En 2011, le mouvement Occupy Wall Street s’est répandu dans de nombreuses villes des États-Unis, tout en attirant largement l’attention sur le plan international. Dans le cadre de notre enquête sur les luttes sociales aux États-Unis (qui nous a déjà conduit à présenter « Black Lives Matter » et à nous entretenir à ce sujet avec Noam Chomsky), il a paru intéressant de rencontrer certains des animateurs ou animatrices de ce qui constitue un des mouvements sociaux américains les plus remarqués de ces dernières années. Ces entretiens tentent donc de réaliser un bilan à la fois critique et constructif d’Occupy Wall Street, qui peut susciter un intérêt particulier alors qu’un mouvement d’occupation à certains égards comparable vise à s’installer en France à l’occasion de la mobilisation contre la loi El Khomri.
Marisa Holmes a récemment réalisé le film All day all week : an occupy wall street story et compte parmi les initiateurs du mouvement (voir à ce sujet David Graeber, Comme si nous étions déjà libres, Lux Editeur, 2014). Mark Bray a aussi été particulièrement investi à New York et a publié depuis Occupons Wall Street- L’anarchisme d’Occupy Wall Street (éditions Noir et rouge, 2014). L’entretien donne aussi la parole à Nathaniel Miller et Jason Freedman, qui témoignent de l’existence du mouvement dans d’autres villes, en l’occurrence Philadelphie et Boston.
Il y a quelques années, vous étiez actifs dans le mouvement Occupy Wall Street. Considérez-vous toujours Occupy comme un mouvement important ? Pourquoi ?
Mark Bray : Je pense qu’une partie de l’importance d’Occupy a trait au contexte dans lequel il a émergé : l’activité politique radicale était alors assez faible aux Etats-Unis. Je pense que cela a fait resurgir le sentiment de la possibilité de mouvements sociaux populaires, de luttes sociales populaires, d’une transformation sociale. Toutes ces choses qui avaient été mises relativement en veilleuse ont davantage été rendues accessibles à la conscience populaire via Occupy et cela a eu une influence sur les luttes sociales qui sont venues par la suite. Et je pense que cela a aussi eu une influence dans la mesure où une nouvelle génération de jeunes radicaux y a commencé à s’engager en politique. Ces deux exemples montrent la pertinence d’Occupy, même si le mouvement n’existe plus.
Marisa Holmes : Il y a eu différentes actions après Occupy... Par exemple, Occupy Sandy qui était une réaction à l’Ouragan Sandy. Quand c’est arrivé, il y a eu un réseau et une organisation à but humanitaire. Il y avait des assemblées, un travail au niveau du quartier. Il y a eu des projets sur le logement comme Occupy Homes et aussi des choses qui ne s’appelaient pas Occupy mais qui étaient en lien avec des tactiques d’occupation, de réappropriation... Je pense vraiment qu’Occupy Wall Street a été une sorte de convergence de beaucoup de différents mouvements émergents. Ensuite, les gens sont retournés militer dans les différents secteurs d’où ils venaient, dans leur quartier, leur lieu de travail, ou ont continué leurs activités contre la police, etc. Ce n’est pas comme si Occupy avait donné naissance à toutes ces choses, les gens travaillaient déjà dans ces domaines mais Occupy a renforcé ces réseaux, les a radicalisé.
Mark Bray : De manière générale, si on regarde des choses comme la lutte et la campagne dans la restauration rapide en faveur des 15 dollars de l’heure, on peut considérer qu’Occupy a contribué à apporter un sens de l’activisme dans le mouvement syndical à un niveau plus élevé que ce n’était le cas auparavant. Donc, je ne pense pas que ce soit une coïncidence si c’est arrivé juste après ou vers la fin d’Occupy. Ou même des choses en lien avec l’environnement (Fracking Resistance...) : là aussi je pense qu’Occupy a aidé un peu. Black Lives Matter, bien entendu, a développé des problèmes spécifiques, mais encore une fois, Occupy a créé un terrain propice à la manifestation, au fait d’être dans la rue, d’avoir des actions dans différentes villes liées à quelque chose se passant ailleurs. Cela a contribué à créer un climat particulier qui a été un facteur, même mineur, de l’existence de ces autres choses.
Marisa Holmes : Avant Occupy, les gens demandaient la permission pour faire les choses, pour les rassemblements, les manifestations... Depuis Occupy, spécialement parmi les jeunes, ce n’est plus quelque chose que l’on ressent le besoin de faire. Je veux dire, certainement, les syndicats institutionnels et d’autres forces dans la ville obtiennent des permissions mais pas Black Lives Matter. Il y avait des milliers de personnes dans la rue sur le pont routier, nous avons utilisé des tactiques mobiles et des actions directes sans même y penser. Il y avait un nouveau sens de la normalité en terme de tactique sans que les gens s’en rendent forcément compte. Ce n’était pas une position idéologique mais les gens étaient plus à l’aise avec les actions militantes.
Marisa, tu as été une des premières personnes impliquées dans Occupy Wall Street et tu as fait un film à propos du mouvement (All day all week : an occupy wall street story). Comment celui-ci a-t-il commencé ? Mark, quand as-tu décidé de le rejoindre ? Quelle était la nature principale de votre implication dans Occupy Wall Street ?
Marisa Holmes : Cela a commencé au Parc Bowling Green dans le quartier des affaires du sud de Manhattan le 2 aout 2011. Le groupe New Yorkers Against Budget Cuts avait déjà pris part à l’occupation Bloobergville organisée plus tôt dans l’été... Puis en gros, des gens sont venus, n’ont pas voulu simplement écouter ce qu’il se disait au rassemblement et se sont opposés à la façon dont les choses s’organisaient. Ces gens voulaient former une assemblée, donc ils se sont mis à part et cela est devenu l’Assemblée Générale de New York City. J’ai rejoins ce groupe. Tous les samedi, pendant 6 semaines, nous avons parlé d’une occupation, avons appris à nous connaitre et avons rédigé un communiqué qui disait que nous étions pour l’horizontalité, la participation et l’autonomie. Le but était que l’action soit préfigurative de cet objectif. Il faut se souvenir que c’était dans le contexte global d’une occupation des places publiques, en particulier avec les indignés espagnols (15M). Des gens étaient vraiment influencés par eux, en particulier concernant la manière de procéder et le mode d’action.
Mark Bray : En voyant le soutien grandissant que le mouvement recevait de la part de la société, des syndicats et de differents autres secteurs, l’intérêt populaire pour la question de la brutalité policière, suite en particulier à l’utilisation de « gaz au poivre » par la police fin septembre, j’en suis venu à apprécier l’atmosphère de plus en plus. J’ai décidé de venir régulièrement, la manifestation du Brooklyn Bridge a rendu les choses encore plus intéressantes et finalement j’ai pensé qu’il se passait quelque chose et j’ai voulu le soutenir.
J’ai été actif dans le groupe de travail Presse et après environ un mois, j’ai rejoint le groupe de travail action directe.
Marisa Homes : Je ne faisais plus que cela à l’époque. C’était 24h/24h, 7j/ 7 à travailler pour Occupy ! J’ai arrêté d’aller en cours, de travailler, je ne faisais plus qu’Occupy... J’étais tout le temps dans le parc. J’ai aussi participé au groupe média, à la planification des actions, etc
Mark, tu as écrit un livre qui s’appelle Occupons Wall Street : L’anarchisme d’Occupy Wall Street (Translating Anarchy- The anarchism of Occupy Wall Street). Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Mark Bray : La raison pour laquelle j’ai choisi ce titre est que je pense qu’Occupy Wall Street a réussi à être à la fois radical et pertinent pour la vie des travailleurs à New York. Il a réussi à traduire les idées et pratiques anarchistes dans un langage et une forme d’organisation, des modes de prises de décision et des actions qui ont permis aux gens de s’engager et de trouver cela pertinent pour leur situation, sans les rebuter avec le bagage idéologique ou la bannière radicale de l’anarchisme.
J’ai interviewé près de 200 animateurs d’Occupy Wall Street à New York, et je les ai interrogé à propos de leurs perspectives politiques. 39% des interviewés s’identifiaient au terme « anarchiste » et 33% avaient des principes politiques que je dirais très similaires, si ce n’est identiques, à l’anarchisme. Donc il y avait environ 72% des animateurs d’Occupy Wall Street à New York qui avaient implicitement ou explicitement des positions politiques anarchistes. Donc, en dépit de ce que les médias ont dit, l’anarchisme a été l’idéologie centrale parmi les gens militant au cœur d’Occupy Wall Street. Mais il faut distinguer les gens impliqués de manière quotidienne dans Occupy et les gens qui s’y montraient parfois, ou participaient occasionnellement à une manifestation, en terme de perspective et de positionnement politique. C’est pourquoi les médias ont essentiellement vu Occupy comme un mouvement mainstream « liberal » [au sens politique américain du terme], en ignorant l’élan radical qui le portait.
Nathaniel and Jason, vous vivez à Boston et Philadelphie. Qu’est-il arrivé là-bas durant le mouvement Occupy ?
Jason Freedman : Quand Occupy est arrivé aux Etats-Unis, suite à l’occupation de New York, Boston a été une des villes les plus promptes à réagir, à travers une occupation. L’occupation a eu lieu devant une banque fédérale. La place s’appelle Dewey square. Beaucoup d’anarchistes ont été impliqués depuis le tout début. Parmi les groupes impliqués, il y avait Food not bombs, Anarchist Black cross, les IWW de Boston et Common struggle (qui a désormais intégré la Black Rose Anarchist Federation). Ils étaient engagés dans la logistique, la nourriture, etc. Occupy a changé le paysage politique à Boston, manifester dans la rue est devenu normal, les idées anarchistes sont devenues normales, les gens se sont intéressés aux idées anti-capitalistes mais au bout d’un certain temps, il est devenu compliqué de conserver la capacité à garder le camp pour beaucoup d’occupants. Et la météo n’a pas aidé. Il a été question d’occuper un bâtiment mais les gens n’ont pas véritablement envisagé sérieusement la chose, même s’il en était de plus en plus question.
Nathaniel Miller : Comme dans des centaines ou peut-être des milliers de villes, il y a eu un mouvement Occupy actif à Philadelphie. Pas aussi connu ou important que celui de New York mais tout de même important et organisé, avec environ 2000 personnes impliquées. Ce n’était pas très sophistiqué en terme d’analyse mais cela a contribué à critiquer le capitalisme, ce qui aux Etats-Unis n’existe habituellement pas. L’américain moyen est toujours extrêmement pro-capitaliste dans ses analyses. Cela a donc aidé à un début de critique du capitalisme. L’héritage du mouvement est principalement cette critique.
Il y a parfois des clichés concernant Occupy Wall Street. Par exemple, il y a l’idée que c’était juste un mouvement étudiant ou intellectuel, pas vraiment lié aux problèmes des ouvriers, etc. Pensez-vous que c’est effectivement une caricature ou qu’il y a du vrai dans cette présentation ?
Marisa Holmes : Je ne pense pas qu’Occupy était universitaire, intellectuel, dominé par des groupes ou une classe de personnes ayant particulièrement fait des études. Ce n’est pas vrai. Évidemment, il y avait des personnes impliquées qui venaient d’un milieu universitaire, comme David Graeber, Marina Sitrin. Et si tu occupes un parc, il se trouve qu’il y aura certains groupes de gens qui vont être capables d’être là constamment... donc il y avait beaucoup d’étudiants mais aussi beaucoup de sans-abris, de chômeurs qui avaient aussi du temps...
Mark Bray : C’est en effet un peu une caricature. Des milliers de personnes ont participé à travers le pays. Cela s’est certainement développé numériquement au-delà de ce type de description. Beaucoup de syndicats ont soutenu le mouvement et certains y sont venus. A un certain moment, je crois que les sondages ont montré que 50% (ou peut-être plus) des gens à New York avaient une impression favorable concernant le message d’Occupy.
Mais je pense que, dans une certaine mesure, Occupy a échoué à s’ancrer suffisamment, dans de nombreux cas, dans les luttes de tous les jours. Cela a un peu développé un écart avec le travailleur moyen et la façon dont il percevait ce qu’était Occupy... Tu sais, quand tu venais, je ne pense pas qu’il y avait assez de liaisons pour améliorer ça, davantage de liens auraient été utiles. Mais cela découle de la façon dont on s’est organisé, de la manière dont les choses se sont mises en place et de la composition des gens qui étaient dans le parc et qui participaient. D’un autre côté, je pense que la gauche radicale aux États-Unis tend à avoir un haut niveau d’études. On ne peut pas décrire Occupy comme n’étant que cela, mais je pense que cela a eu une influence sur Occupy dans certaines villes, comme New York.
Marisa Holmes : C’est vrai concernant la gauche aux Etats-Unis. Mais Occupy, de ce point de vue, était vraiment, vraiment bien mieux que d’habitude. Parce que grâce à cette tactique d’occupation, c’était ouvert, en fait. Les gens qui n’avaient pas cette culture radicale, cette éducation ou des connaissances idéologiques y allaient... Des gens qui vivaient dans la rue ou venaient avec leurs enfants y participaient. Et ce n’est pas ce que je constate maintenant, en fait. Il y a désormais un environnement militant plus fermé.
Quand je suis retourné à Liberty Square pour filmer mon film à propos d’Occupy Wall Street, j’ai parlé à un des hommes qui travaillent pour Brookfield Propreté, une entreprise qui s’occupe aussi de la sécurité du parc, ce qui est lié à la privatisation de la ville. L’homme, le type me disait « oh ouais, Brookfield, ils sont prêts pour vous les gars », tu sais ils pensent en fait que nous allons revenir (rires). Ils viennent juste d’installer deux nouvelles caméras de surveillance. Et le gars me disait « vous devriez revenir, on aura des heures supplémentaires si vous revenez » (rires). Et « on vous soutient, en fait ». Parce que le mouvement était évidemment lié aux travailleurs ; il n’a pas de haute fonction à Brookfield et il a très bien compris. Et pourtant ce type, tu vois, travaillait à Brookfield... Tu sais, la raison pour laquelle nous parlions des 99%, des 1%, renvoyait à une question de richesse... Alors ce type m’a dit, tu sais, « ils prennent tout, ils ne nous laissent rien ». Je ne sais pas, les gens ont compris à un niveau très basique que la richesse devait être redistribuée, qu’il était nécessaire de faire une action collective. Les gens se sont identifiés à ce qu’on faisait. Ils étaient les 99%.
Mark Bray : Beaucoup de journalistes ont dit que le message d’Occupy n’était pas clair. Mais je pense que les gens ont compris assez clairement que ce petit pourcentage de personnes dans ce pays avait tout. C’était très facile à comprendre, la plupart des gens l’ont compris.
Il était question de classe sociale mais le langage que nous utilisions mettait les gens plus à l’aise, pour différentes raisons, que le langage de classe du 19ème siècle auquel ils étaient plus familiers. Je pense qu’il est important de se souvenir que, dans le contexte des Etats-Unis, l’idée qu’il y a des groupes sociaux dont les intérêts s’opposent à ceux d’autres groupes est vraiment radicale. Nous avons été habitués à penser que, au final, si tout le monde était vraiment intelligent, nous réaliserions que tous les interêts vont dans le même sens. Or, beaucoup de gens ont considéré que ce n’était pas le cas, que nous étions en fait engagés dans une lutte, qui était très radicale et transformatrice.
Marisa Holmes : Avant 2008, avant la crise économique, on ne pouvait pas vraiment parler de capitalisme. Mais ensuite, soudain, même les médias dominants, tout le monde parlait de capitalisme. « C’est la fin du capitalisme », etc...
Mark Bray : Et Occupy a beaucoup poussé dans ce sens....
Marisa Holmes : Et en 2011, avec Occupy, on pouvait en parler encore plus facilement. Je ne sais pas, la plupart des gens sont capitalistes dans leurs actions. Mais ils sont probablement plus critiques, maintenant, je suppose.
Mark Bray : Oui et je pense que les gens ont habituellement cette idée que le capitalisme marchera si l’on consent à travailler dur, aux efforts, au sacrifice personnel et que c’est le système le mieux conçu pour donner aux gens ce qu’ils méritent. Alors, avec la crise économique, et d’une certaine manière avec la rhétorique d’Occupy, nous avons essayé de souligner que la logique capitaliste ne donne pas aux gens ce qu’ils méritent. Quand tu as des banquiers qui détruisent l’économie en s’enrichissant, même s’ils ne contribuent pas vraiment à l’économie, et des travailleurs qui ont fait les choses qu’ils sont censés faire et qui se retrouvent à la rue sans maison ni travail... Je pense que cela aide à détruire cette idée sur la nature du capitalisme, sans parler du sauvetage financier, des institutions financières obtenant de l’argent du gouvernement pour les soutenir quand elles sont fichues, alors que les gens ne sont pas sauvés, donc...
Marisa Holmes : Mais qu’appelons nous politique ? Les médias dominants, les syndicats, les ONG sont venus et ont voulu engager le mouvement dans la politique qui a affaire au gouvernement et aux changements de politique. Mais nous étions engagés dans une politique quotidienne consistant à auto-organiser nos vies. C’est en fait ce qu’on a pas assez vu à propos d’Occupy. Pas juste les idées d’anarchisme mais, tu sais, les gens qui vivaient dans le parc et auto-organisaient leurs vies avec une certaine énergie, en cherchant à se nourrir et à se loger eux-même. Même si c’était une occupation symbolique, il y avait des choses matérielles concrètes qui se passaient là. C’est de ça dont il était question : la politique quotidienne, la révolution quotidienne.
Mark Bray : Lorsque les auteurs libéraux [au sens politique américain] parlent d’Occupy, c’est une dimension qui est exclue de l’histoire ou simplement décrite comme une attitude liée à la contre-culture. Je veux dire, je suis sympathisant de la contre-culture, j’ai fait du punk il y a quelques années. Mais, de toute évidence, les gens qui sont dans ce milieu, si tu essaies de militer avec eux, ne sont pas toujours très positifs à l’idée d’être accessibles et de participer à des groupes qui soient accessibles, de sorte que les gens puissent s’y intéresser. Il y a une barrière à la participation (et c’est parfois un problème avec les groupes et les mouvements anarchistes).
Quoiqu’il en soit, je pense que l’identité des occupants est devenue trop statique, au point que beaucoup de travailleurs ont senti qu’ils pourraient soutenir Occupy mais qu’ils n’occuperaient pas eux-même, ce qui limitait la croissance potentielle de ce que nous faisions.
De façon constructive, que pouvons nous apprendre des limites de cette expérience ? De manière générale, si nous ne nous concentrons pas seulement sur les bons côtés, quelles sont les critiques constructives que vous feriez aujourd’hui à propos d’Occupy Wall Street ? Par exemple, Mark, tu parles dans ton livre du problème des « libéraux libertaires ». Qu’est-ce que tu veux dire ?
Mark Bray : Beaucoup de gens ont ce résidu d’individualisme américain qu’ils mixent avec un anarchisme ou un positionnement libertaire sous-développé – idées d’opposition à la coercition, à l’inclusion, prenant des directions individualistes débouchant parfois sur l’impossibilité de prendre des décisions sévères excluant les gens activement destructeurs ou agissant contre l’intérêt du collectif, contre des manières de prendre des décisions qui donnent la priorité aux gens effectivement affectés par les décisions qui sont prises. Ils rejettent les méthodes de prise de décision qui rendraient possible des structures de démocratie directe. Des choses de ce genre. Aucune organisation ou solution ne peut faire disparaitre cela entièrement, certaines pourraient le faire mieux que d’autres, mais cela montre, je pense, le type de culture politique auquel nous avons affaire aux Etats-Unis.
Marisa Holmes : Il y avait une série de défis majeurs, je dirais. La croissance, l’echelle d’organisation, les structures, les relations liées à cette croissance, toutes les formes d’oppression interne, la race, le genre, l’heteronormativité, etc. Et aussi gérer la présence policière, le niveau d’oppression... Nous n’étions pas préparés adéquatement pour ces défis. Je pense que nous avons essayé sur le moment, en état de siège, de les gérer... Mais si j’avais la possibilité de le refaire, je me préparerais davantage à la possibilité que les gens puissent, en fait, venir. Nous n’avions pas cru que les gens viendraient... Nous pensions que nous arrêterions après 3 jours maximum... Nous n’avions pas anticipé que peut-être, en fait, les gens seraient intéressés par notre manière de faire les choses !
Propos recueillis par Fabien Delmotte