Dans les années 60/65, les petites filles construisaient des maisons de poupées et les petits garçons, des modèles réduits, comme des "représentations du réel". Coudre pour des mannequins de 15 centimètres de haut ou monter des avions au 1/72ème n’est pas une mince affaire. Pour que cela "fasse vrai", chaque détail compte. Il faut se documenter, trouver les bons matériaux, les bons outils, s’armer de patience pour qu’au final la "représentation" donne "l’illusion" escomptée.
En grandissant, beaucoup ont délaissé les poupées et les maquettes pour agir et s’attaquer à d’autres réalités. D’autres y ont trouvé leur violon d’Ingres.
La victoire au bout des ciseaux
Dans les années 1930, les découpages en carton sont très populaires. Les enfants peuvent monter des avions, des voitures, des maisons ou habiller des figurines.
En Espagne, les républicains et les nationalistes en éditent pour leur communication ou propagande. Armé de ciseaux, il est alors possible d’intégrer la colonne Durruti ou de vêtir Shirley Temple [1] et son Mickey d’un uniforme phalangiste [2].
Après la deuxième guerre mondiale, l’avènement du plastique sonne le glas du découpage [3]. Les maquettes en kit remplacent le carton.
Des héros en résine
Il existe une variante pour "jouer" à la guerre en modèle réduit : les figurines historiques. Des personnages pré-moulés ou à sculpter de 15 à 28mm de haut, des couleurs, un diorama pour les mettre en scène et la "réalité" miniaturisée prend vie… Sur son blog, un passionné de figurines, expose ses réalisations sur le thème : "guerre civile espagnole - miliciens anarchistes" [4].
Pour un autre modéliste, la célèbre photo de Capa prend du volume.
Des figurines, un plateau et No pasaran !
Sorties de leurs vitrines, sur un plateau, avec un dé à six faces et un jeu de cartes d’ordre (défense acharnée, assaut, avance rapide, repli, tenir, interception, appui au sol), vous pouvez alors conduire les figurines sur le terrain de la guerre…
Pour ce faire, chaque camp doit comporter de préférence un nombre égal de joueurs. En début de partie, un jeu de 32 cartes classique est battu et placé à l’envers auprès des joueurs. Les cartes sont retournées les unes après les autres. Lorsqu’une carte rouge est retournée, c’est le camp républicain qui prend l’initiative ; si la carte est noire c’est au tour du camp nationaliste.
La guerre "comme si"
En août 2004, juché sur un half-track du nom de "Madrid", un groupe d’adultes, vêtu d’uniformes de la 2ème DB, participait officiellement au 60ème anniversaire de la libération de Paris [5]. Ils y figuraient les soldats de la "Nueve", "ces républicains espagnols qui ont libéré Paris " le 24 août 1944 [6]. Tous les week-end, le plus sérieusement du monde, ce groupe espagnol de reconstitution historique, comme les 456 recensés en France [7], "fait" la guerre avec des armes d’époque (démilitarisées), des vareuses d’époque, des véhicules d’époque, en suivant scrupuleusement d’ex-réels plans de bataille….
Pour un autre groupe de reconstitution, dans une mise en scène "virtualisée" de la bataille de l’Ebre (1938) [8] où il ne manque que le gout du sang, l’odeur de la poudre ou des cadavres, le bougé des caméras, le jeu des acteurs et le montage qui "remonte le temps", nous renvoient au "alors on dirait que…", qui validait l’imaginaire de nos jeux d’enfants.
"Men of Civil War"… sur son PC
Sur votre ordinateur, la guerre est un jeu de stratégie en temps réel. Vous contrôlez des combats, des ressources, des armes et des situations dont vous devez sortir vainqueur [9]. Dans un blindé de la CNT, vous pouvez affronter les troupes de Franco. Vos missions réussies, vous gagnez la guerre, à moins que l’ennemi ne vous inflige un échec…
En cas de défaite, face à votre écran, vous pourrez toujours "refaire l’histoire" ou changer de camp…
Un blindé de la CNT dans les rues de New York
Sur un site dédié au "DIY, au punk, à l’anti-capitalisme et à la contre culture" [10], une étrange photo, titrée "CNT Tank spotted on the streets of New York", présente un véhicule directement inspiré des blindés de la République espagnole [11].
L’image "New-yorkaise" est assurément un montage, un faux, mais elle s’inscrit dans un imaginaire où "figurer le monde", tout en se coupant des réalités, rejoint le modélisme, la reconstitution historique ou le combat sur PC. Elle s’affiche dans un univers postpolitique, postmoderne et nihiliste des démocraties libérales contemporaines, en proie au spectaculaire et à la virtualisation généralisée des modes de pensée et de vie.
Suivant en ce sens les travaux de Slavoj Zizek [12], prenons garde à ce que "la guerre d’Espagne", virtualisée et fantasmée, ne conduise à des non-cultures, ne range le projet libertaire dans une non-perspective ou ne débouche sur un non-événement. Mythifiée, elle confinerait alors ceux qui en "jouent" dans une voie sans issue.
"On trouve aujourd’hui sur le marché de nombreux produits dont ont été éliminées les propriétés malignes : café sans caféine, crème sans matière grasse, bière sans alcool… Et la liste continue : pourquoi pas une partie de jambes en l’air virtuelle, une guerre sans guerre, comme Colin Powell l’a proposé dans sa doctrine de la guerre sans victimes (de notre côté, bien sûr) [13] ou la politique sans politique, comme on la redéfinit actuellement en la réduisant à un art de l’expertise administrative ?
Slavoj Zizek. "Bienvenue dans le désert du réel ".