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Le chronomètre et le sabot : le management scientifique et les Industrial Workers of the World

mercredi 9 janvier 2013, par Contribution

Traduction d’un texte de Mike Davis (Radical America Vol. 9 N° 1, Janvier Février 1975) [1] sur le développement des techniques de management Tayloristes pour briser la solidarité des travailleurs/euses et la réponse du syndicat IWW.

Le sabot était un symbole anarchiste au XIXe et au début du XXe siècles, bien que son utilisation ait progressivement disparue depuis.


Trop long pour une lecture à l’écran (16 pages), nous publions l’introduction et proposons le texte complet en téléchargement.


Introduction

Taylor et « l’art de la sudation »

Le père fondateur du management moderne dans l’industrie pensait que la « limitation de la production » volontaire ou la « fainéantise » avait toujours été le péché originel de la classe ouvrière.
« La fainéantise naturelle de l’homme est importante » écrivait Frederick W. Taylor, « mais le plus grand mal dont souffrent les ouvriers et les employeurs est la fainéantise systématique qui est presque universelle » [2]. La croisade de toute une vie de Taylor contre l’ouvrierE « autonome et inefficace » était la cristallisation de ses expériences personnelles en tant que contremaître à la Midvale Steel Compagny à Philadelphie. Pendant trois ans, il a mené une croisade acharnée contre les machinistes et les travailleurs qu’il accusait de réduire collectivement la production. Il réussît finalement à briser la cohésion de groupe des travailleurs et à réduire « la fainéantise » après des amendes et des licenciements impitoyables. Cette victoire à la Pyrrhus prit « trois ans de travail difficile, odieux, et méprisable... à essayer de guider mes amis à faire un travail correct ». Cela convainquit Taylor que la répression seule était une base inappropriée pour le contrôle managérial sur les conditions de production [3].
Après plusieurs années d’expérimentation dans l’industrie de l’acier et des ateliers d’outilleurs/ajusteurs, et avec l’aide occasionnelle de leaders clés de l’industrie comme Bethlehem Steel et d’autres grandes entreprises, Taylor systématisa ses idées dans une sérié de livres. De ses multiples travaux, son ouvrage The Principles of Scientific Management (Les principes du management scientifique) – ouvrage écrit sans pincettes – a été le plus efficace pour diffuser ses idées. Il fut, au final, traduit dans une douzaine de langues et devint la bible des « hommes efficaces » à travers le monde. Dans ce livre, Taylor proposait des solutions efficaces au problème de la limitation intentionnelle de la production et de la fainéantise au travail.

Le fondement traditionnel de la fainéantise au travail, expliquait-il, était le degré de contrôle exercé par les travailleurs/euses qualifiéEs grâce à leur maitrise du processus de production. L’exclusivisme du métier, maintenue par le contrôle de l’entrée dans la force de travail et la monopolisation des compétences presque comme une forme artisanale de propriété intellectuelle, empêchait les forces du libre marche d’opérer et de s’appliquer à l’échelle des salaires et à l’emploi [4].

De plus, Taylor était conscient que la soumission des employéEs à la nouvelle discipline de la chaîne d’assemblage ne résoudrait pas automatiquement les problèmes mentionnés ci-dessus tant qu’une minorité du personnel conserverait le droit de définir ce qu’est une « journée de travail honnête ». Il insista sur le fait que la condition sine qua non pour donner tout pouvoir au management était que celui-ci devait s’approprier l’intégralité des secrets de métier et traditions des ouvrierEs qualifiéEs. Les techniques d’étude de temps et de mouvement développées par Taylor (puis perfectionnées par d’autres) étaient des méthodes précises pour analyser les compétences des ouvrierEs qualifiéEs requises par le processus de production. Ces études « scientifiques » menées par ces nouvelles saletés d’ingénieurs de production et de dévots de Taylor devinrent le standard pour miner l’autonomie du travail qualifié. La connaissance du processus de production serait monopolisée par le management tandis que les tachés qualifiées seraient divisées en activités plus simples et compatibles.

Les ouvrierEs qualifiéEs prirent immédiatement conscience de la double menace de l’organisation scientifique du travail : la perte de contrôle sur le métier et la polarisation radicale entre travail manuel et intellectuel. En 1916, un leader du syndicat des Mouleurs analysa avec perspicacité la situation en voie de dégradation des ouvrierEs qualifiéEs américainEs :
« Le grand atout du travailleur est son savoir-faire. Le plus grand coup qui pourrait être porté au syndicalisme et aux travailleurs organises serait de séparer la compétence et le savoir-faire. Récemment cette séparation entre compétence et savoir-faire s’est réalisée dans des domaines toujours plus nombreux et de plus en plus vite. Ce processus se reconnaît à l’introduction de machines et à la standardisation des outils, matières premières, produits, et processus, qui rendent la production à grande échelle possible. La seconde forme, plus insidieuse et plus dangereuse que la première, est le regroupement systématique de toute ces compétences éparpillées dans les mains du patron. Celui-ci les redistribue ensuite sous la forme d’instructions minutées, en donnant à chaque travailleur uniquement la quantité d’information nécessaire à la réalisation mécanique d’une taché chronométrée. Ce processus, c’est évident, sépare la compétence et le savoir-faire, mémé lorsque ceux-ci ci sont étroitement liés. Une fois ce processus réalise, le travailleur n’est absolument plus un ouvrier qualifié mais une marionnette animée par le management (c’est moi qui souligne). » [5]. …/ …

 Texte complet (16 pages), à télécharger :

Le chronomètre et le sabot
Mike Davis (Radical America Vol. 9 N° 1, Janvier Février 1975)

Portfolio


[1Publié sur le site britannique libcom.org, dans sa rubrique « History », sous le titre « The Stopwatch and the Wooden Shoe : Scientific Management and the Industrial Workers of the World ».

[2Frederick W. Taylor, Principles of Scientific Management (Les principes du management) (New York, 1911), p. 13.

[3Taylor devant la « Commission on Industrial Relations », 13 avril 1914. Report and Testimony, Vol. 1 (Washington, 1916), p. 782. Pour une description de la personnalité aberrante de Taylor (incluant son habitude de s’attacher lui- même la nuit à une « lanière de cuir et de bois »), voir Samuel Haber, Efficiency and Uplift : Scientific Management
in the Progressive Era, 1890-1920, Chicago, 1964.

[4Pour une description sidérante du degré de contrôle exercé par les ouvrierEs qualifiéEs avant l’arrivée des méthodes rationalisées, voir Katherine Stone, « Origin of Job Structures in the Steel Industry », Radical America, Nov.-Déc.
1973.

[5John P. Frey, « Modern Industry and Craft Skills », American Federationist (mai 1916), pp. 365-66. Voir le résumé
d’André Gorz : « Globalement, l’histoire du capitalisme technologique peut être vue comme l’histoire de la déqualification des procédures directes » André Gorz, « The tyranny of the factory », Telos (été 1973), pp. 61-68.