personnes – 5 à plein temps, 3 à temps partiel. Une “toute petite entreprise”, TPE, du secteur de la Culture donc [1].
Une entreprise dont on pourrait penser qu’en son sein l’ambiance au travail ne peut être que, et c’est certain, décontractée. Pensez-vous : quand on programme régulièrement Ken Loach, qu’on débat autour du réjouissant film We want sex equality [2] ou du stimulant documentaire À l’ombre de la république [3], on ne peut qu’être “engagé”. Ce serait oublier la nature profonde du rapport salarial...
TPE : Travailleurs Précaires et Exploités ?
“Les Carmes”, comme on dit à Orléans, est un petit cinéma de trois salles. Installé dans une des artères les plus populaires de la ville, l’immeuble appartient à la Mairie. Les services administratifs sont à l’étage et un espace de débat et de restauration – aujourd’hui fermé – a été aménagé au sous-sol. Comme l’araignée des nouvelles de Paco Ignacio Taibo II [4], l’action syndicale s’est invitée au Cinéma Les Carmes.
L’arrivée d’un nouveau gérant il y à deux ans en aura été le déclencheur. Instaurant une organisation du travail en open space, ce sont d’abord les personnels administratifs qui ont fais les frais de ses méthodes de management, assez particulières. Très peu de temps après son arrivée, un courrier de mise en garde du secrétaire départemental du syndicat SUD Culture Loiret atterrissait sur son bureau... Deux salariées sont alors syndiquées à SUD.
Si le courrier fait d’abord son effet, et fait souffler les personnels, c’est lentement mais sûrement que la situation va se dégrader.
Le quotidien au travail est dès lors émaillé de pressions diverses : menaces de licenciement, régulièrement invoquées ; pressions nerveuses (le trop fameux “bon stress”) ; ordres contradictoires ; tactique éprouvée du “diviser pour mieux régner” ; cris sans chuchotements. Il arrive trop souvent que les salarié-es, à bout de nerfs, craquent. À cela s’ajoute un certain mépris pour les contrats et la convention collective, interprétée de façon plutôt libre, mais aussi des difficultés régulières dans le paiement des salaires et des heures supplémentaires. « Les heures supplémentaires doivent être payées double », rappelait l’araignée de Taibo II. Il arrive même qu’il faille revendiquer qu’elles soient payées tout court !
Il n’y a pas de petite grève
Alors, à l’initiative de la section SUD Culture, la grève se prépare. Les salarié-es font état de la situation au pôle juridique de Solidaires Loiret (constitué des Conseillers du salarié et d’un avocat militant). En toute discrétion, « la cessation collective et concertée du travail » (cour de cassation, 17 janvier 1968) est programmée pour un samedi de septembre, jour de haute fréquentation. Comme le permet le code du travail, aucun préavis n’est envoyé. La totalité des salarié-es soutient l’initiative. Ils/elles se réunissent à plusieurs reprises pour organiser leur action, en déterminer collectivement les modalités. Un tract est élaboré, le principe d’une pétition est arrêté [5]. Lorsque le 15 septembre le gérant appelle au téléphone les personnels non postés pour leur demander de remplacer les grévistes, il essuie un refus net et sans bavures.
Le jour dit, à 12h30, le travail s’arrête. Il ne reprend que pour la dernière séance. Tout l’après-midi, un piquet de grève est installé devant le cinéma et l’ensemble des salarié-es y participe. Table de jardin, drapeaux aux vents, banderole fait-main... Des militant-es de Solidaires (SUD PTT, Éducation, Culture) aident les grévistes, distribuent les tracts aux passant-es, expliquent la situation et font signer la pétition. Douze séances sont annulées et le gérant estime les pertes à plus de 2000 euros (bien plus que ce que vont perdre les salarié-e-s qui ont pris la précaution de se munir d’une caisse de solidarité). Ultra-majoritairement les spectateurs et spectatrices du cinéma se solidarisent avec les grévistes et signent la pétition-papier (plus de 180 signatures récoltées le jour-même). Le gérant, occupant seul le hall du cinéma, tente pour sa part de jouer la contre-information, oscillant au fil de la journée entre tentatives de négociations maladroites (refusées unilatéralement par les salarié-e-s) et d’intimidations (menaces, recours aux stagiaires, appel des RG). Interrogé le lendemain dans la presse locale, il persiste et signe : « Je revendique le droit de donner un ordre. La gestion d’une entreprise entraîne des pressions. ». C’est un point de vue.
Les salarié-es des Carmes en ont un autre, que résume assez bien un texte de l’Union syndicale Solidaires : « Dans la tradition du monde du travail la grève est un rappel de la place centrale qu’occupe le/la travailleur/se. Sans travailleur pas d’entreprise, pas de service...La grève est là pour rappeler à ceux qui l’oublient trop souvent : les salariés sont au cœur de l’entreprise, sans eux, rien ne fonctionne ! » [6]. Le 15 septembre, c’est cette réalité qu’ont affirmé, sereinement mais fermement, les salarié-es du cinéma. La petite araignée a tissé ce jour-là des fils solidaires que rien ne cassera.
Un dernier conseil : « Lis et fais passer ».
Nota bene : Cet article est une analyse « à chaud » du conflit. Les propos qu’il contient
n’engagent en aucune façon les personnels du cinéma Les Carmes.
[1] Les TPE, très petites entreprises, sont des entités de moins de 11 salarié-es. Les salarié-es des TPE et celles et ceux de particulier sont dans l’hexagone près de 4 millions. Ils/elles ne disposent d’aucunes institutions représentatives du personnel. Ils voteront électroniquement du 28 novembre au 10 décembre prochain. Pour de plus amples informations, voir le mini-site que consacre Solidaires à ces élections : http://elections2012tpe.wordpress.com/
[2] We want sex equality, film britannique de Nigel Cole, raconte la grève des ouvrières de Ford-Dagenham pour l’égalité salariale
[3] À l’ombre de la république, documentaire français de Stéphane Mercurio suit le travail des membres du Contrôle général des lieux de privation de liberté. Voir le site du film : http://www.alombre.fr/
[4] Paco Ignacio Taibo II, Deux histoires de l’araignée, Les Éditions de la Mauvaise Graine, 2000
[5] La pétition de soutien aux salarié-e-s est en ligne à l’adresse suivante : http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N29008
[6] L’Union syndicale Solidaires a édité une série de 26 fiches, « Connaître ses droits ». Voir celle sur le droit de grève, consultée fort opportunément par les salarié-e-s des Carmes : http://www.solidaires.org/article36252.html