Il y a des dates qui marquent l’histoire et si le XXè siècle s’ouvre calendairement le 1er janvier 1901, c’est bien en 1917 qu’il débute concrètement.
Sur trois points majeurs de cette année 1917 (La révolution d’Octobre, Craonne et Dada), les organisateurs, commissaires et leurs sponsors, qui pourtant annoncent vouloir "interroger ce que représente, pour l’activité artistique, un contexte aussi resserré et précis qu’une année, tout en déjouant les attentes et les a priori sur ce que peut être l’art en temps de guerre ", nous donnent à voir une expo qui, bien que plaisamment scénographiée, n’apporte aucun éclairage intelligent [1] sur les bouleversements que 1917 va engendrer et qui donnera ses bases à l’art moderne et au monde contemporain…
Février 1917 : la révolution d’Octobre
Elle ouvre l’espoir d’un soulèvement révolutionnaire en europe et l’Allemagne de 1918-1919 vivra la révolution Spartakiste et les communes de Berlin, de Munich ainsi que l’avènement du Bauhaus à Berlin, Weimar ou Dessau-Roßlau. Plus qu’un mouvement "artistique", le Bauhaus [2] sera un mouvement révolutionnaire dans ce sens ou, selon Walter Gropius , l’objet, l’habitat et l’esthétique seront dès lors pensés comme "une nouvelle construction de l’avenir"… [3]
Dans cette même veine, luttant à sa manière contre la montée du nazisme après l’écrasement des spartakistes par le ministre de la Défense de la république de Weimar, Gustav Noske [4] , aidé des "Corps francs" [5] , John Heartfield [6] , avec George Grosz [7] , fut l’un des premiers à utiliser la technique du photomontage.
En URSS, de 1917 à 1921, le constructivisme, élaboré par "une nouvelle école graphique", met l’Art au service de la révolution. Mouvement radical et essentiel dans l’histoire du graphisme mondial, il marie l’Homme et La Machine sur les bases d’un avenir nouveau promis par la révolution.
Avril 1917 : Craonne
Après l’offensive désastreuse au Chemin des dames par le Général Nivelle, des soldats mutins d’une cinquantaine de régiments, entonnent la chanson de Craonne.
En novembre 1917, Lénine et Trotsky déclarent : " Les peuples permettront-ils à la diplomatie de laisser tomber la grande possibilité de paix ouverte avec la révolution russe ?"
En Espagne, l’UGT et la CNT lancent un manifeste commun, pour dénoncer la politique économique adoptée par des entreprises espagnoles, fournissant des matières premières et s’enrichissant grâce à la guerre. En aout-septembre, c’est la grève générale.
Rentrés du front, un grand nombre de démobilisés regarde vers la Russie et comme l’écrit Pierre Monatte en 1919 : "À l’heure où la révolution vient sur nous comme est venue la guerre ... nous savons que le gouffre est là et nous savons que nous devons le sauter, convaincus que le monde va à la liquidation de la Bourgeoisie, va à la Révolution." …
À Berlin, Munich ou Strasbourg, des conseils ouvriers fondent des "Communes". Front populaire, Révolution espagnole… de 1917 à 1939, l’Europe lutte entre révolution et réaction avant une deuxième guerre mondiale. Un nouveau monde se dessine.
Juillet 1917 : Dada
À Zurich, parait le premier numéro de la revue "Dada" créée par Tristan Tzara [8].
En cette fin de Première Guerre Mondiale, c’est le chaos dans le monde artistique et politique. Une poignée d’artistes déclarent la guerre à l’Art, cet art bourgeois emprisonné dans des règles d’esthétiques strictes et absurdes.
Menés par Tristan Tzara, de New-York, Zurich, Berlin, Paris mais aussi Hanovre, Cologne ou Barcelone, ils entreprennent un sabotage de la logique, des hiérarchies des valeurs esthétiques pour reconstruire un autre art, qu’on aurait tort d’appeler surréalisme.
_Mais leurs idées, leurs révoltes ne sont perçues que comme des provocations puériles, du nihilisme. « Prenez Dada au sérieux, cela en vaut la peine » déclame pourtant un de leurs nombreux slogans.
Dada a créé son propre mythe en se présentant lui-même comme purement "subversif et terroriste", que ce soit en matière d’art, de littérature, de morale sociale ou individuelle. Pour ce qui concerne l’art, il n’a pas voulu créer, dit-il, mais détruire. Il a refusé qu’on le dise artiste et que l’on nomme œuvres les produits de ses activités. Et en se sabordant, après avoir estimé que sa démarche était achevée, Dada a été l’une des entreprises de substitution d’un ordre artistique nouveau et viable à l’ordre ancien.
Après le bref passage de Dada dans le paysage "artistique", l’art ne sera plus jamais comme avant, même si les salonnards surréalistes vivront grassement sur cet héritage pour de longues années encore
… bref, cette expo, se révèle comme un catalogue complaisant qui ignore l’importance de cette date dans l’histoire du monde et de l’art… !
"Une exposition de Province pour la Province" (??)
Dialoguant avec un conférencier à qui je faisais part de ma déception, il me confia également la sienne et m’assura que "jamais cette expo ne sera présentée à Paris. Elle n’a été montée que pour la Région…". Stupeur de ma part. Ainsi, pour certains "acteurs culturels", fussent-ils estampillés "Centre Pompidou", il y aurait ouvertement une Culture à double vitesse et les Messins ou les frontaliers n’ont accès qu’à un "produit" de seconde zone… où ne figurent pas les œuvres majeures de Klee, Malevitch [9] ou Raoul Hausmman [10]… permettant de comprendre et d’apprécier le contexte.
Les publicités pour cette exposition mettent le focus sur "la présentation exceptionnelle du rideau de scène du ballet "Parade", œuvre monumentale de Picasso, qui n’a pas été montrée en France depuis plus de vingt ans.". Opération marketing. Si effectivement la toile de Picasso est grande, elle n’apporte rien à cette expo, mis à part sans doute la venue de quelques "gogo-visiteurs" prêts à payer 7 € pour la voir…
À l’heure où la Culture s’implante dans des régions économiquement sinistrées, comme le Louvre à Lens, après le Guggenheim à Bilbao et le Centre Pompidou à Metz, il y a un réel combat à mener pour l’intelligence et ne pas confondre "produit culturel" avec "produit d’entretien"