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2017 : Lénine n’a pas pris une ride…

mardi 7 février 2017, par Lucie Heymé

1917 : la Grande Guerre. L’Allemagne s’achemine vers la défaite. Les États-Unis entrent dans le conflit. En Russie, c’est la Révolution dont l’écho est fulgurant en Europe, dans les pays colonisés, comme auprès des artistes.
Si une partie de ces derniers s’est exilée, certains reviennent à Moscou, riches du foisonnement de la Révolution avant-gardiste, instiguée par Dada en 1916 [1], par Alexandre Rodtchenko [2] et Kasimir Malevitch [3] en URSS ou par les travaux du Bauhaus en Allemagne [4]. Une nouvelle génération se met au service de la Révolution socialiste, "s’attaque au vieux monde" et propose de nouvelles visions graphiques ou architecturales.
Et le poète, dramaturge et futuriste soviétique Vladimir Maïakovski de déclarer que, dans ce combat nouveau, "le poète (aussi) est un ouvrier" [5]



Pour Lénine, le cinéma est l’art majeur entre tous. Dans des directives rédigées quelques années plus tard, il recommandera de "toujours garder présent à l’esprit que de tous les arts, c’est le cinéma qui est pour nous le plus important " [6]. Certains artistes s’emparent de caméras pour "montrer" la vie et, en tant que symbole de la Révolution, Lénine devient le sujet, l’acteur et l’instrument politique d’une propagande de masse.



1917 : "Chers camarades " …

Le 4 avril 1917, arrivant à la gare de Pétrograd après son exil en Suisse, Lénine s’adresse aux centaines d’ouvriers et de soldats venus l’accueillir :

Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers, je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse, de vous saluer comme l’avant-garde de l’année prolétarienne mondiale... La révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale !...


Dans cette reconstitution d’une scène de 1917 post sonorisée [7], les mythes fondateurs sont en place : un leader au centre, un héros de la marine au premier plan, les camarades autour, une banderole… La pédagogie des nouveaux rapports sociaux est placée sous la responsabilité d’artistes qui, pour éduquer un peuple bien souvent illettré, ont recours à la force "vivante" de l’image [8]. Suivront alors de nombreux "reportages"…

1918-1924 : Les caméras de l’agit-prop

Dans Que faire (1902), Lénine insiste sur deux méthodes majeures de l’agit-prop : la révélation (ou "dénonciation") publique et le mot d’ordre. Au pouvoir, il était alors nécessaire de permettre au simple citoyen de mettre un visage sur le nom du plus illustre des bolcheviks dont la presse faisait mention jour après jour. De information à la propagande, la répétition constante du nom et de l’image de Lénine, destinée à galvaniser les énergies révolutionnaires, crève l’écran [9]. Dès le mois d’août 1918, les premiers trains de propagande (agitpoezd) vont sillonner le pays. Le premier d’entre, sur la ligne Moscou-Kazan porte le nom de Lénine.


1924 : Reportage lors des funérailles de Lénine

Le 21 janvier 1924, Lénine meurt. Le 26 janvier, au cours de ses funérailles nationales, Staline prononce l’éloge funèbre, pendant que les cinéastes d’actualité immortalisent l’évènement.


La suite, "on " la connait : un mausolée sur la Place-Rouge, Trotski, Staline, des pitreries autocratiques, quelques trahisons et autocraties de tous ordres…


En 1927, Lénine entre en studio…

 1927 : Octobre d’Eisenstein
Tourné pour le 10° anniversaire de la révolution, Octobre est la première "superproduction" du cinéma soviétique. Des moyens considérables sont mis à la disposition d’Eisenstein [10] avec des milliers de figurants, ouvriers, soldats, marins… Lénine y apparait pour la première fois à l’écran sous les traits, fort ressemblants, d’un acteur non professionnel, l’ouvrier Mkandrov. [11] Conçu comme une chronique des événements qui anticipent le soulèvement généralisé d’octobre 1917, ce film lui donne l’occasion de développer sa théorie du "montage intellectuel", qui consiste à faire émerger une idée, un concept à partir du montage ordonné des diverses représentations.


 1934. : "Trois chants sur Lénine" de Vertov
Dziga Vertov va célébrer les dix ans de la mort de Lénine, non par un portrait complaisant, mais en illustrant les actions initiées par la Révolution. Celui qui dans les années 1920 initia le Kino-pravda (ou "ciné-vérité"), un mouvement théorique et esthétique qui s’oppose au cinéma esthétisant d’Eisenstein. En sortant sa caméra, qu’il considère comme un perfectionnement de l’œil humain, pour capter le réel, il s’émancipe des codes hérités du théâtre pratiqués en studio et capte la vie quotideinne [12]. Il part alors tourner à travers tout le pays, jusqu’en Asie centrale et monte des témoignages populaires avec des images d’archives.



 1937 : "Lénine en octobre"
Cédant au culte de la personnalité, Mikhaïl Romm réalise une commande : un film biographique et historique, allant de l’exil en Finlande à la victoire de la révolution au IIè Congrès panrusse des Soviets…



 1938. : "Lénine en 1918"
Récidivant en 1938, Mikhail Romm fait de Lénine l’incarnation de la justice idéale…


1991 : Good Bye, Lénine ?




2017 : Lénine est si jeune...le combat continu !

Alors que certains s’attèlent à "revivifier la mémoire de la Révolution russe", que le corps du "père de la révolution russe" est maintenu à très grands frais, les Jeunesses Communistes Léninistes de Russie dansent sur un DJ Remix d’une chanson soviétique de 1974 : "Lénine est encore si jeune...un nouvel octobre arrive"…


Notes de l’auteur.
Pour que cet article ne soit pas assimilé à une quelconque béatitude envers une "rock star" d’une révolution confisquée, précisions :
1) Non, ce n’est pas un éloge au "camarade" Lénine et suiveurs,
2) Pour le dépassement de la représentation.
3) Et je préfèrerai toujours le karawane révolutionnaire d’un Hugo Ball [13] aux plans léniniens gesticulés…


Dont acte.


Portfolio


[1Dada : un mouvement intellectuel, littéraire et artistique du début du XXe siècle, qui se caractérise par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques. Images de Dada

[2En 1917, il participe à la création du "Syndicat des artistes peintres", fera partie de nombreux instituts officiels et enseignera, comme la plupart des artistes d’avant-garde russe, dans les nouvelles d’écoles d’art créées à la Révolution, jusqu’à leur suppression par le pouvoir politique inquiet des innovations de l’enseignement en 1930. Images de Rodtchenko :

[3Créateur d’un courant artistique qu’il dénomma « suprématisme », menant sur de nouvelles voies plastiques. Une grande partie de son œuvre reposera sur la construction d’unités géométriques et de surfaces chromatiques qu’il s’efforcera de placer en équilibres dynamiques. Images de Malevitch

[4Bauhaus, fondé en 1901 et dirigé à partir de 1919 par Walter Gropius, désigne un courant artistique concernant, notamment, l’architecture et le design, la modernité mais également la photographie, le costume et la danse. Ce mouvement posera les bases de la réflexion sur l’architecture moderne, et notamment du style international. En 1933, le Bauhaus (installé à Berlin) est fermé par les nazis, et sa dissolution est prononcée par ses responsables. De nombreux artistes et professeurs s’exilent aux États-Unis pour échapper au nazisme. Si l’école du Bauhaus est surtout connue pour ses réalisations en matière d’architecture, elle a aussi exercé une forte influence sur les arts plastiques, à travers les objets usuels qu’elle a façonnés, elle est en plus le précurseur du design contemporain. Images du Bauhaus

[5Voir son poème : Le poète est un ouvrier (1918).

[6Lénine. Directives sur le cinéma. -1922-
Et Trotski de surenchérir en 1924 : "Quand nos hameaux auront des cinémas, nous serons prêts à achever la construction du socialisme"

[7En 1917, le cinéma est muet. Ce n’est qu’après 1925 qu’il devient parlant, avec "Le chanteur de jazz", réalisé par Alan Crosland en 1927

[8Dans ce plan, on notera la grammaire visuelle est erronée. Lénine regarde et pointe sa main vers la gauche, symbole du passé…

[9Voir : 22 extraits sur Lénine. Ce document rassemble 22 extraits de films où apparait Lénine. La vie publique de Lénine y est relatée, entre le 1er mai 1918 et le 30 octobre 1922, au travers de diverses cérémonies (1er mai, anniversaire de la révolution, obsèques), rassemblements et réunions (2e congrès de l’Internationale communiste).

[10Pour commémorer le 20e anniversaire de la révolution de 1905, il réalise Le Cuirassé Potemkine (1925). En cinq "actes", Eisenstein va illustrer l’action de "héros collectifs", qui incarnent la Révolution (les matelots), le Peuple (dans le port d’Odessa) et le Tsarisme (les officiers du bateau et les militaires sur l’escalier). Outre une grande dextérité dans le montage, le film est une défense et illustration du "typage". Esthétiquement et techniquement, Le Cuirassé Potemkine est rapidement perçu dans toute l’Europe comme un sommet de l’art d’avant-garde.

[12Voir : l’homme à la caméra : Dans la petite ville d’Odessa s’éveille, un jour comme les autres s’annonce. "L’homme à la caméra" sillonne la ville, son appareil à l’épaule. Vertov en saisit le rythme et, à travers lui, celui des vies qu’il croise. Sans parole ni sous-titre, sans acteur ni décor, le film est d’une grande richesse formelle et le montage y joue un rôle central.
Film fondateur du Kino-Glaz (ciné-oeil), L’Homme à la caméra est une démonstration, visant à prouver que le cinéma, quand il s’éloigne du récit, est le seul à pouvoir rendre compte de la réalité. Vertov influencera de nombreux cinéastes avant-gardistes européens comme Richter, Jean Lods, Jean Vigo et plus tard Jean Luc Godard qui appellera son collectif de production le "Groupe Vertov ".