Prétexte pour un "fun intelligent"…
Lancé en 2012 par Yves Jégo [1], le projet d’un Napoléonland, est vendu comme un moyen de "créer de l’emploi et trouver une locomotive économique pour dynamiser la région"(Seine-et-Marne).
Recruté pour l’occasion, Dominique Hummel [2], va rejoindre le comité de pilotage pour apporter son expertise. Selon lui, "il faut faire du fun intelligent. L’histoire est un prétexte pour donner du plaisir avec des émotions, des sensations et des connaissances. "
Au delà de ces arguments "économico-funs", il sont l’application grandeur nature du nouveau roman national, "popularisé" par le comédien Lorànt Deutsch qui, dans son Métronome, participe au retour en force de récits orientés, portés, entre autres, par des politiques comme Patrick Buisson [3] pour contribuer à une réécriture constante de l’histoire, changée en une vaste opération de commerce d’image d’Épinal…
Avec Napoléonland, il ne s’agira donc pas de comprendre les ressorts de l’époque impériale, ni même de donner le point de vue du civil, du simple soldat, mais de vendre de la légende napoléonienne porteuse des valeurs les valeurs "qu’a introduites Napoléon, celles de la Révolution et de la République". [4]
La résurgence du roman national.
Dans leur livre, "Les Historiens de garde — De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national" [5], William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin [6] reviennent sur la publication du Métronome que les médias saluent unanimement comme le travail d’un passionné d’histoire sachant se mettre au niveau du public.
Le comédien, porté par son aura populaire, est ainsi intronisé comme une véritable autorité historienne à l’image de toute une lignée d’historiens médiatiques, comme Alain Decaux. Ils démontent les mécanismes, ou héritages d’un Jacques Bainville [7], d’un Christophe Dickès [8].
Extraits…
– De la terreur des révolutions…
Lorànt Deutsch adhère totalement à la théorie du génocide vendéen, théorie lancée par Reynald Secher [9] comme le prouve cette interview donnée à l’Internaute le 28 octobre 2009 :
… quant à la comparaison avec la Shoah, il n’a sans doute pas compris qu’un génocide ne se distingue pas par sa quantité, mais par ses méthodes et ses objectifs.
– La Commune :
D’après Lorànt Deutsch, les communards auraient tenté de détruire la colonne de juillet sur la place de la Bastille avec leurs canons de Montmartre. Nous avions déjà pointé l’incohérence d’un tel propos. Poussé dans ses retranchements, voilà ce que l’acteur avait répondu au Figaro le 11 juillet 2012 :
"On m’accuse aussi d’accabler les communards en ayant inventé la canonnade de la Bastille en 1870,. Une fois encore, je n’invente rien. Mes sources sont Eugène Hennebert (ndlr : 1826-1896) et Lucien Le Chevalier (ndlr : auteur de « La Commune – 1871- ») qui ont écrit des livres d’après des témoignages directs sur les événements. Et qui rappellent précisément cette canonnade. Soit mes détracteurs ne connaissent pas ces auteurs, soit ils font exprès de ne pas les connaître. Car ils répondent eux-mêmes à une histoire instrumentalisée et orientée qui ne veut pas tenir compte de tous les éclairages possibles. Ça s’appelle de l’intolérance [10].
– La monarchie d’Ancien régime. « Un miracle de cohésion. »
Selon cette citation de l’acteur tirée du site royaliste le 25 mai 2011 aux mercredis de la Nouvelle Action Royaliste [11], l’Ancien régime aurait été un miracle de cohésion.
Et d’affirmer avoir été "pris beaucoup plus au sérieux depuis l’élection de Nicolas Sarkozy." et qu’il "est difficile de faire comprendre que [dans la période révolutionnaire] les décisions vraiment positives ont été prises sous l’égide d’un roi."
Pourtant, ni la déclaration des droits de l’Homme, ni l’abolition des privilèges lors de la nuit du 4 août n’ont été faites avec l’approbation de Louis XVI, mais lui ont bien été imposées.
– Un storytelling efficace
Le service public n’est pas le seul faire dans l’hagiographie de l’acteur. Il y a aussi l’Education nationale.
Mais Cet accueil très complaisant par certains responsables de l’Education nationale n’a pas empêché Lorànt Deutsch de déclarer à Télé Obs le 13 décembre 2011 : "J’ai été contacté par l’Éducation nationale mais nos positions sont irréconciliables. Elle est en train de transformer l’Histoire de France en croisière Costa. On nous parle du royaume du Ghana pour montrer qu’on est dans une sorte d’internationalisme triomphant."
– Et l’extrême droite de monter au créneau pour soutenir le comédien… [12]
Bref, l’histoire demeure un sport de combat et tels des chiens de garde, pour reprendre l’image de Paul Nizan, les historiens de garde veillent sur un trésor poussiéreux qui n’est que le fruit d’une inquiétude face au passé qu’eux seuls n’arrivent pas à assumer. Alors que le monde s’ouvre, que d’autres continents et d’autres pans des sociétés émergent et induisent de nouvelles découvertes historiques, ne doit-on pas s’inquiéter des conséquences du succès d’une histoire à ce point repliée sur elle-même ?
Pour aller plus loin, voir le site : Les historiens de garde