Le 2 avril 1974, décède Georges Pompidou, Président de la République. Une élection présidentielle anticipée est alors planifiée pour les 5 et 19 mai. Douze prétendants à la fonction suprême sont en lice [1] Leader de la droite, Valéry Giscard d’Estaing prône le "changement dans la continuité". Des "Pompidoliens", entraînés par Jacques Chirac [2], lancent une fronde, "l’appel des 43", pour torpiller Jacques Chaban-Delmas. Pour "l’Union de la gauche", François Mitterrand, réclame la "paix sociale".
Le livre : une passion de Mitterrand
Connu pour sa participation au régime de Vichy puis dans la résistance, pour ses onze postes de ministre sous la IVe République et pour celui de premier secrétaire du jeune Parti socialiste en 1971, Mitterrand l’est moins pour sa bibliophilie et sa collection d’éditions rares [3].
Sa passion pour les livres et les auteurs est éclectique. Il y a bien entendu des écrivains de droite comme Barrès, Chardonne, Drieu la Rochelle, mais aussi Sartre, Renan, Duras, Sade ou Pablo Neruda…
Flammarion publie Emmett Grogan
En 1973, dans le climat d’une France "post 68", Flamarion publie "Ringolevio" ou la "vie jouée à fond " d’Emmett Grogan, un Irlando-Américain de Brooklyn.et membre fondateur des "Diggers" de San Francisco. Avec ce collectif contre-culturel anarchiste, actif entre 1966 et 1969, il "libère" pendant des années des vivres et des vêtements pour les redistribuer aux pauvres, hippies ou membres du ghetto noir de la ville [4].
Dans ses attaques virulentes contre la télévision et les médias, il prône une presse alternative et la création de ses propres journaux : les fanzines de la free press. À Londres, en 1968, lors d’un meeting sur la "Dialectique de la Libération" il prononce un discours aux allures "radicales" qui enflamme l’enthousiasme des participants. Le calme revenu, Grogan révèle l’auteur du texte qu’il a prononcé : un certain… Adolf Hitler. L’auditoire s’aperçoit alors qu’il s’est fait avoir par une rhétorique qui "sonnait bien". [5]
Mitterrand félicite Grogan
Alors que la campagne présidentielles est lancée, Mitterrand se plonge dans la lecture de "Ringolevio". Sont-ce les aventures de l’auteur, les actions des Diggers ou la radicalité envers les médias qui le passionnent ? Quoi qu’il en soit, le 12 avril 1974, il envoie un message de félicitation à Emmett Grogan par l’intermédiaire de son éditeur :
12/4/74 François Mitterand 4 Avenue Deylan Paris Trocadéro (France)
La télévision est une scène - La caméra est le peuple - Vous êtes l’acteur dont la présence transportera la France - La rose au poing
Emmett Grogan chez Flamarion "

La télévision au cœur de la campagne présidentielle
Le 10 mai, le débat radiotélévisé de l’entre-deux tours réunit plus de 20 millions de téléspectateurs et restera un temps-fort de la campagne. Giscard y présente Mitterrand comme "un homme du passé", un politicien qui a collectionné les ministères pendant la IVe République. Il promet à la France le "changement dans la continuité". Mitterrand lui oppose le bilan du gouvernement Pompidou dont il est issu.
Le débat durera deux heures et le "bon mot" de Valérie Giscard d’Estaing ; "Vous n’avez pas le monopole du cœur" deviendra "culte".
Épilogue
Au soir du 2ème tour, le plus serré de l’histoire de la Ve République, Valéry Giscard d’Estaing remporte le scrutin avec 425 000 voix d’avance.
Mitterrand avait assurément mal lu un livre qui ne lui était pas destiné. Ses petites "victoires" télévisuelles suivantes, comme lors de sa joute avec Jacques Chirac en 1981 et son célèbre : " je ne suis pas votre élève et vous n’êtes pas le président de la République", ne changeront rien à l’affaire. Rigolévio n’est pas un livre à ranger sur une étagère de bibliothèque, mais à faire circuler sur le terrain des luttes.