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Libre partage d’informations et Idéal piratique...
vendredi 27 novembre 2009, par
Depuis la formule de Lénine que le socialisme d’URSS serait "les soviets plus l’électricité " jusqu’aux productions monstrueuses du "socialisme réel" stalinien ou maoïste, on est bien revenu de cette croyance en un progrès technique globalement libérateur.
Abondamment utilisé par des groupes "citoyens" ou des organisations politiques, Internet ne révolutionne pas grand-chose sur le plan social ou politique. Il apporte tout au plus des moyens pratiques plus nombreux et plus accessibles pour aider et amplifier des méthodes d’action, et prouver leur vitalité et leur efficacité, dont le mutuellisme, l’échange direct, la contre information immédiate... La prudence est bien sur nécessaire car ce n’est pas la première fois qu’un support provoquerait un enthousiasme pour "un avenir meilleur".
En 1983, à la naissance du Minitel, une société du "0 papier " était pronostiquée. Les marchands d’imprimantes et de consommables, comme les marchands de pelles de la "ruée vers l’Or" ont fait des bénéfices tangibles... La lecture sur écran n’a pas supplanté l’usage du papier, bien au contraire.
Pour anecdotique qu’elle puisse paraître, cette remarque en induit pourtant d’autres plus conséquentes. L’esprit "libertaire" du P2P, le libre-échange, "l’intelligence collective" concernent-ils réellement les "Hommes" mis au centre de ces échanges ou les seuls "hommes occidentaux" ?
La nouvelle citoyenneté du "no-profit" par une absence de critique globale n’est-elle pas involontairement mais en grande partie résumée par Yann Moulier Boutang dans "Un autre monde est-il possible ?"
"Lorsque j’ai crié avec tant d’autres, dans les artères de Porto Alegre en janvier 2002, au Brésil " um outro mundo è possivel ! ce qui me paraissait plus important que la protestation contre la mondialisation néo-libérale (...) c’était d’abord la formidable affirmation, depuis Seattle, puis Gênes, d’existence d’un mouvement global. (...) L’existence, la présence, le se mouvoir contient dans son apparaître un présent, une surabondance d’être qui se suffit déjà à elle-même. Politiquement, elle recèle une force que le vieux Bernstein (...) avait bien vu lorsqu’il disait "le mouvement est tout, le but n’est rien" ! "
Comment ne pas rapprocher cette "illusion d’être ensemble", lors de grandes messes (de Porto Alegre aux services du réseau) avec ce qu’écrivait Ludwig Feuerbach en 1841 dans la préface de l’Essence du christianisme ..."Et sans doute notre temps... préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré."
L’utopie du P2P comme "levier" d’un changement semble effectivement illusoire. Le rêve piratique ne serait-il actuellement qu’un "non lieu". Derrière ou devant les ordinateurs personnels, nous ne sommes pas le monde et la virtualité du groupe reste une virtualité. Comment échanger concrètement à l’ombre d’un clavier ? L’adjonction d’une "Webcam" dans le réseau ne changera rien à l’affaire.
J’ai bien peur, à l’analyse de ces usages du P2P, de reconnaître une certaine clairvoyance à Guy Debord lorsqu’en 1967, critiquant une société qu’il qualifiait de spectaculaire marchande, il écrivait : "La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation". Nous rejoindrions alors les utilisateurs du P2P décrits dans l’étude de la Fing. "Participant" à un élan d’échange, les altermondialistes regardent le monde depuis leur machine et l’analysent d’après cette dernière. Se retrouver dans le listing protestataire donne à sa signature et donc au signataire une place qui n’est en aucun cas assimilable à une réelle action. Que vaut la virtualité d’une participation lorsque la "construction d’un mouvement" nécessite une implication réelle et directe ?
Que vaut une manifestation, un squatte ou une occupation virtuelle dans la perspective d’une action ? Après l’abandon de la notion de "lutte de classes", l’action devenue virtuelle, risque elle aussi d’être cotée dans une "bourse" où le point serait le "clic" des militants.
Enfin, cette perspective du "noprofit " : "oui à la marchandise, à condition pourtant qu’elle reste dans ses bornes et renonce à dévorer la société entière" n’est pas très différente de celle des néokeynésiens qui eux aussi ont découvert, l’importance du volontariat et l’intègrent dans leurs "business plan" . Ce qui n’est rien d’autre qu’un voeu pieux. On invite les marginalisés à organiser eux-mêmes leur survie en s’aidant l’un l’autre et en échangeant directement des services - mais toujours à un niveau matériel très bas, parce que naturellement les ressources resteront réservées en priorité aux circuits mercantiles, même quand seulement une minorité infime pourra s’en servir.
Fulano De Tal