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UKRAINE : UN PEUPLE SEUL FACE À UNE GUERRE COLONIALE

Carnets de Guerre #19

mardi 12 novembre 2024, par Jean-Marc Royer

Chapeau :

Un maffieux poursuivi pour de nombreux chefs d’accusation a été élu par une majorité de zombies numériques (terme fondé dans le premier « Carnet de réclusion », mars 2020) à la présidence de l’Empire États-unien. Comme il a déjà la cour suprême, le Sénat et qu’il aura sans doute la chambre des représentants à sa botte ; comme il va certainement se séparer de toute la haute administration qui avait pu le tempérer durant son précédent mandat, s’inspirant en cela du document « Project 2025 » de la Heritage Fondation ; comme il aura près de lui le grand ordonnateur de la zombification mondiale, Elon Musk (qui a des liens suivis avec Poutine [1] depuis décembre 2022) et comme il n’y aura plus de contre-pouvoirs dignes de ce nom en face de lui, son règne en tant que dictateur va s’ouvrir le 20 janvier 2025 ; comme il est depuis longtemps un grand complice d’autres mafieux également poursuivis à savoir Poutine (doc. de Vitkine, film The Apprentice, livres de B. Woodward, R. Genté…) et Netanyahou, la survie des entités palestinienne et ukrainienne est en grand danger. Mais pas seulement. En France par exemple, Marine Le Pen, qui, comme d’autres [2], se sent pousser des ailes, a toutes les chances d’être élue en 2027. En ces temps de recomposition des rapports de force entre impérialismes, des jours sombres s’annoncent et tandis que l’esprit de Munich refait surface, de facto, depuis un moment déjà en Occident (n’en déplaise à Godwin), une drôle de défaite, beaucoup plus profonde – anthropologique [3] et pas seulement militaire ou politique – pourrait bien survenir. Elle est d’ailleurs en route, à moins que


Carnets de Guerre #19

UKRAINE : UN PEUPLE SEUL FACE À UNE GUERRE COLONIALE
J-M Royer
Il est plus facile de « voler au secours de la victoire » que d’entrer en Résistance.

L’Ukraine, qui comptait 50 millions d’habitants à la fin du xxe siècle, n’en comptait qu’un peu plus d’une trentaine à la fin de l’année 2023. Depuis l’invasion à grande échelle des forces armées de Poutine en février 2022, 6,4 millions de personnes se sont réfugiées à l’étranger [4] et 4 millions d’entre elles sont déplacées : un exode supérieur en nombre à celui de mai-juin 1940 en France. Depuis cette date, des dizaines de millions d’obus, (dont 3 à 5 millions d’origine nord-coréenne), 13 000 drones (dont plus de 2000 Shahed), 10 000 missiles (dont 1600 venus de Corée du nord) et plus de 30 000 bombes planantes guidées (qui peuvent peser jusqu’à trois tonnes), ont été envoyés sur le territoire ukrainien, sans parler des bombes au phosphore et des bombes thermobariques [5]. La vie de millions d’Ukrainiens a été dévastée jour après jour, nuit après nuit par cette guerre industrielle, totale et à caractère génocidaire [6] menée contre cette population, sa culture, son histoire et qui lutte une fois encore pour sa survie. À l’automne 2024, les victimes civiles et militaires des deux bords atteignaient le nombre d’UN MILLION [7].

Hôpital pour enfants de Kiev bombardé le 7 juillet 2024 par un missile russe KH-101


Lesdites « garanties » d’intégrité territoriales bafouées par Moscou depuis un demi-siècle
Moscou s’était engagé à respecter la souveraineté de l’Ukraine dans les dix documents suivants : l’acte final d’Helsinki signé en 1975, le traité du 19 novembre 1990 [8], les accords de Minsk du 8 décembre et ceux d’Alma-Ata du 23 décembre 1991 [9]. Les mémorandums de Budapest du 5 décembre 1994 sont trois documents signés par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Ukraine (puis la France et la Chine) [10] qui accordent des garanties d’intégrité territoriale et de sécurité à chacune de ces trois anciennes républiques soviétiques, en échange du transfert de leur arsenal nucléaire à la Russie et de leur ratification du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) [11]. Le 31 mai 1997, le traité d’amitié russo-ukrainien prévoyait à l’article 2 qu’ils s’engagent à respecter intégrité territoriale et inviolabilité de leurs frontières respectives. Le 29 janvier 2003, l’Ukraine et la Russie, ont signé des accords sur leurs frontières. Le 4 décembre 2009, jour d’expiration du traité Start de réduction des armes stratégiques, les États-Unis et la Russie ont publié une déclaration commune, qui confirme les garanties de sécurité figurant dans les mémorandums de Budapest [12].
Poutine n’a pas seulement violé tous les textes, accords, traités internationaux par lesquels la souveraineté de l’Ukraine et l’intangibilité de ses frontières avaient été actés depuis 1975. Sa guerre d’agression, c’est aussi LE crime qui ouvre toutes les poursuites pénales concernant les crimes de guerre, les crimes contre l’Humanité et de génocide. S’attaquer aux civils, aux hôpitaux, aux écoles, miner les cimetières, détruire les barrages, constituent aussi des crimes régis par le droit international.

Évacuation d’une femme enceinte de l’hôpital de Marioupol détruit. Mai 2022.

Aveuglement ou hypocrisie pérenne des Occidentaux face à V. Poutine ?
Que ce soit lors des interventions armées de V. Poutine en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine, en Syrie, dans le Haut-Karabakh, au Kazakhstan ou en Afrique par l’intermédiaire de feu-Wagner, à chaque fois, les gouvernements européens ont détourné le regard : de gros intérêts – commerciaux, gaziers, pétroliers miniers et nucléaires [13] – étaient en jeu, sans parler de la construction des gazoducs Nord-Stream qui aboutissait, de facto, à une marginalisation économique et politique de l’Ukraine voulue par le régime de V. Poutine après ses différents gaziers de 2006 et 2009. Et en mars 2024, les responsables étatsuniens appelaient même les Ukrainiens à cesser leurs attaques contre les infrastructures pétrolières de Russie, « car cela pourrait provoquer une hausse des cours du brut sur le marché mondial » !

Philippe Rekacewicz, « L’Ukraine, corridor énergétique de l’Europe », Le Monde Diplomatique, Janvier 2005.

Parallèlement, les États occidentaux se sont tous parjurés et dérobés devant les obligations d’intervention auxquelles la signature de conventions et traités internationaux les astreignaient [14]. Sans parler de la reconnaissance internationale des frontières et des « garanties de sécurité » qu’ils ont donné à l’Ukraine depuis 1975. Une de leurs manières de se défausser fut de proclamer haut et fort dans les médias que ce qui advenait depuis le 24 février 2022 était uniquement « l’affaire des Ukrainiens », « qu’ils étaient souverains », que « la décision leur appartenait », etc. La tartuferie n’a pas de limite.
Loukachenko, lui, après avoir « prêté » le territoire biélorusse au passage des troupes de V. Poutine en février 2022, a accepté la réinstallation d’armes nucléaires russes sur son territoire en octobre 2023. On apprenait au passage que ces installations n’avaient pas été totalement démantelées, en totale contradiction avec la signature du mémorandum de Budapest. Un an plus tard, Kim Jong Un, après avoir envoyé des millions d’obus, envoie ses soldats par milliers. Y aura-t-il un seul gouvernement occidental pour, cette fois-ci, donner le nom qui convient à ces… cobelligérances ? Toujours est-il qu’en conséquence de l’hypocrisie des gouvernants occidentaux et autres « responsables politiques » bien en vue, les Ukrainiens et des populations pauvres et lointaines de la fédération de Russie meurent en ce moment.

La Russie, la Chine et leurs armées ne s’affaiblissent pas, au contraire
Depuis les années 1990, les gouvernements états-uniens regardent la Chine comme leur concurrent le plus sérieux. Tout se jouerait donc pour eux dans l’Indo-Pacifique, en conséquence de quoi l’Europe serait devenue « un terrain secondaire d’affrontement » [15]. L’axe de la politique étatsunienne en Ukraine résulte de tout cela, et il a été maintes fois répété : il s’agirait avant tout d’affaiblir la Russie et d’éviter que se forme une coalition avec la Chine. Mais cette soi-disant « stratégie » – dont on remarquera que le peuple ukrainien [16] n’y tient qu’une place accessoire – produit exactement les effets inverses de ce qui est escompté.
Le lent rouleau compresseur soviéto-stalinien a certes mis du temps à se mettre en marche, mais vu ses « réserves humaines » [17], ses stocks de vieux matériels en cours de rénovation, la disponibilité des fabricants chinois à lui fournir les machines-outils, les composants microélectroniques ou les technologies duales nécessaires, la collaboration étroite de la Corée du nord et le contournement des sanctions par les entreprises occidentales [18], V. Poutine pourra tenir encore longtemps le type de guerre d’agression qu’il mène. Il n’y aura pas d’affaiblissement militaire russe, bien au contraire : l’armée de Poutine est en train de s’aguerrir, de s’organiser et de se moderniser tandis que toutes ses populations et ses industries sont progressivement placées en ordre de bataille grâce au pouvoir dictatorial qui règne au Kremlin. Le pays tout entier est ainsi en train de passer en économie de guerre et le budget militaire a doublé.
De plus, une coalition internationale est en train de cristalliser entre Russie, Corée du Nord, Iran et Chine. Xi Jinping, lui, avance prudemment ses pions : il attend accessoirement de cette guerre une défaite de l’Ukraine, c’est à dire par contrecoup un isolement et un affaiblissement des États-unis comme cela leur est arrivé ailleurs ces dernières années. Ce ne serait après tout que leur quatrième retraite d’ampleur après celles effectuées devant Bachar el Assad, Daech et les Talibans.

Un peuple seul face à une guerre coloniale
Aux États-unis (et dans l’Allemagne de Scholz à présent), certains estiment que les Ukrainiens ne pourraient plus avoir les moyens de recouvrer l’ensemble de leur territoire et qu’il ne serait pas rentable de continuer à les soutenir, d’autant que pour eux, cette guerre détournerait une partie des moyens de leurs réelles priorités, à savoir notamment l’Indo-Pacifique et le Moyen-Orient. Des « pourparlers officieux » sont menés dans le dos des Ukrainiens [19]. L’élection du roi de l’immobilier new-yorkais, serait évidemment accueillie par V. Poutine comme un blanc seing, avec les graves suites que l’on imagine. Tout cela nous amène malheureusement à dire que depuis 2014, les gouvernements Occidentaux soutiennent le peuple ukrainien comme la corde un pendu.

La confusion politique et la possibilité d’être dans un nouvel avant-guerre
Un prosélytisme pro-russe, a été remis au goût du jour au milieu des années 2010 par les appareils de propagande éprouvés du Kremlin, puis par les nombreuses sociétés de « soft power » qui gravitent autour du pouvoir, telles celles qui composaient le groupe de feu Evgueni Prigojine [20], sans parler de l’usage desdits « réseaux-sociaux » par les usines à trolls. S’appuyant sur le commerce des armes, le pillage des mines d’or et de diamants par un mercenariat néocolonial, cette propagande a été exportée avec succès en Afrique où un « anti-impérialisme » daté s’affranchit totalement de l’histoire impériale russe et des crimes de masse du soviéto-stalinisme. Le mythe de « la grande guerre patriotique » fait partie de la mise en scène grandiloquente de ces mensonges d’Etat dont le Kremlin a une longue expérience : chaque année cela donne lieu au défilé du « régiment des immortels ». C’est aussi une conséquence de l’immense désert théorico-critique hérité de « la Guerre de trente ans » (1914-1945) [21].

Netanyahou et Poutine 9 mai 2018

Ledit « anti-impérialisme » que les « gauches » d’antan avaient largement perpétué dans le monde, peut également être caractérisé par un simplisme historiographique, un manichéisme permanent, la manipulation des évènements, un tropisme latino-américain et un aveuglement total quant à l’impérium tricentenaire de la Russie. Car celui-ci, à la différence des empires coloniaux espagnol, britannique ou français – qui se sont essentiellement développés « outre-mer » – a été un colonialisme « de voisinage » puisque les territoires conquis du xviie siècle jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale l’ont été, par strates successives, en périphérie immédiate du territoire initial. Les séquelles de cette longue histoire coloniale russe [22] perdurent encore à présent : comme par le passé, ce sont les minorités ethniques de la Fédération (Ossètes, Ingouches, Tchétchènes, Tchouvaches, Komis, Bouriates…) qui ont payé le plus lourd tribut sur le champ de bataille ukrainien, alors que les classes moyennes métropolitaines étaient épargnées.
Ces erreurs d’analyse sont également le produit d’une « rupture de mémoire » entre générations, laquelle s’est combinée à un recul politique et théorique depuis que la contre-révolution ultralibérale s’est mondialement imposée, au début des années 1990. Aussi, la confusion idéologique qui régnait déjà dans ce qui reste de contre-pouvoirs en Occident, pourrait bien avoir atteint ces derniers temps des sommets inégalés depuis les années 1930, toutes choses qui expliquent en partie, les difficultés de la mobilisation en faveur du peuple ukrainien.
Or, comprendre qu’il s’agit d’une lutte anticoloniale serait décisif par bien des aspects. Ainsi, croire en la possibilité de mener une guerre limitée contre un colonisateur qui mène une guerre totale constitue une erreur stratégique qui conduit inéluctablement à la défaite. Par contre, les guerres de libération du Vietnam ont montré qu’il est possible de défaire la plus grande armée du monde à trois conditions : que le peuple du pays envahi comprenne qu’il fait l’objet d’une tentative d’annihilation coloniale [23], qu’il se dote d’une organisation de résistance militaire (clandestine ou mixte), susceptible de soutenir cette lutte de manière pérenne et enfin qu’une opinion mondiale la soutienne.
Ce qui complexifie l’analyse, c’est que parallèlement, et tandis que deux guerres « de très haute intensité » sont en cours, des alliances militaires internationales se nouent, comme à la veille d’un conflit de grande ampleur. En réalité, une recomposition mondiale des rapports de forces est en cours entre d’un côté les pays Occidentaux et de l’autre la Chine [24], la Russie et leurs alliés. C’est ce qui structure en profondeur notre époque comme cela avait structuré le premier xxe siècle. Autrement dit, cette concurrence inter-impériale est devenue aiguë et décisive au point d’ouvrir un nouvel « avant-guerre ». Que celui-ci s’éternise ou précipite, nul ne peut le prédire ; mais examinons par exemple le front qui s’étend de St Pétersbourg et Kaliningrad dans la Baltique, jusqu’à la Transnistrie et la Mer Noire, en passant par le couloir de Suwałki [25] et la Biélorussie. Il mesure au total plus de 3 000 km, sans compter la longueur de la frontière russo-finlandaise. Tout au long de ces milliers de kilomètres, il peut à tout moment se produire des erreurs ou des opérations tactiques limitées peuvent mal tourner et entraîner des évènements imprévus en cascade, surtout en temps de guerre.

Nous aurons tout entendu depuis le début de cette guerre
L’amnésie générale devant les massacres perpétrés sous les ordres du Kremlin depuis 1999 n’en finit pas de nous étonner ; d’autant que ces armées, dès le moment où elles ont franchi la frontière ukrainienne, tuaient, volaient, violaient et torturaient indistinctement civils et militaires que ce soit à Irpin, à Boutcha, dans les sous-sols de la centrale de Zaporijia [26], à Kherson ou ailleurs, exactement comme elles l’ont fait depuis des décennies avec les encouragements de hiérarchies soldatesques formées au cours de massacres coloniaux en Afghanistan, en Tchétchénie et ailleurs. Drôle de manière de venir « libérer les populations » ukrainiennes soi-disant opprimées, ce qui fait penser, par le prétexte avancé, à la « libération des sudètes germanophones opprimées par la Tchécoslovaquie », en 1938.
Le pire fut de justifier, mezzo voce, la conquête d’un « espace vital » nécessaire à la sécurité de Moscou en faisant fi des frontières internationalement reconnues, (y compris par la Russie elle-même), sous prétexte d’une « agression de l’Otan » qui n’a jamais existée [27]. Et dire cela n’est pas absoudre cette alliance militaire de toutes ses turpitudes. Quant à la menace qu’aurait représentée « son avancée », on s’étonnera que les adhésions majeures de la Finlande et de la Suède [28] – provoquées par l’invasion de 2022 – n’aient entraîné aucune protestation de la part de V. Poutine.
De même, penser ou dire à présent que la guerre en Ukraine est une machination du capitalisme états-unien ressort de la triple forfaiture factuelle, politique et théorique. Personne ne peut nier que les Ukrainiens ont repoussé seuls les troupes de Poutine dans les premières semaines de février-mars 2022 avec des armements encore majoritairement soviétiques, héritage pérenne d’un colonialisme dont cette armée a des difficultés à se défaire [29]. À ce moment-là, c’est la très grande majorité de la population qui s’était auto-organisée, sous le regard ébahi du monde entier. Politiquement, cela revient également à masquer le fait avéré que les États-unis ont depuis longtemps tourné leurs yeux vers l’Indo-pacifique et que l’Europe est plutôt regardée comme une entité concurrente « qui doit assumer ses propres frais de défense ». Bref, pour certains leaders politiques qui reprennent les trolls de Poutine, le président et le peuple ukrainien seraient des marionnettes occidentales ; dans la théorie, cela revient à nier les capacités d’auto-organisation politique d’une population, de faire peuple, et même d’exister en tant que tel, toutes choses qui font aussi partie des bases idéologiques de l’impérialisme grand russe.

Déserter, oui mais déserter le camp de Poutine !
En France, il y eut aussi un pacifisme bêlant à la Daladier [30], face à un envahisseur colonial armé, ce qu’aucun Ukrainien ne pourrait ni comprendre, ni accepter, évidemment. On entend aussi par ailleurs qu’il faudrait « déserter ». Certes, déserter l’armée de Poutine est de la toute première urgence, mais les salaires versés ou promis transforment les contractants en enragés qui relèvent plutôt du mercenariat. Les exceptions doivent donc effectivement être accueillies et soutenues comme tous ceux qui risquent leurs vies à chaque instant dans la fédération de Russie en essayant de détruire quelques équipements concourant à son industrie ou à son appareil militaire [31]. Ceux-là méritent l’estime du peuple ukrainien. Mais déserter les brigades territoriales ou l’armée ukrainienne pour quoi faire ? Pour s’enfuir en pensant uniquement à sauver sa peau avec des prétextes politiques ou antimilitaristes ? Et pourquoi pas déserter sur les belles plages de la Crimée ensoleillée, une destination touristique russe à la mode ? Déserter en Europe pour y refaire sa vie et laisser ses amis, ses compagnons ou ses vieux parents sous les bombes ? Déserter alors que tout un peuple subit une sixième tentative d’extermination coloniale [32] en moins d’un siècle ? Si déserter signifie rester au pays ou participer à la résistance d’une manière ou d’une autre, alors oui, cela est acceptable. À condition aussi que ce pacifisme proclamé ne soit pas une attitude de circonstance qui ressemblerait pour le moins à un opportunisme individualiste du même type que celui qui est produit et promu par toute société capitaliste.

Conscience politique et guerre de libération des peuples colonisés
La revendication d’une nation « trinitaire » – Russes, Ukrainiens et Biélorusses pour simplifier – c’était une expression entrant dans la titulature des tsars et des patriarches de Moscou qui justifiait officiellement l’existence et l’expansion de l’Empire russe. Fondamentalement, l’écrasement par la terreur des aspirations indépendantistes de l’Ukraine entre 1918 et 1922, puis le massacre de masse à caractère génocidaire de sa population lors de l’Holodomor (1932-1933), furent à la fois un acte constitutif de la dictature stalinienne et un acte de renaissance de l’impérialisme russe, un néo-impérialisme soviéto-stalinien.
Sur la nuque des peuples asservis par l’URSS pèse encore la multitude des crimes commis par un appareil étatique voué – dans les discours des jours de fêtes – à l’accouchement aux forceps d’une espèce nommée « Homme nouveau », ou plus exactement homo sovieticus, ce qui a finalement débouché sur l’institution des êtres comme une « ressource », un « capital précieux » [33] dans lequel puiser sans limite, c’est-à-dire par effraction, si nécessaire. Par exemple en caractérisant le paysannat comme une survivance inutile et nuisible du passé [34] dès 1919. Après l’effondrement de l’empire soviétique sur sa propre corruption politique, matérielle et morale, le cercle dirigeant du Kremlin a tout fait, depuis le début du xxie siècle, pour faire renaître un empire qui, sans contrôle en particulier sur l’Ukraine (gazoducs et pipe-lines traversants et sous contrôle, ports en mer noire et meilleur accès à la Méditerranée…) perdrait une partie de sa puissance géopolitique.

Affiche de propagande soviétique (1921) proclamant le Donbass « cœur de la Russie. »

La dictature mafieuse qui règne actuellement au Kremlin, c’est la forme nue et crue de l’ancien totalitarisme soviéto-stalinien qui aurait intégré les préceptes ultralibéraux. Elle bâillonne plus étroitement les populations derrière un nouveau rideau de fer en partie algorithmé. C’est ce qui les empêche physiquement d’exercer leurs libertés ; mais ce qui les entrave surtout, c’est le poids gigantesque des crimes du passé qui encombre encore leur mémoire et leur inconscient. C’est pourquoi la défaite et le renversement de Poutine, l’instauration de formes de démocratie, d’auto-détermination et d’auto-organisation sera aussi la victoire de tous ces peuples anciennement ou actuellement colonisés par les tsars, qu’ils se nomment Ivan, Dmitri, Fédor ou Vladimir.

Butcha, le 4 avril 2022. Source : The Insider
Sur un immeuble de Vilnius : « Poutine, La Haye t’attends »

Où en sommes-nous ? Quelques éléments d’analyse de la situation actuelle
L’Ukraine est en difficulté sur les plans humain, matériel et politique. Une rupture du front serait-elle possible ? La rapidité de la dislocation du dispositif allemand en trois mois, entre août et novembre 1918, en illustre malheureusement la possibilité militaire, surtout en cas de lâchage états-unien. 2/ Poutine est prêt à sacrifier des centaines de milliers d’hommes (non russes), il a bâillonné son pays et son industrie de guerre va bientôt tourner à plein régime. 3/ De novembre 2023 à la fin avril 2024, les acolytes de Trump au congrès avaient bloqué une aide à l’Ukraine qui se montait officiellement à 61 Mds $ [35] mais était en réalité d’environ 15 Mds, tandis que la réunion de Ramstein [36] prévue le 10 octobre suivant était annulée… En fait, tout se passe comme si les États-Unis maintenaient l’Ukraine sous perfusion [37] tout en regardant vers la Chine et le Pacifique ; pire, le devenir de la population ukrainienne est passé au troisième rang de leurs préoccupations depuis de début de la guerre au Moyen-Orient tandis qu’une majorité de « zombies numériques » répètent à l’envi que l’aide aux Ukrainiens est « une dépense improductive et politiquement inutile ». 4/ L’éventuelle arrivée de Trump au pouvoir doit être vue comme une reddition programmée de l’Ukraine à court terme et en concertation avec Poutine. 5/ En mai 2024, l’UE a décidé d’utiliser les intérêts provenant des fonds russes gelés pour acheter des armes destinées à l’Ukraine (3 Mds d’€), mais sa mobilisation politique et industrielle ne serait clairement pas à la hauteur si Trump était élu.
Mais à ces cinq éléments il en manque au moins deux autres pour compléter l’analyse : quelles seraient les réactions du gouvernement ukrainien et quels niveaux de mobilisation des populations en Ukraine et dans le monde seraient susceptibles de renverser le cours de tous ces crimes coloniaux ?

Pourrait-on arrêter Poutine en cas de « rupture du front » ?
Esseulés, les gouvernements européens n’auraient ni la volonté politique, ni la capacité d’arrêter le Kremlin. Même les hypothèses de partition du territoire ukrainien sous la forme d’un État-croupion ou d’un État-tampon résiduel à l’Ouest pourraient n’être acceptées que d’une manière temporaire par Poutine, le temps de refaire ses forces. En effet, il serait peu probable qu’il se prive à terme d’une continuité territoriale avec ses amis Slovaques, Hongrois, puis Slovènes, dans l’optique de reconstituer une sphère d’influence correspondant au périmètre de l’URSS dont il cultive la nostalgie, en la justifiant par des élucubrations historique, linguistique et sécuritaire. Qu’il se réfère de temps à autre « aux vieilles terres russes de l’Ouest » ou qu’il dresse des parallèles entre ses ambitions pour la Russie et les réalisations du tsar Pierre le Grand, toutes ces divagations visent à justifier un néocolonialisme à travers la renaissance, le « Revival », d’un Empire russe : « Make Russia Great Again », c’est un credo qu’il partage avec son ancien collègue, Cyrille, le patriarche de l’église orthodoxe de Moscou.
Les étapes suivantes de cette « reconquête » seraient fort logiquement la Moldavie et la Géorgie. Le 23 juin 2022 et le 14 décembre 2023, les États membres de l’UE ont accordé à la Moldavie et à la Géorgie le statut de candidat officiel à l’entrée dans l’UE. N’étant assorti d’aucunes garanties, ce statut est une sorte de « baiser de la mort » : il aggrave l’hostilité du Kremlin et désigne ces deux pays comme ses cibles prioritaires après l’Ukraine. Pour la Géorgie, il n’y aurait pas d’issue : le pays est malheureusement indéfendable face à Poutine. Quant à la Moldavie, elle ne pourrait « survivre » qu’au prix d’une ablation de la Transnistrie et d’un abandon définitif de souveraineté en s’intégrant rapidement à la Roumanie qui est membre de l’OTAN et de l’UE. À défaut, « le devenir géorgien » s’imposerait également à la Moldavie. Enfin, les pays de l’UE seraient-ils capables de faire pour les Pays Baltes ce qu’ils n’ont pas fait pour l’Ukraine ? Ces trois pays connaissent d’avance la réponse à cette question : elle les taraude d’autant plus qu’ils n’ont pas les moyens humains et matériels de se défendre seuls.

Une défaite provoquerait l’exode européen le plus massif depuis 1945 [38]
Une victoire des armées poutiniennes et la mise en place d’un régime fantoche à Kiev auraient des conséquences majeures, d’abord en Ukraine, évidemment : le départ de dix millions de personnes est un minimum, mais il semble plus réaliste de prévoir quinze à vingt millions de réfugiés, sans parler des déplacés internes, des déportés, des prisonniers, des tués et des disparus. En effet, en cas de défaite, la population sait déjà à quoi s’en tenir : du massacre de Boutcha aux centres de torture de Kherson, d’Izium, de Zaporijia et d’ailleurs, de la déportation d’enfants à l’utilisation massive du viol comme arme de guerre, les armées de Poutine ont déjà annoncé le programme. Tous ceux qui sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans la défense de l’Ukraine depuis février 2022, ainsi que leurs familles et leurs proches, se sentiraient légitimement menacés. Mais cela va bien au-delà puisqu’il s’agirait de faire un choix existentiel pour soi-même et ses proches : accepter de vivre sous une dictature ou se battre pour un avenir libre en Ukraine ? Très vite, la question de l’organisation clandestine puis de la résistance armée à l’envahisseur se poserait.
Par ailleurs, un mouvement d’exode massif serait largement favorisé et entretenu par le Kremlin qui cherche à conquérir des territoires plus que des populations, comme l’ont montré les « évacuations » des territoires occupés, les déportations d’enfants et le nettoyage ethnique de la Crimée de 2014 à 2019 : environ cent-quarante mille Ukrainiens et Tatars de Crimée ont été forcés de quitter la péninsule, tandis que quelque deux-cent cinquante mille russes y ont été installés. La russification perdure à travers les siècles ; en histoire, cela s’appelle une colonisation de peuplement. Il est évident aussi que Poutine encouragerait énergiquement le départ en masse des Ukrainiens avec l’idée de pouvoir déstabiliser d’abord les pays frontaliers, puis les autres. Nous assisterions alors au plus important déplacement de population en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : entre 1945 et 1950, environ douze millions d’Allemands avaient fui ou avaient été expulsés du centre-est de l’Europe vers l’Allemagne et l’Autriche occupées par les alliés. Il est évident que les pays de l’UE ne pourraient faire face à un tel afflux sans de graves conséquences [39], tant en termes politiques qu’organisationnels ; ceux qui sont frontaliers de l’Ukraine voient déjà leurs capacités d’accueil saturées et connaissent des tensions socio-politiques instrumentalisées par les extrêmes droites : ils seraient alors clairement fragilisés par un nouvel afflux massif – ce qui correspondrait aux objectifs de Poutine.

Dans la région de Kharkiv, en 1933, des paysans affamés quittent leur village pour se réfugier en ville et tenter de trouver de la nourriture.

Photo clandestine prise par Alexander Wienerberger [40].

Ces réflexions amènent aux conclusions (très) provisoires suivantes
Regardons les choses en face : après la livraison des centaines de missiles et des millions d’obus [41] qui ont permis à Poutine de poursuivre sa guerre d’attrition, la Corée du Nord envoie maintenant son chef d’Etat-major adjoint, lequel accompagne plus de dix mille hommes qui sont sur le chemin du front. Il est indéniable, qu’outre des échanges de services et de technologies de pointe conclus entre les deux pays, leur accord politico-militaire va permettre à Kim Jong Un d’acquérir une « expérience de la guerre » et surtout une dimension internationale qui lui faisait défaut, puisqu’il n’était même pas invité au dernier sommet des BRICS. En outre, Poutine a dû faire valoir à son nouvel ami une des conclusions issues de son expérience récente : la Corée du nord étant une puissance nucléaire, tous détourneront le regard.
L’administration états-unienne elle-même, après quelques tergiversations et sous la pression de Kiev puis Séoul, a bien été obligée de reconnaître la réalité des faits, mais elle se garde bien de leur donner un nom. On devine que cela lui pose problème, puisque la seule manière de désigner les agissements du dictateur Nord-coréen consisterait à dire qu’il est entré en guerre contre l’Ukraine. Et comme l’a fort justement déclaré Zelenski le 2 novembre 2024 : « la réaction des occidentaux, c’est Zéro ».
En conséquence, l’illusion court toujours qu’il pourrait s’agir d’une guerre géographiquement et politiquement limitée à l’Ukraine qu’il serait possible d’éteindre comme par magie… ou en négociant avec le chef du Kremlin qui n’a jamais tenu ses engagements et ne les tiendra jamais. Terrible méprise qui pourrait avoir de graves conséquences, car ces soi-disant « négociations » impliqueraient l’annihilation de la souveraineté du peuple ukrainien, le déni de son existence en tant que tel, de son droit à un territoire, à sa langue, à sa culture, à son histoire ; mais la certitude, pour ceux qui ne pourraient pas s’en aller, serait d’être asservis sans ménagements. Autrement dit, il s’en suivrait une tentative d’éradication génocidaire confortée par une russification de grande ampleur.
L’autre difficulté à laquelle se heurte le peuple ukrainien, c’est que cette guerre n’est pas regardée comme une guerre coloniale par la majorité des populations mondiales. C’est dire qu’à l’exception des populations baltes, polonaise et de quelques autres qui ont vécu dans leur chair le soviéto-stalinisme durant des décennies, la plupart d’entre-nous n’a pas été en mesure de saisir clairement l’essence des projets coloniaux de Poutine, un lourd passif encombrant encore toute tentative d’élucidation [42]. D’autant que le savoir faire acquit en soixante-dix ans d’expérience soviéto-stalinienne en matière de propagande politique est recyclé en le modernisant, puis diffusé sur Internet, avec le concours desdits « réseaux sociaux » et en particulier ceux d’Elon Musk [43]. D’où sa propagation internationale.
Mais le plus important est de comprendre que les conséquences d’une défaite du peuple ukrainien seraient immenses, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde : les autocrates, les putschistes, les dictateurs et les prétendants d’extrême droite au pouvoir se sentiraient pousser des ailes, tandis que les frontières internationalement reconnues ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’auraient plus beaucoup de valeur à leurs yeux. Ce serait également un recul historique et politique de grande ampleur, alors qu’au contraire, une défaite de Poutine serait salvatrice pour tous les peuples maintenus sous la férule coloniale de Moscou en Eurasie, en Afrique et ailleurs dans le monde.

J-M Royer, 4 Novembre 2024

PS : Si, comme cela est probable, Trump « vend » une partie de l’Ukraine à Poutine, au moins le temps de son mandat, que feront les gouvernements européens ? RIEN. Mis à part des déclarations et la signature de « bouts de papier », comme tous ceux qui garantissaient l’intégrité de l’Ukraine depuis des lustres. Si, avant novembre 2028, Poutine envahit un pays Balte, que fera Trump ? RIEN. Et les européens ? RIEN, comme depuis un quart de siècle.


[1Premières minutes de l’émission « Affaires étrangères », France Culture, le 2 nov. 2024. Musk était présent lors du premier échange téléphonique entre Poutine et Trump, Le Monde 8 novembre, La Dépêche 9 novembre 2024. Merci encore à Gary L. pour sa relecture attentive.

[2Écouter ce discours d’Orban dans les trois premières minutes de l’émission « question du soir » du 7 nov. 2024 à 18h20 sur France Culture.

[3Lire cet article de François Manens, « xAI, le projet monstrueux d’Elon Musk dans l’intelligence artificielle », dans le quotidien économique La tribune du 7 nov. 2024 : https://urls.fr/TFxiUR

[4Quelques sources : Julia Pascual et Faustine Vincent, « En Ukraine, entre trois et quatre millions de personnes ont dû quitter leur domicile, détruit par un drone ou une roquette », Le Monde 26/01/2024. Amandine Hess, « Ukraine : le bilan de deux ans de guerre en chiffres », Euronews, le 24/02/2024. « Mediazona et BBC News Russian établissent, semaine par semaine depuis l’invasion de l’Ukraine du 24 février 2022, une liste des victimes du conflit », L’Express, 22-02-2022. The Insider, https://theins.ru/en/news/250063. Pierre Madelin in Lundimatin du 27/02/2023, Olivier Sueur, Le Rubicon, 23/10/2024. Air et Cosmos, Gal Yakovlev, La Vigie, Opex360, La voie de l’épée pour les aspects militaires.

[5Leur puissance de destruction n’est surpassée que par les armes nucléaires dans leur aptitude à raser des quartiers entiers. En outre, elles consument tout l’oxygène dans un certain rayon d’action – engendrant ainsi une mort de masse par asphyxie. Il y eût des offensives où le chiffre de 60 000 obus par jour fut largement dépassé. On aimerait bien à ce propos que les organisations écologistes se saisissent de ce qui est en train de devenir les « zones rouges ukrainiennes », identiques à celles qui existent dans le nord de la France plus d’un siècle après la guerre de 14.

[6La guerre « totale » vise explicitement les civils du camp adverse. La locution « à caractère génocidaire » s’applique, entre autre, à la déportation des enfants ukrainiens en Russie pour laquelle Poutine est recherché par le TPI.

[7Civils ukrainiens : 28 000 à 40 000 tués ou disparus, 25 000 blessés (28 000 prisonniers). Militaires ukrainiens : 70 000 tués ou disparus et 200 000 blessés. Forces russes : 175 000 tués ou disparus (dont 50 000 détenus « wagnerisés ») et 500 000 blessés. Sources : The Wall Street Journal du 17-09-2024, Wikipédia consulté le 4-10-2024, le Grand Continent du 18-09-2024, France Inter du 19-09-

[8Journal article, « document 7 : traité entre la RSFS de Russie et la Rss d’Ukraine, signe a Kiev le 19 novembre 1990, par B. Eltsine et l. Kravtchouk », Studia Diplomatica, Vol. 46, No. 3/5, l’indépendance de l’Ukraine (1993), p. 345-348. https://www.jstor.org/stable/44836786

[9Accords qui établissent la Communauté des Etats Indépendants. Emma Donada, « La Russie s’était-elle engagée à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine via le Mémorandum de Budapest ? », Libération CheckNews le 11 mars 2022 et https://www.cvce.eu/content/publication/2005/4/15/d1eb7a8c-4868-4da6-9098-3175c172b9bc/publishable_fr.pdf

[10United Nations, Treaty Collection. Volume 3007, I-52241. Ukraine, Fédération de Russie, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et États-Unis d’Amérique Mémorandum relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Budapest, 5 décembre 1994.

[11Mémorandum relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Budapest, 5 décembre 1994. Volume 3007, I-52241. https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%203007/Part/volume-3007-I-52241.pdf

[13Le capital français a intimement collaboré avec le capitalisme d’État russe, par exemple dans le domaine nucléaire, ce qui a permis à Rosatom de devenir la plus grande entreprise de construction nucléaire du monde. Pour sa part, le capital d’outre-Rhin a partiellement bâti sa domination européenne sur l’importation des ressources énergétiques russes, sur l’exil des populations de l’ancien glacis soviétique et sur les débouchés chinois de ses plus grandes entreprises, pays qui est son premier « partenaire commercial » : WW y réalise 37% de son chiffre d’affaires et les plus grandes entreprises plus de 20% de leurs bénéfices. D’où les visites précipitées d’Olaf Scholz à Pékin, dès novembre 2022, puis en avril 2024, alors que les services de renseignements occidentaux disposaient déjà d’informations selon lesquelles « la Russie et la Chine collaborent à l’élaboration d’équipements de combat destinés à l’Ukraine ». London Defence Conference : Russia and China are collaborating on combat equipment in Ukraine, Kings’s College London. The Guardian, 23 mai 2024.

[14La signature de certains traités ou conventions – comme celle sensée prévenir le danger de génocide ou le droit humanitaire – fait obligation aux États signataires d’intervenir pour l’empêcher.

[15Allusion au fait que, durant la « Guerre froide », les affrontements Est-Ouest se faisaient hors d’Europe et d’Amérique du Nord, sur des terrains dits « secondaires », à savoir les autres continents.

[16La notion de peuple est très problématique. Pour le dire rapidement elle ne peut être légitimement être employée que dans deux moments historiques précis : lors d’une Révolution et lorsqu’il s’git de repousser un envahisseur armé, et encore, à certaines conditions dans ce dernier cas.

[17Sur le front, V. Poutine s’est d’abord servi des populations paupérisées, non russes, des étrangers démunis, des immigrés d’Asie centrale et des détenus comme troupes « immédiatement consommables » lancées sur les positions ukrainiennes pour les affaiblir.

[18Il n’est que de voir la hausse subite des exportations européennes, notamment allemandes et suisses, vers le Kazakhstan, l’Ouzbékistan ou les pays du Caucase pour le comprendre. Cf. le site La Vigie, Bilan hebdomadaire (guerre d’Ukraine) n° 82 du 18 février 2023 et Trading Economics, Switzerland Exports to Uzbekistan, 2024 Data 2025 Forecast 1993-2023 Historical. Cf. également à ce sujet les études du site Disclose et de la CELI de l’université de Yale. https://urlz.fr/pXKQ Fin 2023, l’entreprise Total était toujours impliquée dans le méga-chantier gazier de la péninsule de Yamal en Sibérie avec l’entreprise russe Novatek, Camillle Escudé, « Le Temps du débat », France Culture, le 25 déc. 2023 et Ulysse Legavre-Jérôme, « Gaz russe : la France championne d’Europe des importations malgré la guerre en Ukraine », Les Echos, 12 avril 2024.

[19Il s’agit de Richard Haass et Charles Kupchan, qui sont membres du Council on Foreign Relations, le think tank qui publie la revue Foreign Affairs. Thomas Graham, et Mary Beth Long feraient aussi partie de ces négociations secrètes. Dans un article de leur revue en date du 17 novembre 2023, ils proposaient une nouvelle ligne « centrée sur la négociation d’un cessez-le-feu en réorientant l’action militaire [ukrainienne] à la défensive » : la priorité ne serait plus la restauration de son intégrité territoriale, mais à titre de compensation, certains États occidentaux offriraient des garanties de sécurité à l’Ukraine, comme ce fut fait depuis 1975 et au début de l’année 2024 : hasard ou nécessité programmée ? Les auteurs, dans leur recherche d’une solution, passent sous silence d’une part le questionnement sur les buts de guerre de V. Poutine et d’autre part leurs implications pour l’Ukraine ». Article « Guerre en Ukraine : la Russie et les États-Unis mèneraient des négociations de paix en secret depuis des mois », La Rédaction, La Libre.be, 07.07.2023.

[20Dont son entreprise Internet Research Agency (IRA). Les activités du groupe, y compris en Afrique, ont été reprises en main par le Kremlin. À ce sujet, une des meilleures sources d’information, c’est le site d’opposition russe The Insider qui renvoie souvent à d’autres sites ou journaux sérieux et reconnus avec lesquels il travaille et que les médias main stream français découvraient au début du mois d’avril 2024 à propos dudit « syndrome de Cuba ». Ses investigations ont donné lieu à des enquêtes judiciaires dans plusieurs pays ou au parlement de l’UE.

[21Dans les années 1970 encore, des revues et des écrivains célèbres sont allègrement passés d’un stalinisme bon teint à un autre : le maoïsme. Dans l’un et l’autre cas, les millions de morts de ces dictatures, ne comptaient pas devant « le grand bond en avant » acquit par ces peuples grâce à une l’industrialisation massive et à la prolétarisation violente des paysanneries.

[22Ce colonialisme a perduré en URSS sous la forme d’un échange inégal organisé par le Comecon, organisme de « coopération économique » créé par Moscou, en janvier 1949. Parallèlement, la Pologne (1939-1956), les Etats Baltes (1940-1991), la Bessarabie et la Bucovine du nord (1940), la Hongrie (1956), la Tchécoslovaquie (1968) et l’Afghanistan (1968-1989) auront à subir des invasions militaires soviétiques.

[23Une annihilation coloniale, c’est-à-dire un anéantissement de toutes les formes organiques de l’existence, un démembrement rapide et violent des communautés, une déstructuration des liens sociaux, des rapports au Monde, à la Terre, au vivant, et finalement une régression anthropologique majeure.

[24Comme c’était le cas avec les entreprises russes, le capital européen entretien des liens de dépendance forts avec la Chine : 400 Mds de déficit commercial annuel ! Sans parler des dépendances industrielles stratégiques de tous ordres. Notons au passage que l’Empire du milieu pèse 18% du PIB mondial mais capte 32% de sa valeur ajoutée… Agatha Kratz, « Le temps du débat », 9e minute, France culture, 6/05/2024.

[25Seul point de passage terrestre entre la Biélorussie et Kaliningrad (russe) et qui mesure environ 65 km à vol d’oiseau. Cette exclave est approvisionnée par une voie de chemin de fer qui passe par Minsk (Biélorussie) et Vilnius (Lituanie).

[26Comment Rosatom a transformé la plus grande centrale nucléaire d’Europe en chambre de torture. Titre du rapport de l’ONG Truth Hounds, “In a nuclear prison : how Rosatom turned Europe’s largest nuclear power plant into a torture chamber and how can the world stop it”, September 23 2023.

[27L’agresseur est-il la Russie ou l’Otan ? « L’Otan, sans aucun doute », a répondu Jean-Luc Mélenchon, jeudi 10 février, sur France 2, dans l’émission Elysée 2022 : « Les Etats-Unis d’Amérique ont décidé d’annexer dans l’Otan l’Ukraine, et la Russie se sent humiliée, menacée, agressée », avait-il déclaré avant de se raviser le 24 février. Noam Chomsky avait tenu le même langage le 20 mars en déclarant « qu’il ne fallait pas humilier Poutine » et au contraire « lui ménager une porte de sortie », Le Courrier international, 20 mars 2022.

[28Nous voulons croire que ce ne sont pas les adhésions de l’Albanie et de la Croatie en 2009, du Monténégro en 2017 et de la Macédoine du Nord en 2020 qui ont déclenché l’ire du chef de clan au Kremlin. La Finlande a adhéré en avril 2023 et la Suède en mars 2024. Cela n’empêche aucunement de critiquer les agissements de cette alliance impérialiste.

[29Euromaidan Press, “Ukrainian forces need to learn hard lessons as they fight Russian invasion”, Ukrainian media sources, 20/03/2023, https://urlz.fr/sFTD

[30Le « Mouvement pour la Paix » n’est qu’un reste décati des courroies de transmission du Kremlin et de ses succursales.

[31Voir les informations sur l’Organisation de combat des anarcho-communistes. Wikipédia et The Insider.

[32Rappelons uniquement les dates de ces tragédies qui ont causé des millions de morts : 1914-1918, 1919-1922, 1933, 1937, 1941-45, 1947.

[33Selon les paroles de Staline.

[34Cf. Kostas Papaïoannou, La prolétarisation des paysans, La Lenteur, 2023.

[35En réalité, elle se répartit comme suit : 13,4 Mds pour la reconstitution des stocks états-uniens, 7 Mds pour tenter d’accroître les capacités de production de leur industrie, 7,3 Mds pour renforcer leurs forces en Europe, 10 Mds d’aide économique et humanitaire, 3,3 Mds pour les activités de renseignement et de formation, 1 Mrd de dépenses diverses aux États-Unis. Cf. Mark Cancian et Chris Park, “What Is in the Ukraine Aid Package, and What Does it Mean for the Future of the War ?”, CSIS, May 1, 2024. En outre, il y eût loin de l’adoption de la mesure à sa concrétisation sur le terrain.

[36En avril 2024, lors de la réunion de Ramstein, à la question « l’Ukraine peut-elle gagner ? », le général états-unien Charles Brown Jr. avait répondu : « L’essentiel est de veiller à ce que l’Ukraine puisse se défendre ».

[37De même, si le sommet de l’OTAN de juillet 2024 a décidé de la fourniture de cinq systèmes de défense aérienne Patriot et SAMP/T, de l’établissement d’un programme de formation et d’un engagement de 40 Mds d’€ en 2025, quid de sa réalité et de sa pérennité ?

[38Source : l’article d’Olivier Sueur déjà cité.

[39Dans l’hypothèse où de 15 à 20 millions d’ukrainiens seraient obligés de fuir en Europe, la France serait amenée à en accueillir un et demi à deux millions, d’une manière ou d’une autre, contre soixante-huit mille officiellement aujourd’hui.

[40Alexander Wienerberger était un ingénieur chimiste d’origine autrichienne capturé par les russes en 1915 qui eût une vie mouvementée. Sa centaine de photographies sur la famine à Kharkiv où il travaillait (et dans sa région), passèrent la frontière dans la valise diplomatique autrichienne.

[41Rappel, il a fallu le courage politique de la Slovaquie et plusieurs mois de démarches pour que les européens daignent rechercher et acheter les 500 000 obus qu’ils ne sont apparemment pas en mesure de fournir à l’Ukraine…

[42Il faut inlassablement redire que pratiquement tout ce qui s’est réclamé de la « gauche » depuis 1945 a fait l’impasse – par manque de clairvoyance politique ou par servilité assumée envers leurs « maîtres à penser » moscovites – sur toutes les infamies politiques et tous les crimes de masse qui ont accompagné les agissements intra-coloniaux ou impériaux de l’URSS, au nom de la défense d’une soi-disant « patrie du socialisme », ce qui a entraîné une défaite politique pérenne à l’échelle de l’histoire contemporaine.

[43Le Wall Street journal a écrit le 25 octobre 2024 qu’il entretiendrait des relations secrètes avec Poutine depuis la fin de 2022. « Les contacts réguliers entre l’homme le plus riche du monde et le principal antagoniste des États-Unis suscitent des inquiétudes en matière de sécurité ; les sujets abordés incluent la géopolitique, les affaires et les questions personnelles » WST du 25 octobre et en français La Dépêche, 28/10/2024, Liza Cossard.