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CARNETS DE GUERRE #9

lundi 10 juillet 2023, par Jean-Marc Royer

« Le cuisinier, un voleur infâme et ses diamants » (qui finira comme dans le film de Peter Greenaway)
Lorsqu’après la case prison et la vente de hot-dogs il a ouvert un restaurant de haute gastronomie à Saint Pétersbourg, Prigozhin savait qu’il offrait des arrières salles discrètes et un signe de distinction à la portée de tous les maffieux du régime.

Jean-Marc Royer

En fin de soirée du 23 juin, Evgeny Prigozhin avait annoncé une rébellion militaire de Wagner [1], invoquant le « rétablissement de la justice dans l’armée ». Assurés de la passivité des gardes présents, ses mercenaires ont d’abord traversé la frontière russo-ukrainienne (malgré l’annexion formelle de la région de Louhansk, il y a encore des points de contrôle), puis ils ont facilement pris possession du quartier général du district militaire sud à Rostov, et – suprême offense militaire – deux responsables de très haut grade ont été filmés totalement désarmés, en treillis et sans leurs insignes (c’est-à-dire comme des prisonniers), assis aux côtés du chef en rébellion qui les apostrophe. Puis sa colonne, dirigée par son associé de longue date Alexey Dyumin, a rapidement avancé en direction de Moscou qui n’était plus qu’à cinq heures de route. Au bout de 24 heures, Prigozhin a subitement informé du revirement de ses troupes, une volte-face dont les tenants et aboutissants ne sont pas encore connus, la mascarade avec le Belarus Loukachenko ayant fait long feu. Reste une énigme incontournable : comment se fait-il que quinze jours après, Prigozhin soit encore en vie alors qu’il a violé la loi du clan et humilié le chef ? Des « négociations directes ou indirectes » seraient-elles encore en cours ?

« Zoom-Back Camera » :

Evgueni Prigozhin est né en 1961 à Leningrad. D’abord en 1979, puis finalement en octobre 1981, il est condamné à 12 ans de prison pour brigandage, escroquerie et incitation de mineurs à la prostitution [2]. Gracié, il est libéré en 1990 et revient dans sa ville où il commence par vendre des hotdogs, prend des parts dans une chaîne de restauration rapide, dans le monde des jeux et des casinos que Poutine « supervisait » pour le compte de la mairie de Saint-Pétersbourg, puis devient en 1995 patron d’une entreprise qui sera connue par la suite sous le nom de Concord [3]. Il maîtrise tous les codes de la criminalité maffieuse, en gravit tous les échelons et a très vite compris les opportunités offertes dans cette décennie [4]. Lorsqu’avant Chirac et Bush, Poutine gratifiera de sa présence un de ses restaurants de luxe au début des années 2000, cela lui vaudra l’appellation de « Cuisinier de Vladimir Vladimirovitch ». De nombreux « contrats », de tous types, se négocient alors dans les arrière-salles de ses établissements.

Plus tard, le groupe Concord Management and Consulting LLC [5] regroupera de nombreuses entités parmi lesquelles « Concord Catering » qui fournit depuis 2010 les cantines scolaires de Moscou et St Pétersbourg (un contrat annuel de 244 m$ en 2012) ; « Internet Research Agency » [6], une usine à trolls de 500 personnes officiellement créée en 2013 mais qui existait depuis 2009 ; « Glavnaya Linia » qui, depuis 2014, nourrit les forces armées russes (un contrat annuel de 1,4 Md $) ; la milice privée « Wagner » officiellement fondée la même année et dont Dmitri Outkine, un néo-nazi affiché, prendra la direction administrative en 2017 ; « Media Patriot » créé en 2019 et qui regroupe une dizaine de médias ; des entreprises de construction, des hôtels, des mines d’or et de diamants, des puits de pétrole etc. Tous les projets commerciaux de Prigozhin sont liés les uns aux autres [7].
La création de la milice Wagner a permis de cacher l’implication du FSB, du GRU (le renseignement militaire) et de l’armée russe dans la guerre au Donbass à partir du printemps 2014 afin de sauver les apparences sur la scène internationale. Les recrues étaient payées en cash, deux à trois fois plus que dans l’armée régulière et tout l’argent venait du ministère de la défense ou des services spéciaux [8].
Après avoir participé à l’invasion de la Crimée en 2014, Prigozhin est devenu le bras armé de l’impérialisme russe au Moyen-Orient, en Afrique, à Haïti, en Amérique du Sud et ailleurs (qu’il se soit servi en or, en diamants et en dollars au passage, faisait évidemment partie du « contrat »). D’après le Guardian, on le retrouve dans au moins dix pays d’Afrique, où il propose ses services dans les domaines de la sécurité et du maniement des armes, décrochant aussi des concessions minières et autres marchés lucratifs [9].

Dessin de Joep Bertrams paru dans « De Groene Amsterdammer »

En fait, Prigozhin est en grande partie une créature de Poutine qui lui avait décerné le titre de « Héros de la Russie [10] » le 20 juin 2022. Mis à part sa rébellion armée, c’est l’un des éléments qui explique la rancœur et la hargne du chef vis-à-vis de son ex-cuisinier, censé obéir à la loi… du clan.
Dès le mois de février 2022, Wagner fut totalement partie prenante de l’invasion de l’Ukraine [11]. Puis, à la mi-septembre, durant la débâcle russe de Kharkiv, plusieurs vidéos ont montré Prigozhin haranguant les détenus dans les cours de prisons afin qu’ils rejoignent rapidement les rangs de sa milice privée [12]. Wagner comptait à cette période près de 50 000 mercenaires dans ses rangs. S’il a pu ainsi enfreindre les lois [13], contourner les administrations judiciaire et pénitentiaire, c’est qu’évidemment il avait un blanc-seing du Kremlin. Au passage, cela en dit long sur le mépris de la loi, de l’état de droit, de la morale élémentaire, que fait régner le pouvoir et qu’il donne en exemple à toute la population du pays jour après jour. Le 26 septembre, Prigozhin fait son « coming out » : il publie un communiqué où il reconnaît avoir fondé en 2014 Wagner – « un groupe de patriotes » – afin d’envoyer des combattants au Donbass : « Ces gars, des héros, ont défendu le peuple syrien, d’autres peuples de pays arabes, les démunis africains et latino-américains, ils sont devenus un pilier de notre patrie [14] ».
Au début du mois d’octobre 2022, suite aux défaites russes à Kharkiv et Kherson, Prigozhin et Kadyrov (un chef de guerre Tchétchène bien en cour) émettent publiquement de violentes critiques, largement reprises par les correspondants de guerre russes, les milblogers, contre la hiérarchie militaire accusée de tous les maux et même pire, avec le soutient de Douguine, le théoricien d’extrême droite : « Ce sont les véritables héros et leaders de la guerre de notre peuple. Non seulement ils n’ont pas peur de l’ennemi, mais en plus ils n’ont pas peur de dire la vérité. Même si c’est difficile  [15].
Quatre jours après que Prigozhin ait traité les caciques du ministère de la défense de « déchets », une arrestation musclée sera passée relativement inaperçue : on y voit, à côté de sa voiture, un homme plaqué au sol dans un garage par les spetsnaz de la Rosgvardiya, la Garde nationale russe. À la fin de la séquence, les spetsnaz redressent la tête de l’interpellé pour que chacun puisse constater qu’il s’agit d’Alexey Slobodenyuk, lequel gère un réseau de chaînes Telegram qui ont appelé au meurtre de Choïgou, de Dimitri Peskov et de Lavrov ! Surtout, Slobodenyuk est un salarié d’Evgueni Prigozhin… Or, il a été interpellé par la Rosgvardiya créée par Poutine en 2016 et commandée par Zolotov, son ancien garde du corps et partenaire de judo [16]
Les critiques acerbes et insultantes de Prigozhin envers Choïgou, Guerassimov et « les services » iront s’accentuant jusqu’au 5 juin 2023. Ce jour-là, Prigozhin a accusé le lieutenant-colonel Roman Vinevitenov de la 72e brigade motorisée, d’avoir ciblé les forces de Wagner alors qu’elles quittaient Bakhmut au profit de l’armée russe : « Nous avons trouvé sur notre chemin une douzaine d’emplacements où divers pièges avaient été placés, allant de centaines de mines antichars à des tonnes de plastic. Les combattants de Wagner qui ont procédé au déminage ont été attaqués par des tirs en provenance des positions du ministère de la Défense ». Sur une vidéo, ce lieutenant-colonel, qui semble avoir été fait prisonnier dans une cave, livre « des aveux » visiblement arrachés sous la contrainte, le regard baissé et le nez blessé [17].
Par ailleurs, le 12 juin, Moscou a lancé un ultimatum aux forces de Wagner : celles-ci devront avoir signé un contrat avec le ministère de la Défense d’ici le 1er juillet, afin de mettre bon ordre dans leurs activités et de clarifier leurs relations avec les forces régulières russes. Le bataillon tchétchène Akhmat a été le premier à avoir accepté un tel accord… Mais pour le chef de Wagner, il était hors de question d’en faire autant : « Wagner ne signera pas de contrat avec l’armée. La plupart des unités militaires n’ont pas notre efficacité, parce que Choïgou est incapable de les gérer correctement » [18].
Le chef de Wagner fustigeait donc depuis au moins neuf mois l’état-major militaire russe, l’accusant notamment de l’avoir privé des armements et munitions nécessaires, lorsque le vendredi 23 juin, il passe des paroles aux actes :

« Une bande de bâtards avait besoin de la guerre pour se montrer »

Dixit Prigozhin, qui prédit un retrait russe et affirme que l’Ukraine n’attaquait pas la Russie en 2022.

« Le Conseil des commandants de Wagner a pris une décision : le mal perpétré par les dirigeants militaires du pays doit être arrêté. Ils ne tiennent pas compte de la vie des soldats et ont oublié le mot "justice", mais nous allons le restaurer. Par conséquent, ceux qui ont coûté la vie à nos camarades aujourd’hui et à des dizaines de milliers de soldats russes seront punis. Une fois que nous aurons terminé ce que nous avons commencé, nous retournerons au front pour défendre notre patrie. L’autorité présidentielle, le gouvernement, le ministère de l’Intérieur, la Garde nationale russe et d’autres structures poursuivront leur travail. Nous nous occuperons de ceux qui tuent des soldats russes et retournerons au front », a déclaré Prigozhin [19].
Vendredi 23 juin, Prigozhin prend la ville de Rostov (plus d’un million d’habitants) et appelle à renverser le commandement militaire du pays, se disant « prêt à mourir » avec ses 25 000 hommes pour « libérer le peuple russe ».

24 juin 05h00 source Meduza

Dans la journée, un plan « Krepost » (forteresse) a été déclenché dans un certain nombre de services de police de la région de Rostov, et des officiers ont été mis en alerte, selon la chaîne Telegram Baza, une source policière de la publication 161.RU basée à Rostov et le journal Kommersant. Le plan « Krepost » implique un rassemblement d’urgence du personnel et la prise de contrôle d’installations très importantes par les autorités.
Dans la soirée, Prigozhin a affirmé que Shoigu, le ministre russe de la Défense, avait « secrètement déployé du personnel d’artillerie et des pilotes d’hélicoptères pour nous exterminer » [20].
Plus tard, le Service fédéral de sécurité (FSB) et d’autres forces de sécurité ont été mis en état d’alerte maximale à Moscou. Avec l’Unité spéciale d’intervention rapide (SOBR) de la Garde nationale russe, des « barrages routiers » ont été mis en place sur l’autoroute M4 reliant Moscou, Voronezh et Rostov. Les officiers de service ont reçu l’ordre d’ouvrir le feu « en cas de menace » [21]. Le FSB a également appelé les mercenaires de Wagner à s’emparer de la personne de Prigozhin…
À la toute fin de soirée Dans un message vidéo, Serguei Surovikin, commandant en chef des forces aérospatiales russes et commandant adjoint du groupe russe en Ukraine, a lancé un appel aux mercenaires du groupe Wagner, les exhortant à ne pas aggraver la situation politique interne du pays [22]. Au même moment, le lieutenant-général Vladimir Alekseev, responsable du GRU (renseignement militaire) s’est également adressé aux mercenaires de Wagner : « Je ne peux pas expliquer ce qui se passe maintenant par quoi que ce soit d’autre que par la folie... Des choses comme ça entraîneront d’énormes pertes... C’est une tentative de coup d’État, un coup de poignard dans le dos du président. Reprenez vos esprits [23] ! ».
Dans la nuit, les forces de Wagner avaient investi Rostov, pris le contrôle de plusieurs bâtiments administratifs et du quartier général du district militaire sud (qui abrite également le quartier général en charge de la guerre en Ukraine), sans difficultés apparentes avec les gardes frontières, selon le message audio de Prigozhin [24].
Au petit matin du samedi 24, les forces de Prigozhin, rencontrant peu de résistance, se dirigeaient vers Voronezh ou des affrontements à l’arme légère ont éclaté à la périphérie de la ville. Le groupe Wagner a été vu transportant des lanceurs de missiles anti-aériens « Pantsir » et des systèmes de défense aérienne « Strela-10 » qui, pour autant que l’on sache, ont été utilisés pour abattre vers cinq heures du matin le premier des hélicoptères russes perdus et plus tard un avion-relais de communication Il-18.
Vers huit heures du matin, le samedi, on peut voir une vidéo filmée au QG du district militaire sud, à Rostov et dans laquelle Prigozhin s’entretient avec le vice-ministre de la Defense Yunus-Bek Yevkurov (à gauche) et le même Vladimir Alekseev responsable du GRU (à droite) [25] ; il leur affirme qu’il veut rencontrer Shoigu et Gherassimov et les informe que les forces de Wagner ont pris le contrôle de l’aérodrome militaire de Millerovo (200km au nord de Rostov sur la route de Voronej) et ont abattu trois hélicoptères des Forces aérospatiales russes (VKS) qui attaquaient la colonne se dirigeant vers Moscou par l’autoroute M4 [26]. On peut vérifier qu’à ce moment-là il est armé jusqu’aux dents et qu’eux sont totalement désarmés et sans leurs insignes…

Au second plan un mercenaire de Wagner avec brassard blanc

Samedi matin vers 9 heures, dans une déclaration urgente, Poutine a condamné les actions de Prigozhin comme un acte de rébellion, soulignant qu’il avait trahi non seulement la Russie mais aussi son peuple, les combattants de Wagner [et lui-même le président] : « Les troubles internes constituent une grave menace pour la souveraineté de notre nation, et nous y répondrons résolument. Ceux qui ont consciemment choisi la voie de la trahison feront face à un châtiment inévitable. Ils seront tenus responsables par la loi et répondront devant nos concitoyens. Les forces armées ont reçu des instructions claires [pour mater cette rébellion] » [27].
Poutine a également ajouté que « des actions décisives seront prises pour stabiliser la situation à Rostov-sur-le-Don ». Selon lui, la situation y « reste difficile, le fonctionnement des autorités civiles et militaires étant pratiquement paralysé ». En réponse à la situation, il a confirmé que le régime d’opération antiterroriste a été mis en place à Voronezh, ainsi qu’à Moscou et dans sa région. Par ailleurs, les autorités de la région de Toula (200 km au sud de Moscou) ont annoncé des restrictions temporaires au transit vers la capitale, tandis que des barrages militaires de fortune ont été installés sur trois ponts d’autoroutes (M2, M4, M5) traversant la rivière Oka à une centaine de km au sud de Moscou.
Samedi 24 juin en fin de matinée, nouvelle vidéo de Prigozhin en réponse à Poutine : « Personne ne se rendra aux ordres du président, du FSB ou de qui que ce soit d’autre parce que nous ne voulons pas que le pays continue à vivre dans la corruption, les mensonges et la bureaucratie. Quand nous nous sommes battus en Afrique, ils nous ont dit que nous avions besoin de l’Afrique, puis ils l’ont abandonnée parce qu’ils ont détourné tout l’argent qui devait servir à l’assistance. Quand ils nous ont dit que nous devions combattre en Ukraine, nous y sommes allés et nous nous sommes battus. Mais il s’est avéré que les munitions, les armes et l’argent qui leur était alloué étaient également détournés [28]… ». Prigozhin oublie de dire qu’il a très largement participé à la corruption des hauts responsables de l’armée, avec l’aval du Kremlin bien sûr, pour décrocher des contrats d’approvisionnement hors appel d’offres. En fait, toutes les activités des entreprises contrôlées par Prigozhin étaient maffieuses, leurs personnels étaient payés en grande partie en liquide et hors contrat de travail, sans parler des rackets africains.

Photo de la Datcha de Prigozhin après sa perquisition le 5 juillet 2023.

 [29]

Samedi après-midi 24 juin, l’avion spécial Il96-300PU de Poutine a décollé de l’aéroport Vnoukovo de Moscou vers le nord à 14h16, heure de Moscou, selon les données de « Flightradar24 ». La destination du vol n’est pas précise parce que le transpondeur est éteint et que l’avion est sorti du champ radar près de Tver (résidence Valdaï bunkerisée de Poutine à 180 km au nord-est de Moscou). Un autre vol (RSD523) de l’escadron de vol spécial Rossiya (n° de queue RA-96022) a atterri à Saint-Pétersbourg, selon Flightradar24. Le nouveau Tupolev 214PU de Poutine (n° de queue RA-64520) également appelé « l’avion de l’apocalypse », car il fonctionne comme un poste de commandement aérien en cas de guerre nucléaire à grande échelle, a également décollé [30].
L’armée russe manquerait des ressources nécessaires pour empêcher les forces de Prigozhin d’avancer vers Moscou. En conséquence, les forces de sécurité mobilisent actuellement diverses unités non impliquées dans la guerre ukrainienne, notamment des formations tchétchènes, la Garde nationale (Rosgvardiya), le ministère de l’Intérieur (MVD) et le Service fédéral de sécurité (FSB). Pour prévenir d’éventuels conflits à Moscou (des doutes sur les loyautés ?), Vladimir Poutine aurait donné instruction aux forces de sécurité russes d’éliminer Yevgeny Prigozhin et un cordon aurait été mis en place (par quel service ?) autour du bâtiment de Wagner à Saint-Pétersbourg.
Le Kremlin aurait-il d’abord tenté de négocier avec Prigozhin immédiatement après l’annonce de sa rébellion [31] ?
Dans la soirée du 24 juin, Loukachenko qui a joué les « go-between » à la demande de Poutine, a fait annoncer par son service de presse que Prigozhin, après des heures de négociation, avait accepté d’arrêter la marche de ses troupes et dans la soirée, des vidéos ont commencé à apparaître, montrant des combattants de Wagner en train de quitter Rostov.
Le lundi 26 juin, Prigozhin a publié une déclaration dans laquelle il affirme que le but de sa campagne était « d’empêcher l’anéantissement de Wagner et d’exclure toutes les personnes qui, par leurs actions non professionnelles, ont commis un grand nombre d’erreurs lors [de la guerre en Ukraine]. Nous ne voulions pas verser le sang russe. Nous avons décidé d’exprimer notre protestation, pas de renverser le gouvernement du pays ». Selon lui, il avait prévu de désarmer sa milice le 30 juin, mais elle a été attaquée par l’armée, ce qui aurait entraîné la perte de 30 miliciens [32].
Le soir même, Poutine à prononcé son second discours en deux jours, condamnant l’insurrection de Wagner et confirmant son offre d’exil en Biélorussie. Il a de nouveau déclaré que les chefs de l’insurrection « ont trahi leur pays, leur peuple et ceux qui ont été entraînés dans le crime [33] ». En toute fin de soirée, il a réuni les chefs des services de sécurité au Kremlin [34].
Le mardi 27 juin 2023 vers 13h, sur la place de la cathédrale du Kremlin, Poutine s’adresse aux 2 500 membres des « unités du ministère de la Défense, de la Garde nationale, du FSB, du ministère de l’Intérieur, du FSO, qui ont assuré l’ordre et la loi pendant la mutinerie » pour les remercier de leur soutien indéfectiblement loyal… [35]. Vers 15h, les mêmes remerciements sont réitérés aux responsables du ministère de la Défense réunis à l’intérieur du Kremlin [36]. Dans ce deuxième discours, Poutine aborde de manière inattendue certains détails sonnants et trébuchants. « En attendant, je tiens à noter et je veux que nous le sachions tous : la maintenance de l’ensemble du groupe Wagner a été entièrement assurée par l’État ; le ministère de la Défense et du budget, ont entièrement financé ce groupe […]. De mai 2022 à mai 2023 seulement, l’État a versé à cette société 86 milliards 262 millions de roubles ( 900 millions €) en espèces et 100 milliards de roubles ( 1 Md €) de primes d’assurance [sans compter la fourniture d’armes, d’équipements militaires et de munitions…]. Dans la même période de temps, et malgré le fait que l’entretien de Wagner était sur les épaules de l’État, la holding Concord, par l’intermédiaire de la société Voentorg [marque des rations de survie et restauration de l’armée], a gagné 80 milliards de roubles. […] J’espère qu’au cours de la réalisation de ces marchés, personne n’a rien volé, mais bien sûr, nous allons le vérifier [37] ». Ce 27 juin 2023, Poutine a donc reconnu l’existence d’un mécanisme officiel de conversion des fonds budgétaires en espèces à des fins illicites : une formation armée entièrement illégale a ainsi été financée par le Trésor public en cash. Une grande tradition du KGB perdurait ainsi, mais depuis quand ? Les années 2000 ? Evgeny Prigozhin lui-même a déclaré que Wagner utilisait toujours de l’argent liquide lorsqu’ils opéraient en Afrique, en Ukraine, et que cela « donnait des cauchemars à l’Amérique ».
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’en février 2022, Poutine avait nié toute affiliation de l’État russe avec la Milice de Prigozhin, tandis qu’en mai de la même année, le ministre Lavrov avait assuré aux journalistes que le discours sur la présence des combattants de Wagner en Ukraine avait pour but de détourner l’attention de la communauté internationale sur le déploiement de mercenaires occidentaux dans ce pays… Le mensonge serait-il leur religion d’Etat ?

Le démantèlement de la bannière Wagner à St Pétersbourg

Le 30 juin, Prigozhin (ou le FSB ?) aurait dissous, le groupe de médias « Patriot », l’usine à trolls RIA, le réseau social « YaRus », etc. Des publications telles que RIA FAN, Narodnye Novosti, Nevskie Novosti, Ekonomika Segodnya et plusieurs autres au sein de l’organisation cessent leurs activités. L’accès aux sites Web affiliés à la holding médiatique de Prigozhin a été restreint par l’agence gouvernementale Roskomnadzor, ce que toutes les chaînes Telegram liées au gouvernement russe ont confirmé.

Quelques réflexions provisoires

Nous n’avons pris la mesure des faits que lorsque nous avons eu connaissance d’informations détaillées sur cette équipée grâce aux médias russes alternatifs [38].
La rébellion avortée de la milice Wagner a révélé plusieurs choses. Tout d’abord, on pouvait se rendre compte qu’elle ne relevait pas d’une décision de dernière minute mais qu’elle se préparait depuis plusieurs semaines car Prigozhin se savait menacé à tout le moins d’éviction [39] ; certains services russes en avaient forcément eu connaissance, mais il semble que rien n’ait été fait… Ensuite, il y eut, au vu et au su de chacun, cette incroyable démonstration de la vulnérabilité des arrières russes : une improvisation et une faiblesse vraisemblablement dues à la concurrence entre les différentes maffias, armées ou services et leurs chefs (sans parler des dissensions internes, au FSB et dans l’armée [40]), ce qui ne manque jamais de provoquer des difficultés de coordination et pourrait expliquer la lenteur de réactions par ailleurs inadéquates.
Nous en avons eu plusieurs confirmations. Grâce aux recherches de Bellingcat, il fut établi que la direction du renseignement militaire (le GRU) coopérait avec la milice [41]. Mieux, certains commandants de Wagner sont d’anciens hauts officiers de l’armée ou du GRU ; il y a même en son sein un ancien vice-ministre de la Défense, Mikhaïl Mizintsev [42]. Dans une allocution vidéo visant à stopper les colonnes rebelles, Vladimir Alekseev, un des hauts responsables de l’agence, a publiquement reconnu que des « missions de combat » de la milice privée étaient soutenues par le GRU depuis sa création en 2014.

D’autre part, tandis que quatre à sept aéronefs (selon les sources) étaient abattus par Wagner, ces forces aériennes ne se seraient pas réellement engagées et n’ont pas eu d’impact décisif sur l’avancée de la colonne rebelle : seuls un véhicule blindé, deux camionnettes et un camion ont été détruits sur les quelque 1 000 véhicules participant à la marche sur Moscou [43]. Leur chef, le général Sergueï Sourovikine, ostensiblement épargné par Prigozhin dans ses nombreuses invectives, n’est plus réapparu en public depuis ; dans une vidéo diffusée par la télévision d’Etat VGTKR, il avait demandé à Prigozhin – visage grave et défait, en treillis et sans insignes – d’abandonner sa marche vers Moscou, « avant qu’il ne soit trop tard ». Une mise en scène dans la plus pure tradition stalinienne ?
Par ailleurs, un nombre important de militaires de différentes forces ont vraisemblablement refusé d’obéir aux ordres de leurs supérieurs. À Rostov-sur-le-Don, les troupes de la Garde nationale ont ignoré le passage des colonnes Wagner ; au poste-frontière de Bugaevka, elles s’étaient également abstenues, tout comme les gardes-frontières.
Heureusement, il y avait les pelleteuses à qui furent confiées la mission de creuser des tranchées sur les autoroutes (en particulier M4) afin d’arrêter la colonne se dirigeant vers la capitale, tandis qu’ailleurs, la police de la circulation tentait de bloquer le passage avec des engins de chantier et que des camions de sable étaient stationnés sur le périphérique moscovite. Sur Internet, les canaux nationalistes Z se moquaient également des points de contrôle de la Garde nationale russe [44], son armement le plus lourd étant constitué d’un lance-grenades automatique de 40 mm AGS-17.
Enfin, durant les dernières heures de la rébellion, les Kadyrovites, qui juraient leur grand dieu Poutine de rétablir l’ordre, ont pris leur temps pour se rendre à Rostov. Se sont-ils retrouvés coincés dans les embouteillages ou bien les coordonnées entrées sur leur GPS étaient-elles erronées ? Toujours est-il que les troufions de Kadyrov n’ont pas réussi à atteindre Rostov, ni à trouver la colonne de Wagner malgré les déclarations vengeresses du chef Tchétchène. Mieux, ils ont tourné sur l’autoroute E30 déserte, à Kolomna, une vidéo tik-tok dont ils ont le secret, rappelant leurs bouffonneries antérieures et qui les ridiculise totalement [45]. Une farce qui prend les allures d’une pantalonnade.
Cette courte équipée fut-elle une réplique de moindre amplitude – mais en défensive et sur le sol russe – des errements de février-mars 2022 au nord de Kyiv ? Nous reviendrons ultérieurement sur les problèmes structurels des forces armées russes qui pourraient nous éclairer à ce sujet.
Enfin, les relations entre les différents clans sont complexes car très concurrentielles, à plusieurs titres et sur plusieurs niveaux. Des règlements de compte sont vraisemblablement en cours au plus haut sommet de l’État. Dans ce contexte, le renforcement de la Rosgvardiya, garde prétorienne de Poutine, n’est pas due au hasard : elle sera dorénavant équipée d’armes lourdes et de chars, « La question ayant été tranchée par le président », a déclaré son chef, Zolotov, un ami d’enfance et de tatami.

Que pourrait-on retenir de cette « équipée sauvage » ?

 Le maffieux Pétersbourgeois sans stature ni pensée politique, intronisé par Poutine et qui insultait copieusement Choïgou / Gherassimov depuis des mois sans conséquences, s’est senti assez fort pour défier le pouvoir, il le paiera de sa vie, tôt ou tard, telle est la loi du milieu. À moins qu’il ne possède en lieu sûr quelques documents extrêmement compromettants ou bien qu’il se soit rendu difficilement remplaçable, par exemple en Afrique…
 Si tel n’est pas le cas, sa succession à la direction de Wagner (20 000 hommes, dont d’anciens détenus recrutés dans les prisons russes) est ouverte car c’est une tête de pont indispensable de l’impérialisme russe dans le monde.
 Le contenu des discours et la qualification de cet acte de rébellion par Poutine ont traduit sa très sérieuse préoccupation. Même s’il en profite finalement pour « faire le ménage ».
 Le linge sale commençait à se laver en public. Comme dans tous les moments de crise, cela aurait pu être très instructif, à condition de ne pas oublier que les protagonistes étaient aussi infects les uns que les autres. Par exemple, dans l’un des premiers messages vocaux publiés au début de sa rébellion, Prigozhin a déclaré que, sur directive de Shoigu, deux mille corps avaient été cachés dans les morgues de Rostov pour masquer l’étendue des pertes parmi le personnel militaire russe pendant la contre-offensive en cours des forces armées ukrainiennes.
Le 9 juillet 2023

ANNEXE :

Quelques jours après l’aventure Prigozhin : extraits d’articles intéressants

 Benoît Vitkine, « En Russie, après la chute du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, la rancœur intacte des nationalistes ».
« Prigojine défendait des thèses relativement consensuelles dans ce milieu [de milbloggers nationalistes, ultra-orthodoxes, néonazis ou impérialistes] : inefficacité du ministère de la défense, incompétence des généraux, manque de fermeté du pouvoir politique. Pour les « turbo-patriotes », surnom qui leur a été attribué en Russie, le pays ne peut gagner la guerre qu’avec une militarisation totale, l’imposition de la loi martiale, la mobilisation générale et une lutte plus acharnée contre les traîtres et les corrompus, y compris au sein de l’élite. Et toujours plus de frappes sur l’Ukraine. […]
Après la période d’incertitude causée par la mutinerie avortée, les critiques ont logiquement refait leur apparition. Govorit TopaZ [plus de 100 000 abonnés], qui fustigeait les « ordures » de mutins, a réaffiché sur son profil le hashtag #chvo qui signifie, pour les initiés, « Choïgou démission », en référence au ministre russe de la défense. Le blogueur va jusqu’à interroger la réponse de Vladimir Poutine aux événements – « Pas un seul mot sur ce qui a provoqué cette mutinerie… » – ou la décision d’envoyer des Tchétchènes reprendre la ville de Rostov aux Wagner, soit « des pas frères de sang contre des frères de sang ». […]
L’hostilité à Sergueï Choïgou, ennemi numéro un de Prigojine, reste la position la plus partagée. Le 26 juin, la chaîne Telegram du bataillon de volontaires Roussitch, formation composée de néonazis combattant en Ukraine, attaque frontalement : « Vu ses déclarations, le grand-père [Poutine] ne comprend pas la situation. Les traîtres, ce sont ceux qui ont détruit l’armée par leur direction stupide. »
[…] Ces forces sont peu fédérées, mais le 25 juin s’est tenu à Moscou le premier rassemblement du « Club des patriotes en colère ». Ce mouvement informel, dont le nom dit l’essentiel, est mené par une figure du camp ultranationaliste : Igor Strelkov, de son vrai nom Igor Guirkine, un ex-chef militaire des séparatistes du Donbass, en 2014, et ancien du FSB, par ailleurs condamné par contumace aux Pays-Bas pour son rôle dans le crash du vol MH17 abattu par un missile au-dessus de l’Ukraine. […]
Devant 400 délégués, ce dernier a ainsi résumé la position de son mouvement, selon des propos rapportés par le quotidien Nezavissimaïa Gazeta : « Poutine et les représentants de l’élite ne comprennent pas qu’une guerre doit être menée pour être gagnée. » Son numéro deux, Pavel Goubarev, lui aussi un ancien du Donbass, dénonce « un Etat incroyablement faible qui n’est plus capable de rien ». Quatre jours plus tard, le chef du parti L’Autre Russie, anciennement dirigé par Edouard Limonov, exprime une position proche : « Le pays a besoin de gens qui peuvent prendre leurs responsabilités dans un contexte de perte de contrôle – et le contrôle est perdu absolument partout. » […]
La menace de la répression n’est malgré tout jamais loin. La situation actuelle rappelle justement la période qui avait suivi 2014. À l’époque, les ultranationalistes, emmenés par Igor Strelkov, dénonçaient déjà le « recul » du chef du Kremlin sur l’Ukraine, après la signature des accords de Minsk, censés imposer un cessez-le-feu dans le Donbass, et le renoncement à prendre, en plus de la Crimée, les régions de Kharkiv et d’Odessa – ce que les nationalistes, puis Vladimir Poutine avec eux, appellent Novorossia (« Nouvelle Russie », terme emprunté aux conquêtes impériales du XVIIIe siècle). À l’initiative de Strelkov, plusieurs groupuscules s’étaient alors fédérés au sein d’un Comité du 25-Janvier, avant que plusieurs de ses dirigeants ne soient mis en prison. […]
Pour l’heure, Igor Strelkov est le seul à revendiquer ouvertement la place laissée libre par le patron des Wagner. À ses partisans, réunis le 25 juin, il a demandé de se préparer : « Nous devons être prêts à réagir à la prochaine crise sérieuse avec une force politique sérieuse [46]. »


 Sophie Joussellin, « Russie : Poutine a-t-il définitivement écarté Prigojine ? »  :
Peskov, porte parole du Kremlin, le 10 juillet : « Le Président a invité 35 personnes, les commandants et les dirigeants, dont Evgueni Prigojine. […] Vladimir Poutine a écouté leurs explications et leur a proposé des alternatives pour leur travail futur et leur emploi à des fins militaires » et plus tard, Peskov osera affirmer « qu’il n’avait pas d’informations sur les allées et venues de Prigozhin ». Il ment, évidemment, au moins sur le second point.
Pas question de laisser penser que Vladimir Poutine s’est laissé déborder par Evgueni Prigojine. Le Kremlin affirme, cinq jours après leur coup de force, que les représentants de Wagner ont rencontré le président russe pendant près de trois heures. Et à entendre le porte-parole du Kremlin, cela ressemblait plus à groupe de parole qu’à un remontage de bretelle [47].


 Institute for the Survey of War (ISW) du 28 juin au 12 juillet 2023
ISW du 28 juin : Les milbloggers russes ont affirmé que les pilotes russes qui ont refusé de frapper les convois de Wagner et les gardes-frontières russes qui ont refusé d’ouvrir le feu sur Wagner font maintenant face à des poursuites pénales.
ISW du 29 juin : Le président russe Vladimir Poutine tente de présenter Prigozhin comme corrompu et menteur afin de détruire sa réputation parmi le personnel de Wagner et au sein de la société russe. […] Poutine a probablement décidé qu’il ne pouvait pas éliminer directement Prigozhin sans faire de lui un martyr pour le moment. [… Bonne analyse qui sera confirmée onze jours plus tard] Par ailleurs, Loukachenko cherche probablement à utiliser le groupe Wagner en Biélorussie pour acheter un espace de manœuvre dans le but de contrebalancer la campagne du Kremlin visant à absorber la Biélorussie via un « État Uni » en 2030.
ISW du 1er Juillet : La chaîne de télévision publique russe Rossiya-1 a diffusé le 30 juin un reportage banalisant l’efficacité du groupe Wagner en Ukraine et remettant en question le « mythe construit à propos de la haute efficacité du groupe Wagner ». […] De nombreux milbloggers russes ont décrié le rapport comme une réécriture éhontée de l’histoire qui faisait partie d’un « programme ignoble » conçu pour « reléguer les exploits de Wagner dans l’oubli ». L’appareil médiatique du Kremlin vise probablement la perception publique russe de Wagner pour diminuer la popularité du groupe.
ISW du 2 juillet : Poutine continue d’être confronté au choix de se ranger du côté du ministère de la Défense russe pour défendre sa réputation affaiblie ou de maintenir son soutien aux milbloggers ultranationalistes pro-guerre et leurs réseaux qui critiquent le MoD (Min. of Defense) depuis juillet 2022. En décembre, il les avait reçus au Kremlin et en avaient intégré certains parmi « ses favoris ». [Commentaire : le OU est inadéquate, Poutine tentera de ménager la chèvre et le choux tant que cela sera possible et en tous cas après avoir fait le ménage.]
ISW du 3 juillet : Le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, a réitéré la rhétorique passe-partout sur l’état actuel de la guerre en Ukraine et la rébellion du groupe Wagner le 3 juillet. Choïgou n’a notamment pas directement nommé le groupe Wagner ou son financier Prigozhin, choisissant plutôt de dénoncer la rébellion et de créditer la loyauté de l’armée russe comme raison de l’échec des « rebelles ».
ISW du 4 juillet : La réorganisation signalée des organes de sécurité intérieure russes suggère que le Kremlin n’a pas encore conclu qu’il a effectivement neutralisé les menaces de futures rébellions armées à la suite de celle de Wagner les 23 et 24 juin. Citant des sources internes, le média russe Vedomosti a rapporté le 3 juillet que les autorités russes chargées de l’application des lois envisageaient de réaffecter les unités spéciales « Grom » du Service fédéral russe de contrôle des drogues (qui fait partie du ministère de l’Intérieur) à la Rosgvardiya. [..]
Les autorités russes exonèrent Prigozhin de la responsabilité financière des dommages causés par la rébellion du groupe Wagner et lui auraient restitué d’importants actifs liquides, peut-être dans le cadre de l’accord négocié entre Poutine, Prigozhin et le dictateur biélorusse Loukachenko. […] À Saint-Pétersbourg Fontankaa a affirmé, citant des sources internes, que les autorités russes avaient restitué plus de 10 milliards de roubles (environ 111 millions de dollars) en espèces, cinq lingots d’or et des centaines de milliers de dollars américains en espèces à Prigozhin le 2 juillet, toutes choses que les autorités avaient saisis le 24 juin. Fontankaa a affirmé que les autorités n’avaient annulé leur décision de conserver les actifs liquides de Prigozhin que le 2 juillet, mais n’avaient pas précisé la raison de l’annulation.
ISW du 6 juillet : Un média de Saint-Pétersbourg a rapporté le 5 juillet que Prigozhin avait personnellement récupéré plusieurs armes légères saisies par le FSB en se rendant au bâtiment du FSB de St-Pétersbourg le 4 juillet.
[…] Les réseaux de propagande russes couvrent largement les perquisitions du FSB sur le manoir de Prigozhin et sa richesse, et un journaliste a sarcastiquement qualifié ce manoir de « palais appartenant au combattant contre la corruption » sur la chaîne de télévision publique russe Rossiya 1. […] Certains ultranationalistes russes ont cependant critiqué la propagande de l’État pour avoir tenté de vilipender Prigozhin, suggérant que la tentative du Kremlin d’éloigner la communauté ultranationaliste de Prigozhin ne réussissait pas. Un milblogger affilié au Kremlin a même condamné les efforts des médias russes pour dépeindre Prigozhin comme un individu corrompu, notant que la "maison" de Prigozhin correspond à celle d’un individu riche et qu’il y expose ses récompenses militaires en bonne place. Un autre milblogger a noté que la "maison" de Prigozhin n’apparaissait pas si somptueuse par rapport à d’autres milliardaires russes…
ISW du 8 juillet : Reuters, citant des responsables de la sécurité syriens, a rapporté que les commandants militaires syriens et russes avaient pris des mesures rapides pour empêcher le soulèvement armé de se propager parmi les forces de Wagner en Syrie. Ces responsables auraient coupé les lignes téléphoniques, convoqué une douzaine de commandants de Wagner à la base militaire russe de Hmeimim, et ordonné aux Wagner de signer des contrats avec le MoD ou de quitter la Syrie. Une source militaire régionale et deux sources syriennes ont noté qu’un groupe d’officiers militaires russes avait été rapidement dépêché en Syrie pour prendre en charge les forces de Wagner après que Prigozhin eut annoncé le début de la rébellion armée. Trois sources ont indiqué que le MoD russe avait réduit le salaire du personnel de Wagner en Syrie et ont noté que des dizaines de membres du personnel de Wagner avaient été transportés vers un lieu non spécifié à bord d’avions russes après avoir refusé de signer des contrats avec le MoD. Les syriens ont noté qu’ils s’attendaient à ce que davantage de personnels de Wagner refusent de signer des contrats avec ce même MoD. L’action rapide du Kremlin en Syrie peut indiquer que le Kremlin ne serait pas convaincu que le personnel de Wagner ne poserait pas de problème pour la sécurité des forces russes en Syrie.
ISW des 10 et 11 juillet [48] : Un correspondant de guerre affilié au Kremlin a qualifié la rencontre Poutine-Prigojine [du 29 juin] de tentative du Kremlin de remplacer Prigojine « en douceur » et de restructurer Wagner. Le milblogger a affirmé que le Kremlin est très dépendant des structures pilotées par Prigozhin au sein de Wagner et que leur destruction endommagerait gravement le groupe, confirmant l’évaluation précédente d’ISW selon laquelle le Kremlin tente progressivement de séparer Wagner de Prigozhin. ISW avait précédemment évalué que le Kremlin s’appuyait sur des formations armées irrégulières pour externaliser le recrutement des réservistes et les efforts de financement participatif, ce qui [était] l’une des nombreuses formes de dépendances structurelles du Kremlin vis-à-vis de Wagner. […] Le milblogger a noté que la réunion du 29 visait à clore toutes les questions qui n’avaient pas été discutées lors des négociations entre le président biélorusse Loukachenko et le directeur du FSB Alexandre Bortnikov qui ont assuré des garanties de sécurité pour Prigozhin. Le milblogger a noté que certaines de ces questions incluaient le sort de Wagner ainsi que les entreprises et les affaires personnelles de Prigozhin. Ce milblogger a ajouté que Prigozhin est toujours autorisé à exploiter ses entreprises et n’est pas pénalement poursuivi en Russie, mais qu’il a perdu l’accès à ses sociétés de médias et fait face à une campagne de diffamation dans les médias d’État, comme l’ISW l’a également noté. […]
La réémergence publique de Gherassimov et la reconnaissance de la rencontre Poutine-Prigozhin font probablement partie de l’effort narratif du Kremlin pour se présenter comme contrôlant pleinement la situation après la rébellion de Wagner, tout en tendant la main à ceux qui penchent vers la loyauté envers la milice et son chef. Le MoD a publié des images de Gherassimov le jour même où le Kremlin a reconnu la rencontre de Poutine avec Prigozhin le 29 juin, signalant probablement ainsi un refus de remplacer les hauts dirigeants militaires russes [au moins à chaud…]. L’acquiescement aux demandes de Prigozhin de retirer Choïgou et Gherassimov aurait probablement nuit à la sécurité du régime de Poutine en créant un précédent selon lequel la résistance et la rébellion pure et simple sont des moyens légitimes pour atteindre certains objectifs. Tout cela vise probablement à dépeindre la rébellion et ses retombées potentielles comme une affaire réglée. Le Kremlin a peut-être choisi de se présenter comme résolvant ce problème maintenant en raison de la tentative apparente de Loukachenko, le 6 juillet, de se distancier de l’accord qu’il a négocié avec Prigozhin. La réunion et le soutien rendu public à Shoigu et Gherassimov sont conformes à ce que l’ISW continue d’évaluer comme la tentative du Kremlin d’atténuer le mépris généralisé pour les personnalités de l’establishment du MoD qui ont alimenté la rébellion de Wagner, tout en essayant de déresponsabiliser ceux qui ont sympathisé ou soutenu la rébellion. […]
Il n’est pas évident que les accords entre le Kremlin et Prigozhin inciteront un nombre important d’employés de Wagner à accepter de signer des contrats avec le ministère de la Défense. Un milblogger russe a interviewé un commandant du groupe d’assaut Wagner le 10 juillet : le commandant a déclaré qu’aucun membre de son unité n’avait signé le contrat avec le MoD ; il aurait déclaré que Wagner est « uni autour de Prigozhin et d’une idéologie commune de lutte pour la patrie au lieu d’un contrat militaire et qu’il continuerait à servir Wagner ou qu’il se démobiliserait ». On ne sait pas quelle proportion de combattants de Wagner aurait cette profonde loyauté idéologique envers Prigozhin ; un tel engagement idéologique s’avérerait un obstacle important aux efforts du MoD pour subordonner Wagner. Prigozhin avait intensifié ses efforts pour diffuser le militarisme et l’idéologie de Wagner dans toute la Russie depuis des mois et il a sans doute intensifié de la même manière les messages idéologiques internes au sein même de Wagner à l’époque. […]
À Saint Pétersbourg, Igor Girkin l’ancien officier russe et éminent milblogger nationaliste critique, a affirmé le 10 juillet qu’il avait réussi à prononcer une conférence dans cette ville malgré les efforts des forces de l’ordre pour le censurer et l’empêcher de se produire. Girkin a accusé le FSB d’avoir fabriqué une alerte à la bombe à la librairie Listva de Pétersbourg pour l’empêcher de parler de la rébellion du groupe Wagner. Ce même 10 juillet, il a publié une mise au point affirmant qu’il prononcerait la conférence, et la librairie Listva a rapporté que Girkin avait parlé dans « une pièce de rechange » préparée à l’avance, pendant que le raid des forces de l’ordre était en cours.


Trois autres sources :

Qu’est devenu Serguei Surovikin ? Tandis que le sort du général Surovikin chef des forces aérospatiales reste incertain, les apparitions publiques d’Afzalov, son adjoint, ajoutent un poids supplémentaire à l’hypothèse selon laquelle Surovikin a été mis à l’écart à la suite de la mutinerie [49]. Andrei Kartapolov, chef du Comité de défense de la Douma d’État, a dit dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux « Surovikin se repose actuellement. (Il n’est) pas disponible pour le moment » [50]. Il est très probable que le général Sergei Surovikin, a été arrêté par le FSB parce qu’il était soupçonné d’avoir participé à l’organisation de la rébellion, mais il n’a pas encore été inculpé. Selon un autre interlocuteur bien informé de Layout, Surovikin a été ou est encore isolé. La publication Verstka, citant une source proche des forces de l’ordre, a écrit que le général a été détenu par le contre-espionnage russe et qu’il est interrogé dans le cadre de la rébellion armée lancée par Yevgeny Prigozhin et la Compagnie militaire privée Wagner le 23 juin [51].


[1Pour simplifier, Wagner est une multinationale russe qui opère dans de nombreux secteurs industriels et de services dont la com’, le mercenariat, les opérations armées à l’étranger et la guerre hybride.

[2« La jeunesse orageuse du cuisinier », Rosbalt, 21 septembre 2018, https://www.rosbalt.ru/piter/2018/09/21/1733712.html

[3Marc Nexon, « Evgueni Prigozhin, chef des trolls », Le Point, 23 novembre 2017. Bérangère Bonte, « L’intrus de l’actu », France Info le 16 sept. 2022.

[4Fabien Magnenou citant Colin Gérard, spécialiste de la Russie à l’Institut français de géopolitique, in « Guerre en Ukraine : les ambitions dévorantes de l’intrigant Evgueni Prigojine, chef d’orchestre du groupe paramilitaire russe Wagner » France Info, le 23 novembre 2022.

[5« C’était une des plus nettes concrétisations de l’alliance entre le pouvoir russe, les siloviki et la pègre », Jean-François Bouthors, « Moscow, through the looking glass », 8 juillet 2023.

[6Le groupe revendiquera 35 millions de « visiteurs informatiques » par mois.

[7Voir les dizaines de pages intéressantes de « Dossier-Center » sur https://dossier-center.appspot.com/prig-it/

[8Vladimir Ossetchkine, fondateur de Gulagu.net, un site de référence qui répertorie les actes de torture et la corruption dans le système pénitentiaire russe. https://vu.fr/gBVS

[9« Evgueni Prigogine, le vendeur de hot-dogs devenu chef de guerre », Courrier International, le 25 février 2023.

[10Insider du 23 juin 2023 16H31 https://theins.ru/en/news/262823

[11Voir à ce sujet les nombreuses sources de Wikipédia in « Groupe Wagner, Théâtre d’opérations, Ukraine ».

[12Chadi Romanos, Denis Kataev, « Vous avez cinq minutes pour vous décider : quand Wagner recrute dans les prisons russes », France Inter du 15 septembre 2022.

[13En novembre 2022, il s’est publiquement félicité de l’exécution à coups de masse d’un homme accusé d’avoir déserté les rangs de Wagner.

[14« L’oligarque Evgueni Prigojine, proche du Kremlin, reconnaît avoir fondé le groupe paramilitaire Wagner », Le Monde avec AFP et Reuters, le 26 septembre 2022. https://twitter.com/i/status/1570123353331011586

[15Igor Guirkine, dit Strelkov (le Tireur) avait déjà qualifié les généraux russes de « crétins » et commenté la déroute en dénonçant « un crétinisme impressionnant et un commandement non professionnel ». Fabien Magnenou, « Guerre en Ukraine : comment des voix s’élèvent contre l’état-major russe après la perte de Lyman », France Info le 04/10/2022

[16Matthieu Suc, « Guerre en Ukraine : le « cuisinier de Poutine » met le feu au Kremlin », Médiapart le 27 octobre 2022.

[17Maëlane LOAËC, « Wagner aurait capturé un colonel accusé d’avoir voulu cibler ses combattants. », TF1 le 5 juin 2023.

[18Laurent Lagneau, « Guerre en Ukraine : Le pouvoir russe fait face à une mutinerie armée du groupe paramilitaire Wagner, le 24 juin 2023.

[19Insider, 23 juin 2023, 16h31, https://theins.ru/en/news/262823

[20« This scum will be stopped. » Prigozhin alleges Wagner PMC camps targeted by Shoigu and Russian Defense Ministry, vows retaliation. Insider, 23 June 2023 21:41

[21Une source citée par le média d’investigation « Dossier-Center » a confirmé l’information. https://theins.ru/en/news/262838

[23« General Sergei Surovikin appeals to Wagner PMC mercenaries, urges them to stop the columns and obey the will and order of Vladimir Putin », 24 June 2023 00:04. https://vu.fr/pKcN

[24Insider, 24 juin 2023 01h28, https://theins.ru/en/news/262850

[26« Wagner PMC downs 3 Russian Aerospace Forces helicopters near M4 highway », 24 June 2023 10:57. https://vu.fr/APVN. Information corroborée par les chaînes Telegram Fighterbomber et Helicopterpilot.

[27La Vigie, Bilan hebdomadaire n° 66 (guerre d’Ukraine).

[28Insider 24 Juin 2023 11h52 https://theins.ru/en/news/262866

[29Photos et vidéo sur ce média d’Etat : https://vu.fr/bIjN ou sur Insider du 5 juillet 2023 à 22h54 https://theins.ru/en/news/263202

[30« Putin’s presidential aircraft and “Doomsday plane” fly out from Moscow », 24 June 2023 14:44. https://vu.fr/QiLo

[31https://theins.ru/en/news/262883, Insider le 24 juin 2023 15:05

[32Insider, 26 juin 18h01, https://theins.ru/en/news/262932

[35Andrew Osborn, « Vladimir Putin thanks Russian army for stopping civil war », Reuter, June 27, 2023, 17:51.

[36En voyant tous ces discours, on songe inévitablement aux sincères remerciements d’Edouard Philippe aux forces de l’ordre, le soir du 1er décembre 2018 dans la caserne du 17e arrondissement : d’avoir senti le vent du boulet d’aussi près… ils se confondent tous en obséquiosités redondantes.

[37« Le président a rencontré au Kremlin des militaires du ministère de la Défense. 27 juin 2023,15:00 ». https://vu.fr/cqFAk

[38Paragraphe en partie inspiré de l’article de Veaceslav Epureanu, « Moscou sans défense, cadavres cachés à Rostov, Kadyrovites impuissants : 10 faits qui sont devenus évidents après la rébellion de Prigojine », The Insider, 3 juillet 2023.

[39La milice Wagner était de facto écartée du terrain de guerre et ses membres devaient signer un contrat avec l’armée avant le 1er juillet.

[40L’armée, faite de structures hétérogènes qui se transforment peu à peu en milices rivales : le général Yakovlev, un des plus clairvoyants, a parlé de la « libanisation » de l’armée russe.

[41Bellingcat, « Wagner Mercenaries With GRU-issued Passports : Validating SBU’s Allegation », January 30, 2019. https://vu.fr/aCOZf et https://vu.fr/HUdm

[42Anissa El Jabri, « Russie : Mikhail Mizintsev, de l’armée russe à Wagner », RFI, le 04/05/2023. https://vu.fr/hTByP

[43Selon l’OSINT ou « Open Source Intelligence », en français « Renseignement de Source Ouverte ».

[44D’autre part, durant cette rébellion, les « siloviki » n’ont pas perdu les bonnes habitudes : la police locale de la circulation de la région de Rostov exigeait des automobilistes des pots-de-vin pour le passage sur les routes fermées, menaçant, sinon, de leur faire faire un détour de 1 500 km.

[46Benoît Vitkine, « En Russie, après la chute du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, la rancœur intacte des nationalistes », Le Monde 11 juillet.

[47Sophie Joussellin, « Russie : Poutine a-t-il définitivement écarté Prigojine ? », RTL le 11 juillet 2023. https://vu.fr/oZiq

[48Riley Bailey, Kateryna Stepanenko, Karolina Hird, Nicole Wolkov, and Frederick W. Kagan, « Russian Offensive Campaign Assessment », ISW, July 10, 2023, https://vu.fr/pQcM

[49Ministère Britannique de la défense, le 12 juillet 2023.

[50Reuters le 12 juillet 2023.

[51News, « Russian General Sergei Surovikin detained by counterintelligence, isolated and “unavailable” for over two weeks, Verstka reports », The Insider, 12 July 2023 15:55. https://vu.fr/KyBqi