Accueil > Juste une Image > Pouvoir et société > Les petits arrangements d’un dictateur caraïbéen avec ses homologues européens
Les petits arrangements d’un dictateur caraïbéen avec ses homologues européens
vendredi 15 mai 2015, par
On connait les liens et les positions qui unissaient Hitler et Franco. Rafael Trujillo, leur homologue dominicain, tout autant raciste et anticommuniste, s’est "arrangé" de leurs dictatures pour conforter la sienne.
– Février 1930 Le "Benefactor " Rafael Leonidas Trujillo entame un règne sans partage de trente ans sur la République dominicaine.
– Janvier 1933 En Allemagne, le "Führer " Adolf Hitler accède au pouvoir et promet "un Reich de mille ans".
– Février 1939 Francisco Franco, le "Caudillo ", devient le maître de l’Espagne pour 36 ans.
1930. Chef suprême d’une "République bananière"
Dans une zone géographique "sous influence" étasunienne [1], Rafael Leónidas Trujillo y Molina (1891-1961) intègre l’armée en 1918 avec un objectif d’ascension sociale : " Je vais entrer dans l’armée et je ne m’arrêterai pas avant d’être son chef ". Avec l’appui des États-Unis, il y parviendra.
À partir de 1930, il impose son pouvoir absolu sur l’État, fondé sur la terreur, la répression et le culte de la personnalité. Le pays devient son domaine privé et contrôle toute la vie économique. En 1936, la capitale, Santo Domingo, est rebaptisée Ciudad Trujillo. Le pico Duarte [2] devient pico Trujillo et dans les églises, on doit proclamer : "Dios en cielo, Trujillo en tierra" (Dieu au Ciel, Trujillo sur Terre).
1937. Métis raciste et massacre du " Persil "
Né d’un père d’ascendance espagnole et d’une mère d’origine haïtienne, dans un pays qui, 50 ans après l’arrivée de Christophe Colomb avait éradiqué les indiens Taïnos [3], qui fut une terre d’émigrations multiples, d’esclavage et de métissage, Trujillo n’en est pas moins xénophobe. Pour lui, comme pour la bourgeoisie dominicaine, après trois siècles de domination espagnole, les références exclusives sont l’Espagne et l’Europe "blanche". [4]
Alors qu’en 1937, la ville basque de Guernica est bombardée par l’aviation allemande et italienne, qu’en Allemagne, le camp de Buchenwald, construit pour y incarcérer les criminels et les prisonniers politiques, commence à fonctionner, cette même année, en République dominicaine, Trujillo veut éradiquer son ascendance nègre en s’attaquant aux immigrés haïtiens.
Pour "mieux les cibler" (les haïtiens sont de langue française) les sbires de Trujillo mettent au point une méthode démoniaque. Chaque interpellé doit prononcer le mot "Perejil" (persil), difficile à articuler pour quelqu’un maitrisant mal le castillan. En cas d’échec, cela devient alors le déclencheur d’une l’exécution immédiate. De 15 000 à 30 000 haïtiens seront ainsi massacrés, pour beaucoup à la machette.
De l’autre côté de l’Atlantique, les SA de Hitler feront baisser le pantalon des enfants "soupçonnés" d’être juif…
1938. " Sauveur " de juifs allemands et autrichiens
Le 12 mars 1938, les troupes allemandes entrent dans Vienne. Les 200 000 juifs autrichiens sont pris au piège, comme le sont ceux d’Allemagne depuis les Lois de Nuremberg de novembre 1935. Émus et assiégée par les juifs candidats à l’émigration, les États-Unis organisent une conférence internationale pour régler le sort des réfugiés. Elle se tiendra à Évian.
Le 12 août 1938, la délégation de la République dominicaine y est porteuse d’un message. Trujillo est disposé à "recevoir immédiatement cinquante à cent mille immigrants involontaires". La proposition surprend car le souvenir du massacre des haïtiens est encore dans les mémoires diplomatiques. Un délégué américain interroge Trujillo qui confirme bien vouloir accueillir cent mille réfugiés…"sinon davantage".
Sa proposition d’accueillir les juifs allemands ou autrichiens n’est pas sans arrière pensée. Mis à part vouloir récupérer un peu de respectabilité internationale, Trujillo voit en eux des européen, des "blancs", des "gens d’argent" et une "opportunité" pour le développement économique du pays. Il est également question d’une offre de 5000 dollars or, par tête de réfugié, émise par a Communauté Juive de New-York ! …
Environ 5 000 visas dominicains seront proposés, mais seul 645 juifs vinrent en République dominicaine où ils furent installés dans la ville de Sosúa, avec le soutien financier de l’American Jewish Joint Distribution Committee [5]. Un web domumentaire "Shalom Amigos" relate cet odyssée. [6].
La République dominicaine est le seul pays, autre qu’Israël, considéré comme "Terre des Justes".
1939. "Sauveur" de Rouges espagnols
1939. La Retirada, l’exil des Républicains espagnols. Comme le Mexique et le Chili, la République dominicaine accepte officiellement des républicains espagnols. Bien qu’anticommuniste, Trujillo, qui entretient d’excellentes relations avec Francisco Franco et qu’il tente d’imiter [7], accueille plus de 3.500 "rouges", mais qui sont "blancs de peau" et européens. Pour la plupart, il monteront des quincailleries, mais après avoir posé le pied sur le sol caraïbéen, ils seront surveillés étroitement par la police du dictateur. Certains s’arrangeront sans vergogne avec leur "sauveur".
70 ans après, l’Espagne et la République dominicaine rendront un hommage croisé aux exilés de 1939-1940, en y gommant les "aspérités politiques" de la guerre civile. [8]
1941. En guerre contre l’Allemagne et le Japon
Le 7 décembre 1941, le Japon attaque la base étasunienne de Pearl-Harbour. Jusqu’ici "neutres", le 8 décembre, les États-unis, entrent en guerre.
Le 11 décembre 1941, le régime de Trujillo, lié aux États-Unis, déclare à son tour la guerre au Japon et à l’Allemagne. Un certain nombre de dominicains seront incorporés dans l’armée étasunienne et combattront en Europe. Le 1er janvier 1942, elle signa un appel à toutes les République américaines pour qu’elles déclarent la guerre aux forces de l’Axe.
En signe de représailles, un sous-marin allemand torpille la maigre flotte dominicaine.
Fin de dictateurs
– 30 avril 1945, Hitler se suicide dans son bunker.
– 30 mai 1961, Trujillo est assassiné dans sa voiture.
– 20 novembre 1975, Franco meurt de vieillesse dans sont lit.
En lien avec ce sujet, lire sur autrefutur :
- "Vive la milice ouvrière qui a défendu les quartiers du nord-est de Saint-Domingue !"
- Coupeurs de canne Haïtiens en République dominicaine
[1] Secouée par des révoltes et des coups d’État à répétition, les États-Unis interviennent à plusieurs reprises à la fin du XIXème siècle en République dominicaine. De 1916 à 1924, ils occupent le pays, procèdent à une remise en ordre, mettent sur pied une Garde nationale et normalisent l’économie à leur profit.
[2] La plus haute montagne de la Caraïbe ainsi nommée en l’honneur du père de la patrie dominicaine Juan Pablo Duarte
[3] Voir : "Un peuple prospère et pacifique, les Taïnos" : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/un_peuple_prospere_et_pacifique_les_tainos.asp
[4] En 2015, malgré les apparences, la République dominicaine est l’un des rares pays au monde à encore mentionner la couleur de peau de ses ressortissants sur leur carte d’identité (cédula). Un "B" pour les Blancs (blancos), un "N" pour les Noirs (negros) et un "I" » pour les métis (indios). Officiellement, il y a 75 % de métis, 23 % de Noirs et 2 % de Blancs.
[5] La plus grande organisation humanitaire juive au monde. Fondée en 1914 et basée à New York, elle est aujourd’hui présente dans plus de 70 pays. Le Joint aide des communautés juives dans le monde entier à travers son réseau d’assistance sociale. L’organisation finance également des projets humanitaires destinés à des communautés non-juives.
[6] À découvrir sur : http://www.ina.fr/medias/webdocs/shalom/
[7] En 1954, lors d’une tournée européenne il est reçu à Madrid par Franco, son épouse, quelques hauts fonctionnaires, le corps diplomatique et des représentants de différents secteurs de la société espagnole.
[8] Homenaje de la Republica Dominicana al exilio republicano español. http://www.izquierda-unida.es/node/7660 et https://www.lepartidegauche.fr/vudailleurs/articleweb/2956-hommage-republique-dominicaine-exil-republicain-espagnol