La République dominicaine, une chasse gardée des USA
– Après l’exécution en 1961 du dictateur Rafael Leonidas Trujillo [1], Juan Bosch [2] est élu à la Présidence de la république avec le soutien des classes populaires et du Parti révolutionnaire dominicain. Dès sa prise de fonction, il lance de profondes réformes. [3]
– Le 25 septembre 1963, le colonel Elías Wessin de l’armée de l’air dominicaine chasse Juan Bosch du pouvoir.
– Le 24 avril 1965, un groupe d’officiers, dirigé par les colonels Vinicio A. Fernández Pérez, Giovanni Ramirez Gutierrez, Francisco Alberto Caamaño Deñó, avec un soutien populaire massif, lance un mouvement civil-militaire pour le rétablissement de la constitution de 1963 et le retour de Juan Bosch à la présidence.
– Quatre jours après la victoire du peuple dominicain, le président Lyndon B. Johnson ordonne l’invasion de la République dominicaine. Avec le soutien de l’Organisation des États américains (OEA) et sous le couvert de "ne pas permettre un autre Cuba dans la Caraïbe", il lance 42 000 Marines dans l’opération "Power Pack”. Cette invasion sera la deuxième en moins de 50 ans [4]. Elle durera un peu plus d’un an et entrainera le massacre des milliers de dominicains.
– D’avril à septembre 1965, "le peuple dominicain fera face à la plus grande puissance du monde". Après une offensive majeure qui faillit rompre la ligne de communication entre les forces des États-Unis et celles de l’Organisation des États américains, l’infanterie parachutiste US et d’autres unités contre-attaquent. Convaincus de la détermination des États impliqués dans la crise, les dirigeants dominicains entamèrent des négociations pour mettre en place d’un gouvernement intérimaire acceptable jusqu’à ce que des élections générales aient lieu.
– Le 1er juillet 1966, les élections porteront au pouvoir Joaquín Balaguer, un docile collaborateur de Trujillo. Contraint à l’exil, Juan Bosch s’installe en Espagne.
Dans "Le Monde" de mai et juin 1965, le journaliste Marcel Niedergang relate la résistance populaire dominicaine
Les milices populaires ont craqué devant les chars et les mitrailleuses dans les quartiers nord de Saint-Domingue. Après quatre jours et quatre nuits de violents et sanglants combats, les troupes du général Imbert ont finalement réussi à pousser leur avance jusqu’aux approches de l’avenue Duarte et du marché de Villa-Consuelo.
À 6 heures du matin, mercredi, l’immeuble de Radio-Santo-Domingo était pris d’assaut. Ce bâtiment, qui abrite aussi la télévision, se trouve à 200 mètres au nord de l’avenue Francia et du corridor tenu par les “marines”. Il avait été bombardé jeudi dernier par les chasseurs du général Wessin... Des combats sporadiques se sont poursuivis toute la journée de mercredi dans le nord-est de la ville mais la résistance populaire vient de subir sa première défaite... Les civils se sont battus pratiquement tout seuls, car peu de militaires ayant rallié le mouvement du colonel Camano se trouvaient au nord du corridor.
Les milices, dans ce secteur, sont surtout encadrées par des ouvriers appartenant au Mouvement Populaire Dominicain, une organisation de gauche. Leur sacrifice aura déjà fait gagner cinq jours, qui peuvent être précieux pour le soulèvement du 24 avril...Dans la basse ville, on dresse des barrages de bidons d’huile assez dérisoires qui voudraient être des barricades, ou l’on s’embusque derrière des camions de livraison renversés. Les armes sont disparates. Les costumes aussi. On voit des civils en casque rond et bas, et des militaires en calot... Les revolvers gonflent les poches des blue-jeans des employés et des étudiants. Toutes les femmes décidées à combattre sont en pantalon...
Des garçons de seize ans serrent farouchement leur fusil contre leur poitrine comme s’ils avaient attendu ce cadeau depuis le début du monde. Sans cesse, Radio-Santo-Domingo lance des appels au peuple. On lui demande de se porter en masse vers tel ou tel point de la ville où l’on redoute une attaque de Wessin... C’est là, au débouché du pont Duarte et au carrefour de l’avenue du Lieutenant-Amado-Garcia, que la foule se masse, cocktails Molotov en main. Elle vient de la basse ville et aussi des quartiers nord. Elle paraît à la fois insouciante et déterminée. Quand les chasseurs de Wessin apparaissent en rase-mottes dans l’axe du pont, des milliers de poings se lèvent avec fureur vers les appareils. Après le crépitement des rafales, des dizaines de corps restent recroquevillés sur le sol, et la foule reflue vers les maisons. Mais elle revient et chaque passage des appareils suscite la même explosion de colère impuissante et de défi insensé, et laisse une nouvelle traînée de cadavres. Mais il semble décidément qu’il faudrait tuer toute cette ville pour lui faire quitter le pont Duarte. Le lundi 26 avril au matin, l’ambassadeur Tapley Bennet Jr. est rentré de Floride.
Le soir le “navire d’assaut” SS Boxer avec quinze cents “marines” à bord arrive devant Saint-Domingue. Marcel Niedergang 21 mai et 5 juin 1965.
Des dominicaines dans les milices
Dans son papier, Marcel Niedergang évoque en une ligne les dominicaines :
"Toutes les femmes décidées à combattre sont en pantalon…"
Dans cette société marquée par le machisme, hérité de la culture hispanique, le combat des femmes, qui s’était davantage porté sur la poésie ou l’éducation, en 1965, a rejoint la révolution.
Comme Teresa Espaillat Hernández, Amadea M. Conde de Isa (Doña Chelito), Carmen Ascuasiati de Alfau, Delta Bohemia Soto Grullón, Emma Tavarez Justo, Magaly Pineda ou Belkis Maldonado [5], elles animeront des ateliers de culture populaire, de politique, d’alphabétisation ou de propagande. Mais elles assumeront également des tâches logistiques ou la préparation des cocktails molotov. Et les armes à la main, elles résisteront aussi à l’invasion étasunienne.
Comme l’affirme Teresa Espaillat Hernández : "Ce fut une guerre populaire et les femmes, nous sommes une partie du peuple ". Dans les milices, elles se sont assumées en sujets de l’histoire.