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Sur quelques ouvrages traitant des rapports entre la France et l’Algérie (I).

jeudi 21 mars 2013, par Correspondant

Ce sujet a fait couler beaucoup de sang, d’encre et de sueur. On pourrait le croire épuisé. Pourtant les événements récents dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient invitent à l’interrogation.
Par Rachèle Coulougliani

Trois ouvrages ont été écrits par Olivier Le Cour Grandmaison (OLCG) qui enseigne les sciences politiques et la philosophie politique à l’Université. [1]
En premier lieu il s’agit de « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial. » (Fayard 2005). Suivra : « La république impériale. Politique et racisme d’Etat. » (Fayard 2009). Et enfin : « De l’Indigénat. Anatomie d’une monstruosité juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français. (La Découverte 2010). Un quatrième travail de Diana K. Davis (DKD), une universitaire étasunienne : « Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb. (Champ Vallon 2012). Et aussi de Jean-Louis Marçot, un chercheur indépendant « Comment est née l’Algérie française (1830-1850), La belle utopie » (Editions de la Différence, 2012). Ainsi, ces éléments et arguments réunis, en fouillant dans les racines du passé, pourront-ils donner des outils de compréhension sur notre présent.


Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial.
C’est bien ce que note OLCG quand il écrit dans la conclusion du premier livre : « Extraordinaire persistance enfin de ce passé-présent qui, inlassablement, continue d’affecter notre actualité. »

Il lui faudra cinq chapitres pour dresser le décor qui lui permettra de tracer ses conclusions. Ainsi apparaissent d’abord les « Arabes ». Les images qui nous sont présentées sont puisées dans les écrits du 19ième et du début du 20ième siècle. Des historiens, écrivains, chirurgiens, médecins, ambassadeurs, psychologues, sociologues, géographes, agronomes, juristes, militaires, hommes politiques et divers savants ont dans leurs études, leurs commentaires, leurs souvenirs, construit une représentation dont les grandes lignes sont ainsi marquées.

Fixité. « Contrairement à l’Européen, qui progresse en dominant la nature et le monde qu’il transforme, il (l’Arabe) ‘’n’éprouve aucun désir d’introduire le moindre perfectionnement dans ses mœurs’’ ; son ‘’unique vœu est de vivre de la même manière qu’il a toujours vécu’’ ».

Paresse. Les Arabes, surtout s’ils sont nomades, « sont réputés mener une vie de prédation des biens d’autrui, voire de destruction des terres, qu’ils occupent sans les cultiver ». « Piètres cultivateurs par fainéantise ».

Pillards. « Le pillage, le vol et la réduction en esclavage des chrétiens capturés sont ainsi devenus les principales activités des ‘’indigènes’’ d’Alger, qui ont fait de la ville un repaire de pirates semant la terreur en Méditerranée.

Férocité et goût pour la violence. « Hain soutient que ‘’l’Arabe est bourreau, bourreau par essence, bourreau par vocation… Ils arrachent les ongles du colon, les yeux, puis lui coupent le nez, les oreilles, puis une main ; et pendant qu’il se débat leurs yeux pétillant d’une joie féroce contemplent avec délices les souffrances atroces de leurs victimes’’ »

En contrepoint, afin de mieux souligner ces traits, les Kabyles « ‘’cultivent bien ; ils bâtissent des maisons en pierre et mortier, recouvertes en tuiles… Ils aiment le travail, ils s’y livrent avec ardeur ; ils ont des métiers et des ateliers chez eux ‘’ ». « Enfin, ‘’les plus forts contingents des troupes africaines accourues dans la métropole pendant la Grande Guerre proviennent des Berbères et en particulier des Kabyles’’, et ‘’l’on voit par là combien’’ ils ‘’se différencient des Arabes’’ ». Ce qui sauve les Kabyles aux yeux des Européens c’est qu’ils sont sédentaires.

À ce niveau OLCG fait sa remarque n°1 où afin d’insister sur le fait que ces « représentations étudiées sont communément partagées » il cite abondamment des écrits d’Engels et Marx tirés du livre de René Gallissot « Marx, marxisme et Algérie. Textes de Marx et Engels » [2]. On y découvre qu’Engels « applaudit à la défaite d’Abd-el-Kader, qui a eu pour effet positif de forcer ‘’les beys de Tunis et de Tripoli, ainsi que l’empereur du Maroc, à s’engager sur le chemin de la civilisation’’ en trouvant ‘’d’autres occupations pour leurs peuples que la piraterie’’. ’’Et si l’on peut regretter que la liberté ait été détruite, nous ne devons pas oublier que ces mêmes Bédouins sont un peuple de voleurs dont les principaux moyens d’existence consistaient à faire des incursions chez les uns et les autres, …. Prenant ce qu’ils trouvaient, massacrant tous ceux qui résistaient, et vendant le reste des prisonniers comme esclaves. ‘’ » « Après tout, conclut Engels, le bourgeois moderne, avec la civilisation, l’industrie, l’ordre et les ‘’lumières’’ qu’il apporte tout de même avec lui, est préférable au seigneur féodal ou au pillard de grand chemin, et à l’état barbare de la société à laquelle ils appartiennent.’’ »

Ces grands traits enfin posés font apparaître les conséquences dans le mode d’être des « Arabes ». Ainsi comme l’affirment des agronomes « Les cultures arabes dénotent la paresse caractéristique de la race : les charrues plus que primitives qu’emploie l’Arabe grattent à peine le sol qui ne reçoit jamais aucun engrais ». « L’habitant de l’ancienne Régence reste passif, préférant la contemplation et la conversation avec ses pairs aux mâles activités productives qui civilisent celui qui s’y livre en le détournant des nombreuses tentations de la chair et de la fainéantise. »

La conséquence principale de ces représentations fait que l’Arabe est bestialisé. « Pour le général Bugeaud, les ‘’indigènes’’ sont des ‘’renards’’ que l’on doit ‘’fumer à outrance’’ lorsqu’ils fuient dans les cavernes pour échapper aux armées françaises lancées à leur poursuite. »

Cette bestialisation permet de légitimer des pratiques de violences extrêmes à son égard. Pratiques de violences qui dureront jusque dans la dernière phase de la guerre coloniale avant l’indépendance de l’Algérie. Ainsi peut-on lire dans un tract élaboré en 1957 par l’armée française le texte suivant : « Partout où le fellaga passe, il ne reste plus rien ! Il prend votre argent. Il prend vos fils. Il détruit les écoles. Il ruine les dispensaires. Il brûle les récoltes. Il coupe les poteaux du téléphone et du télégraphe. Son passage signifie : ruine, deuil, larmes, famine et misère. Vous luttez contre les sauterelles. Luttez aussi contre le fellaga, la sauterelle d’aujourd’hui. Rangez-vous résolument aux côtés de l’armée de pacification. » « Loin d’être un épiphénomène conjoncturel, la remarquable continuité du bestiaire colonial peuplé, dans le cas des ‘’Arabes’’, d’animaux volant, rampant ou marchants, toujours féroces et destructeurs, prouve qu’il est un élément de structure de la domination des Français en Algérie. » C’est ce thème qu’OLCG va aborder dans son deuxième chapitre intitulé « Guerre aux ‘’Arabes’’ et guerre des races ».

L’aventure engagée par Charles X pour sauver son trône ne lui permet pas de le conserver mais en revanche laisse en héritage à la monarchie de Juillet la Régence d’Alger nouvellement conquise. Pendant 10 ans des points de vue divergents s’affrontent. Quelques voix s’élèvent pour le retrait des troupes engagées dans l’ancienne Régence. Mais ceux qui préconisent la domination, la colonisation et la guerre à outrance pour détruire la puissance d’Abd-el-Kader finissent par l’emporter. A la fin de l’année 1840 Bugeaud est nommé gouverneur général de la colonie. « Conquérir pour coloniser et coloniser pour rendre irréversible la conquête, tels sont désormais les objectifs définis par Louis-Philippe… » Mais là aussi les méthodes divergent. Faut-il ne pas faire de prisonniers ? Tocqueville, l’auteur de « La Démocratie en Amérique » pense que cela, en exacerbant la haine des « Arabes », est plus nuisible qu’utile. « Il prône l’ ‘’interdiction du commerce’’ ; elle doit avoir pour effet de précipiter la ruine des tribus qui, incapables de vendre leurs bêtes, ne pourront acquérir les produits dont elles ont besoin. Durablement et strictement appliquée, cette prohibition aura pour conséquence d’anéantir les circuits d’échange traditionnels, de tarir les ressources des populations concernées et d’accroître leur misère, ce qui les incitera à se rendre. » « … Il s’agit de multiplier les opérations destinées à anéantir les fondements des sociétés agricoles et pastorales de l’Algérie pour mieux atteindre les populations. » Mais, parallèlement, il faut, pour faciliter les opérations militaires, développer la colonisation civile autour d’activités agricoles et artisanales, c’est ce qu’affirme Tocqueville. Les colons seront regroupés dans des bourgades fortifiées et organisés en milices sous l’autorité militaire. De plus il pense que les « indigènes » n’accepteront jamais cette domination étrangère. C’est pourquoi il faut encourager l’arrivée des Européens afin de refouler les « indigènes ».

En revanche, quoique cette voie moyenne soit importante, d’autres positions plus extrêmes s’expriment. Depuis que les « Arabes » sont arrivés en Algérie ils n’ont rien su créer rien ne sert de les y conserver. Le colonel Montagnac, qui a servi sous les ordres de Lamoricière écrit dans une lettre : « Selon moi, toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe ; l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. … Les tribus doivent nourrir l’armée lorsqu’elle voyage, et, si les vivres n’arrivent pas à point donné, razzia pour la première fois, mort et exportation (c’est-à-dire déportation) en cas de récidive. » Un médecin comme Bodichon théorisant l’idée que l’histoire de l’humanité est celle de la lutte des races écrira : « La société a le droit de faire vivre ou de laisser mourir tout ce qui lui coûte plus qu’il ne lui rend. Sans ce droit, elle serait détruite ou pourrait être détruite. » Mais aussi la colonisation est ce qui permet l’expansion et le développement de la grandeur d’un peuple lorsque son berceau devient trop étroit. Ainsi ces thèses « reposent sur le concept d’espace vital ». Et c’est pourquoi OLCG écrit : « Contrairement à des représentations rassurantes et convenues, pour les Français en tout cas, les origines du concept d’espace vital ne seraient ni allemandes ni nazies. Comme les différents textes tendent à le prouver, elles se trouveraient dans la France coloniale de la seconde moitié du 19ième siècle. » Ainsi selon les périodes et les rapports de forces dans la métropole la tendance « colonisation » ou la tendance « extermination » s’imposeront.

Mais pendant que ces débats ont lieu, « l’armée d’Afrique dirigée par Bugeaud poursuivait une guerre impitoyable ». De quelle nature est-elle ? C’est ce qui va être développé dans le troisième chapitre sous le titre « De la guerre coloniale ».

« Massacrer les populations civiles et les prisonniers désarmés dont les corps sont couramment mutilés par les soldats français qui exhibent têtes et oreilles comme autant de trophées souvent rémunérés par leurs supérieurs, ruiner les villages et les villes, s’emparer des troupeaux et des vivres, détruire les cultures et les plantations, enfin terroriser les survivants : tels sont les procédés employés par l’armée d’Afrique. »

À propos des enfumades. L’enfumade est systématiquement utilisée à l’égard des populations qui se réfugient dans des grottes. Il s’agit d’actes commis selon des règles précises et codifiées à l’avance. Alors que mille personnes meurent dans la grotte de Dahra (1845) un auteur écrira « c’était un coup habile qui devait épargner bien du sang puisque toutes les tribus eurent hâte de se soumettre ».

Razzias et destructions se développent selon le principe de Bugeaud « La guerre que nous menons n’est plus une guerre à coup de fusil. C’est en enlevant aux Arabes les ressources que le sol leur procure, que nous pourrons en finir avec eux. » Les mêmes méthodes furent employées sous la Cinquième République dont le chef de l’Etat était le général de Gaulle.

Tortures, mutilations, profanations. « …faire parler et terroriser, et terroriser pour faire parler en suscitant l’effroi parmi les ‘’indigènes’’ afin de leur rappeler qu’ils sont des vaincus privés de tout droit qui peuvent être soumis à des traitements bannis en France depuis 1788. »

Supplicier les vivants. Dans ses mémoires le général Lacretelle écrit : « Je fus forcé d’employer la bastonnade, qui réussissait ordinairement à délier les langues les plus rebelles. »

Outrager les morts. Couper les têtes, les oreilles et les mains des hommes abattus. Ces pratiques de la guerre menées sur le mode de la chasse indiquent « le ravalement des ennemis au rang de bêtes fauves ».
Ce qu’OLCG fait remarquer est que ces pratiques ne sont pas exclusives à la conquête de l’Algérie mais qu’elles étaient communes à tout l’empire français et la règle pendant toutes les guerres de libération conduites contre la métropole !

Ces méthodes toutes particulières n’ont pu s’exercer que dans le cadre d’un Etat colonial d’exception permanent. C’est le thème du quatrième chapitre.

C’est par une ordonnance royale du 22 juillet 1834 que le régime de l’Algérie est organisé sous l’autorité directe du ministère de la Guerre. Les colons ne peuvent être livrés à eux-mêmes mais doivent se plier aux exigences du commandement militaire. Quant aux « Arabes » ils « doivent être soumis à un ordre juridique particulier destiné à sanctionner leur statut de vaincus et de colonisés ». « L’ancienne Régence est dirigée par un chef tout-puissant, le gouverneur général… » Ce dernier commande les forces armées, il est responsable des opérations de guerre et de maintien de l’ordre. Il dirige l’administration et a des pouvoirs de haute police. « La permanence de cette situation doit être soulignée puisqu’elle est demeurée inchangée jusqu’au mois de mars 1944. Onze ans plus tard, elle a été promptement rétablie par les parlementaires de la Quatrième République à l’occasion du vote de la loi du 3 avril 1955 instaurant l’état d’urgence en Algérie, et maintenue par le général de Gaulle jusqu’à la fin du conflit. Parmi les mesures exceptionnelles susceptibles d’être prises par le gouverneur général, trois retiendront notre attention : l’internement administratif, la responsabilité collective et le séquestre. »

L’internement administratif. Motivé au départ par les « impératifs » de la guerre de conquête cette mesure va perdurer et sera utilisée en dehors du contexte de guerre. C’est une innovation qui n’a aucun équivalent depuis la Révolution. Il s’agit d’une décision administrative pour des raisons d’ordre public, avec une durée d’internement indéterminée et une impossibilité de faire appel pour l’accusé qui le rend sans droits. C’est pourquoi OLCG écrit : « L’internement colonial doit être considéré comme l’un des ancêtres majeurs des mesures prises plus tard en Europe visant à interner des étrangers ou des opposants politiques ou raciaux, en vertu de dispositions exceptionnelles, pour des motifs d’ordre public et pour une durée indéterminée ». Plus tard sous le gouvernement Daladier le décret-loi du 12 novembre 1938 pour des motifs de « sécurité nationale » fait que des étrangers pourront être internés. « Les premiers à être frappés sont les républicains espagnols, dont le seul tort est de venir chercher refuge en France. … Un an plus tard, le 18 novembre 1939, … cette mesure est étendue à tous les individus, nationaux ou non, susceptibles de porter atteinte à la défense nationale ou à la sécurité publique. … Après le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le régime de Vichy étend l’internement, qu’il n’a nullement inventé, à de nouvelles catégories… » Et OLCG insiste : « Pour être aussi précise que possible, l’histoire juridique et politique de l’internement comme technique répressive d’exception soustraite à toutes les procédures judiciaires normales doit donc inclure les dispositions coloniales adoptées dans les années 1830 en France. C’est en effet sur les ‘’indigènes’’ de l’ancienne Régence d’Alger que cette technique fut expérimentée pour la première fois, massivement appliquée ensuite, avant d’être perfectionnée au fil du temps, puis étendue à des Européens jugés dangereux par les autorités de leur propre pays. » Et c’est aussi ce qui est arrivé aux présumés talibans qui ont pu être internés sans jugement et pour une durée indéterminée, après avoir été exclus, sur ordre du président des Etats-Unis, des dispositions de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre !

La responsabilité collective. L’amende collective frappe d’abord des communautés entières afin qu’elles cessent de soutenir Abd-el-Kader puis elle sera appliquée à des crimes ou délits commis en groupe pour finalement s’appliquer à une tribu ou un douar si un coupable présumé ne s’est pas livré aux autorités françaises. L’amende collective est à la fois une sanction et une réparation. C’est ainsi qu’à la suite de la rébellion de 1871 les tribus kabyles furent soumises à une amende de 63 millions de francs ce qui les contraignit à vendre bétail et terres s’appauvrissant pour longtemps.

La Troisième République maintient cette disposition. Ainsi des innocents pouvaient-ils être condamnés pour des délits qu’ils n’avaient pas commis. « Une fois encore, ces dispositions témoignent de la disparition, dans le droit colonial, des concepts d’individu et d’homme au profit d’une sorte de masse indistincte composée de colonisés désindividualisés, et pour cela absolument interchangeables, sur lesquels pèsent des mesures d’exception permanente. Mesures qui les visent non comme des personnes, … … …, mais en tant que membre d’une communauté ‘’raciale’’. » Il s’agit alors de la mise en place d’un nouveau concept juridique inédit avec une culpabilité sans faute ni responsabilité ou seule l’appartenance à une communauté permet d’être sanctionné. Continuant à suivre ce concept à travers l’histoire voici ce qu’écrit OLCG : « Quelques années plus tard, et dans un contexte politique fort différent, d’autres Etats européens –totalitaires, eux – firent un usage systématique du concept de responsabilité collective pour frapper des classes ou des races jugées dangereuses. » « Le décret nazi instituant, par exemple, l’ ‘’amende expiatoire’’ imposée à l’ensemble des Juifs du Reich le 12 novembre 1938, au lendemain de la Nuit de cristal, obéissait à des principes et à un fonctionnement semblables à ceux qui viennent d’être étudiés. »

Sous la Quatrième et la Cinquième République « la responsabilité collective fut de nouveau employée pour sanctionner des douars et des villages. » Ainsi se développe l’idée du suspect qui, du seul fait de son appartenance à une communauté, possède des informations en négatif ou en positif et peut être torturé. « Plus récemment et dans une autre contrée, les représailles collectives sont devenues une pratique courante des Forces de défense d’Israël dans les territoires occupés. »

Le séquestre. Il s’agit ici d’atteindre les biens immobiliers des « indigènes » pour sanctionner des actes d’hostilités. Les biens séquestrés seront alors régis par l’administration des Domaines. Celle-ci pourra les louer à des colons, « les ‘’indigènes’’ étant propriétaires, sans possibilité de jouissance de leurs biens, jusqu’à nouvel ordre. »

« L’internement administratif, la responsabilité collective et le séquestre sont autant de mesures qui prouvent que le corps et les propriétés du colonisé peuvent être saisis selon des procédés sommaires qui dérogent à tous les principes affirmés depuis 1789. »

L’urgence invoquée au début de la guerre se perpétue et institue comme le dit Tocqueville un « pouvoir législatif sans garantie ni contrepoids ». Une véritable dictature finit par s’institutionnaliser le gouverneur général en étant le représentant. « La mission du gouverneur consiste donc à pérenniser le statut de vainqueur des colonisateurs et le statut de vaincu des colonisés par l’instauration et la perpétuation d’un état d’exception destiné à maintenir la domination des premiers et l’assujettissement des seconds. » Et c’est dans ce contexte qu’apparaît le Code de l’indigénat.
« Le Code de l’indigénat est un aboutissement qui, ajouté aux pouvoirs du gouverneur général, scelle les noces singulières de l’état d’exception permanent et de la République ; il est aussi une matrice à partir de laquelle furent élaborées de nombreuses dispositions applicables aux autres colonisés. » On se trouve alors « en présence d’un racisme d’Etat inscrit dans des mesures juridiques inégalitaires et discriminatoire qui sont au cœur du Code de l’indigénat élaboré sous la Troisième République. »

Il s’ensuit une liste d’infractions pouvant entraîner des sanctions. « Refus de fournir des renseignements au sujet d’un crime ou d’un délit. » Propos offensant vis-à-vis d’un représentant de l’autorité. « Propos tenus en public dans le but d’affaiblir l’autorité. » « Interdiction de se réunir à plus de vingt. » « En présence d’un uniforme, s’arrêter et saluer. » L’instauration d’un permis de voyage permet de contrôler les déplacements. Donner l’asile à des vagabonds. Déclarer une naissance ou un décès avec plus de huit jours de retard. « Dans les territoires militaires enfin, les crimes et délits commis par les ‘’Arabes’’ sont jugés par des conseils de guerre dont les décisions ne sont pas susceptibles d’appels. »

Faire en sorte que la peine capitale soit exécutée en public et en grande pompe. Les travaux forcés devraient être plus largement appliqués.

Quant à d’éminents psychologues ils expliquent que le système nerveux des « arabes » est construit de telle sorte qu’ils ont une propension à la violence.

Tout cela induit la pratique d’un Etat de droit pour les Européens et un état d’exception permanente pour les « indigènes »

Ici OLCG place une nouvelle remarque : « De la condition des colonisés au(x) statuts(s) des Juifs sous Vichy »

Ainsi les différents Codes de l’indigénat montrent que les principales mesures antisémites ont de nombreux précédents. Les premières mesures sont mises en place par par Marcel Peyrouton, résident général au Maroc puis en Tunisie. En 1934 alors que le Néo-Destour prend son essor Peyrouton prend quatre décrets : possibilité d’interner et de déporter des « Arabes » dans le sud du pays où des camps on été construits à la hâte, interdiction de publications jugées dangereuses pour l’ordre public, hostilité à l’assimilation juridique des « indigènes », mise en place d’une politique autoritaire. En 1940, comme ministre de l’Intérieur de Pétain le décret Crémieux est abrogé par ses soins. Un mois plus tard il demande l’établissement d’une liste de tous les fonctionnaires de police juifs. En 1941 il met en place une nouvelle disposition afin d’évincer tous les médecins « israélites » des hôpitaux. « De ce point de vue, on peut considérer que l’Algérie fut en quelque sorte le banc d’essai sur lequel des mesures antisémites particulièrement dures furent expérimentées puis, dans certains cas, étendues aux Juifs résidant sur le territoire métropolitain. » « Par la suite, ni les Alliés ni le général de Gaulle ne jugeront nécessaire d’abroger les dispositions antisémites en vigueur dans la colonie ». En 1966 Peyrouton publie une « Histoire générale du Maghreb » chez Albin Michel dans lequel il fait l’éloge du Bugeaud et de Lamoricière, il y justifie l’enfumade des grottes de Dahra en 1845 ainsi que les massacres de Sétif du 8 mai 1945. Le préfacier Jérôme Carcopino (membre de l’Académie française depuis 1955) ne dit pas un mot de l’appartenance de Peyrouton au régime de Vichy !

Un autre personnage est cité, Joseph Barthélemy, homme de droit et politique sous Pétain. Il publie plusieurs ouvrages dont un chez Dalloz où il critique ouvertement le décret Crémieux en expliquant que l’adaptabilité de la race israélite lui permet de ne s’attacher à aucune nationalité déterminée. Il est un des artisans, en 1941, du second statut des Juifs multipliant les interdictions professionnelles des Juifs. Ainsi les Juifs considérés puis traités comme des « indigènes » sont-ils « réputés dangereux pour l’intégrité raciale, sociale et politique de la France » et connaîtront la déportation et l’extermination.

OLCG termine son chapitre sur l’idée qu’il est « impossible d’aborder la question coloniale sans rencontrer la question sociale » Ainsi la grande pauvreté engendrées par la naissance de la grande industrie induit d’exporter vers l’Algérie les rebuts de la société métropolitaine et d’importer le personnel militaire afin d’y combattre les « Bédouins de la métropole ».

Le chapitre cinq s’intitule : « La ‘’Coloniale’’ contre la ‘’Sociale’’. On s’intéresse ici aux représentations qui « font des prolétaires, des vagabonds et des mendiants de nouveaux barbares victimes d’une dégénérescence morale et physique au terme de laquelle rien, si ce n’est la couleur de la peau, ne les distingue plus des Noirs d’Afrique ou des Indiens d’Amérique par exemple ». De nombreux écrits savants décrivent ces barbares de l’intérieur issus du paupérisme et que les lois de l’hérédité conduisent à former une classe qui vit « hors des voies de l’ordre et de l’honnêteté ». Ainsi « les ennemis de la France ne sont donc pas seulement à l’extérieur de l’Europe, ils se trouvent aussi en son sein ». Gustave Le Bon « estime que la régression des classes pauvres est telle qu’elles deviennent semblables aux races inférieures des autres continents, comme le prouve l’atrophie de leurs capacités intellectuelles ». De là surgit l’idée que l’expansion continentale n’est plus possible à la suite des défaites de Napoléon la conquête de l’Algérie devient une opportunité inestimable. Un célèbre économiste saint-simonien, Michel Chevalier, affirme qu’ « Alger peut être à la France ce que l’Amérique fut à la Grande-Bretagne au siècle précédent ». Les colonies peuvent contribuer à la stabilité du pays en y exportant les classes pauvres et les « perturbateurs » ! Dès la formation de la Deuxième République « alors que la question sociale et celle du droit au travail sont au cœur de nombreux débats, les projets de peuplement de l’ancienne Régence d’Alger se multiplient ». « L’année 1848 doit être considérée comme la période où se scelle l’alliance politique de la République et du colonialisme. » Pour faire face aux manifestations populaires l’ancien gouverneur de l’Algérie, le général Cavaignac est nommé ministre de la Guerre et en juin 1848 président du Conseil. Pour le remplacer au ministère de la Guerre « on fait appel à Lamoricière, le promoteur des razzias systématiquement pratiquées par les troupes françaises lors de la conquête de l’Algérie. Polytechnicien et saint-simonien, il a fait une brillante carrière dans l’armée d’Afrique. » « Les armes et les techniques employées pour reprendre les faubourgs, les comportements de ceux –officiers , simples soldats ou membres de la garde nationale- qui sont engagés contre les « Bédouins parisiens » témoignent de la nature particulière de ce conflit et de sa brutalisation. » « Hugo ou Tocqueville, par exemple, sont conscients qu’en juin 1848 un saut qualitatif a été franchi dans l’art d’anéantir les révolutions. »

Maintenant peuvent être présentés les principaux thèmes de la conclusion qui s’ouvre sur la fameuse loi n°667 déposée par de nombreux députés et qui souligne « L’œuvre positive de l’ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française… »

« Singulière époque, étrange conception du devoir de mémoire… » L’armée d’Afrique a permis à la France de retrouver son statut de grande puissance. Les enseignements de la guerre coloniale ont permit la conduite de la guerre civile dont Bugeaud fut un des maître penseurs ce qui « n’a pas empêché Jules Ferry d’en faire un héros de la France républicaine ». Ces techniques spéciales mises au point ont permis les conquêtes ultérieures des diverses colonies afin d’étendre et de défendre l’empire.
« De là une conséquence importante. Les origines de la guerre totale ne seraient pas à chercher dans les archives des stratèges français ou allemands qui ont dirigé les opérations militaires entre 1914 et 1918, ni dans les meurtriers ‘’orages d’acier’’ qui se sont alors abattus sur l’Europe. Elles ne se trouveraient pas non plus dans les dossiers de Hitler et de ses généraux lorsqu’ils lancèrent, le 22 juin 1941, leurs armées à l’assaut de l’Union soviétique promise à l’ ‘’annihilation’’ annoncée par le Führer, lequel, quelques mois plus tôt, avait aussi déclaré que la guerre ‘’contre la Russie’’ devait ‘’exclure les formes chevaleresques’’. Ces origines, ne les découvre-t-on pas plutôt dans les montagnes de Kabylie livrées aux ‘’vastes’’ et systématiques ‘’incendies’’ allumés par les troupes de Saint-Arnaud, et qui laissent derrière elles des terres ravagées et pour longtemps improductives, des survivants terrorisés, ruinés et affamés ?...... Cette militarisation de l’espace, des populations qui s’y trouvent et de l’économie est la conséquence de l’abolition consciente, méthodique et durable des distinctions essentielles entre militaires et civils, champs de bataille et zones hors combat. »

Les conflits coloniaux ont permis d’expérimenter de nombreuses tactiques et techniques nouvelles. La mitrailleuse mise au point par les troupes coloniales britanniques. La balle ‘’dum-dum’’ prohibée dans le cadre de conflits entre ‘’civilisés’’ mais autorisée pour la chasse au gros gibier et les conflits outre-mer.

Parlementaires, ministres et hommes de droit ont mis au point des institutions permettant de servir les desseins de la colonisation qui ne sont pas étrangères à l’avènement d’un antisémitisme d’Etat après l’arrivée de Pétain au pouvoir.

Mise en place d’une rhétorique de l’urgence liée aux impératifs de la défense qui institue « des dispositions d’exception qui tendent à devenir permanentes ».

Les théoriciens comme Eugène Bodichon, « défenseur d’une biopolitique radicale et raciale ayant pour but de faire mourir les races inférieures pour permettre aux supérieures de vivre et de progresser » « ne sont-ils pas les ancêtres…. (de ceux-qui)… au service d’une idéologie et d’un régime inédit, ont cherché à réaliser plus tard des projets similaires, mais plus radicaux encore, sur les populations d’Europe orientale, considérées et traitées comme des indigènes blancs voués par les dirigeants du Troisième Reich à une oppression et à une exploitation des plus brutales ? »

« La France était fière de compter 100 millions d’habitants répartis sur tous les continents. En témoignent les zoos humains, où furent exhibés des Kanaks que l’on disait anthropophages, et les ‘’villages nègres’’ de l’exposition coloniale de 1931, laquelle succédait à la célébration du centenaire de la prise d’Alger. »

OLCG termine son livre sur cette idée que l’ensauvagement du continent et le siècle des extrêmes et des génocides « n’aurait pas été ce qu’il fut sans le ‘’siècle de fer’’ et de sang imposé par les Européens aux ‘’races inférieures’’ d’Afrique et d’ailleurs. »

Rachèle Coulougliani


[1Olivier Le Cour Grandmaison est un universitaire français né le 19 septembre 1960 à Paris. Historien spécialiste des questions de citoyenneté sous la Révolution française et des questions qui ont trait à l’histoire coloniale, il est maître de conférences en science politique à l’université d’Evry-Val d’Essonne et enseigne au Collège international de philosophie.

[2publié chez 10/18 en 1976