Texte signé par BATAY OUVRIYE (Bataille Ouvrière), mouvement haïtien de lutte ouvrière qui permet aux membres de cette classe de participer aux luttes démocratiques de ce pays [1]. Batay Ouvriye est membre du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes [2]
Leur travail dans les champs, à la zafra [3], leur vie dans les bateyes [4], les dettes, l’impossibilité même de retourner en Haïti, les tourments, la domination sans partage, permanente, écrasante, déshumanisante au plus parfait… ont été très documentés, chantés parfois. Les traces sur le corps, les mains, dans les esprits, dans les espaces, dans la mémoire de cette ‘vie’, avec sa famille… photographiées, étudiées : une cruauté silencieuse s’en dégage. Mentionné également le rôle bien souvent criminel des autorités dominicaines dans ce trafic d’esclaves modernes ; celui des autorités haïtiennes, moins, même si de plus en plus clairement, la vente d’humains et les profits… Certains, parfois courageusement, énoncent la fonction des classes dominantes des deux pays, sadique. De plus en plus également, s’exhibe l’absence du supposé « Ministère des Haïtiens vivant à l’étranger », ministère qui, au regard des coupeurs de canne haïtiens en république voisine, est une abstraction surréaliste, un affront.
On connaît moins leur organisation. Bercés par la propagande "réfléchie" des intellectuels, on connaît moins leur lutte. Or elles sont toutes deux d’un si bel engagement, d’un sérieux, d’un courage, d’un degré de responsabilité et d’un avant-gardisme si étonnant… !
Actuellement regroupés en « Unión de Trabajadores Cañeros – Syndicat des Travailleurs de la Canne », ils viennent de terminer un Congrès de délégués (deux par batey). Le déclic, l’impérieuse obligation vient du fait de la fermeture de plusieurs centrales azucareras et de la perte conséquente de leur logement, si misérable soit-il dans les bateyes. Nos camarades se retrouvent donc dans la rue.
« É’ pa’ fuera que van ! » a dit Leonel Fernandez durant l’une de ses dernières campagnes électorales. Littéralement : « Dehors ! ». Pour nos frères coupeurs de canne en République Dominicaine ce serait donc maintenant, tout de suite, la très prochaine inutilité de leur présence… et leur expulsion. Poursuivis en effet par un récent décret dévastateur, ils seront certainement très vite rejetés, chassés, renvoyés… Mais où ? Certains ne parlent pas le kreyòl, d’autres ne se souviennent plus de leur lieu de provenance, certains sont là depuis… 1941 ! Les plus "jeunes" présents au congrès sont arrivés dans les années ’70 ! Durant ces derniers mois, plus de vingt mille personnes (données du GARR [5]) ont été expulsées de la République Dominicaine vers Haïti. Comment ont-ils été accueillis ? Où sont-ils maintenant ? …
« Lè m grangou m pa jwe » peut être une parole-vent, ou une réelle réalité, de vie. Bravant alors police, répression brutale ou intelligente, mort-subite et pleurs intarissables des siens… les coupeurs de canne haïtiens en République Dominicaine se sont rencontrés. Ensemble ils ont mis sur pied la « Unión de Trabajadores Cañeros ». Ils réclament nationalité ou carte de séjour, pension, maison nouvelle, soins de santé pour la famille entière et éducation pour leurs fils… : vie.
Pauvres de ceux qui croient que ce sera à partir de séminaires ou, bien pire, à travers les gouvernements et États que se régularisera le sort de ces travailleurs exclus de toute considération humaine ! Même dans un nouvel ordre de choses dit « progressiste », les intellectuels petits bourgeois seront encore en retard devant l’avancement que se proposent de par leur nature même – classe ouvrière internationale par excellence, prolétariat universel détaché en terres quelconques – les ouvriers haïtiens des bateyes dominicains.
Faudrait-il que nos « progressistes » comprennent, et acceptent la dynamique de ces frères, qui, dans leurs statuts, précisent des fonctionnements collectifs d’une avancée remarquable, allant même jusqu’à spécifier que toute réunion « …qui n’atteindrait pas le quorum, destituera immédiatement le comité de direction » !!
De par le monde, aujourd’hui, la démocratie « représentative » est remise en question. La propagande dominante masque ce phénomène. Il n’en pas moins réel et fort. Ce qu’en fait proposent, revendiquent nos camarades Coupeurs de canne en République Dominicaine, c’est le principe « À tout moment révocable », qui doit être appliqué à tout élu. Devant alors répondre périodiquement et strictement de son travail envers la collectivité, dans les délais collectivement entendus. Contrôle irrémédiable, de masse, face au blocage et la tromperie hideuse de la « démocratie représentative », subtile – rats –, criminelle en fait.
Révocable à tout moment : mécanisme établit entre eux par les Coupeurs de Canne Haïtiens en République Dominicaine !
Ils ont essayé de faire une grande manifestation ces jours passés. Près de quatre mille personnes, ont bravé tous les dangers pour se rendre de la principale place publique au palais national. Elle fut, logiquement, interdite puis, devant l’insistance, bloquée et détruite quand ils allaient franchement déraper. En effet, à quelques centaines de mètres du lieu de rencontre, quand s’ébranlait réellement le groupe, police et répression naturelle ont surgi, dispersant brutalement tout le monde. Nos amis nous ont fait part cependant de leur ferme intention de poursuivre la lutte. Pour fin-mars, est en effet prévue une nouvelle rencontre, cette fois-ci de ceux qui ont moins de dix ans en territoire dominicain, les "jeunes", pour mettre en place une structure et une plateforme de lutte spécifiques, devant s’articuler aux revendications des anciens : pour une plus grande force. Seule façon pour ces "Haïtiens" d’exister. Nous autres aussi peut-être.
BATAY LA FENK KÒMANSE !
BATAY OUVRIYE (Bataille Ouvrière) est un mouvement haïtien de lutte ouvrière qui permet aux membres de cette classe de participer aux luttes démocratiques de ce pays. Il s’oppose nettement à la collaboration de classe avec les exploiteurs et leur appareil de domination - l’Etat - et se solidarise avec l’ensemble des couches dominées et exploitées de ce pays, ainsi qu’internationalement , en participant à leur travail d’organisation et de lutte.