1917 : la Grande Guerre. L’Allemagne s’achemine vers la défaite. Les États-Unis entrent dans le conflit. En Russie, c’est la Révolution dont l’écho est fulgurant en Europe, dans les pays colonisés, comme auprès des artistes.
Si une partie de ces derniers s’est exilée, certains reviennent à Moscou, riches du foisonnement de la Révolution avant-gardiste, instiguée par Dada en 1916 [1], par Alexandre Rodtchenko [2] et Kasimir Malevitch [3] en URSS ou par les travaux du Bauhaus en Allemagne [4]. Une nouvelle génération se met au service de la Révolution socialiste, "s’attaque au vieux monde" et propose de nouvelles visions graphiques ou architecturales.
Et le poète, dramaturge et futuriste soviétique Vladimir Maïakovski de déclarer que, dans ce combat nouveau, "le poète (aussi) est un ouvrier" [5] …
Pour Lénine, le cinéma est l’art majeur entre tous. Dans des directives rédigées quelques années plus tard, il recommandera de "toujours garder présent à l’esprit que de tous les arts, c’est le cinéma qui est pour nous le plus important " [6]. Certains artistes s’emparent de caméras pour "montrer" la vie et, en tant que symbole de la Révolution, Lénine devient le sujet, l’acteur et l’instrument politique d’une propagande de masse.
1917 : "Chers camarades " …
Le 4 avril 1917, arrivant à la gare de Pétrograd après son exil en Suisse, Lénine s’adresse aux centaines d’ouvriers et de soldats venus l’accueillir :
Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers, je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse, de vous saluer comme l’avant-garde de l’année prolétarienne mondiale... La révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale !...
Dans cette reconstitution d’une scène de 1917 post sonorisée [7], les mythes fondateurs sont en place : un leader au centre, un héros de la marine au premier plan, les camarades autour, une banderole… La pédagogie des nouveaux rapports sociaux est placée sous la responsabilité d’artistes qui, pour éduquer un peuple bien souvent illettré, ont recours à la force "vivante" de l’image [8]. Suivront alors de nombreux "reportages"…
1918-1924 : Les caméras de l’agit-prop
Dans Que faire (1902), Lénine insiste sur deux méthodes majeures de l’agit-prop : la révélation (ou "dénonciation") publique et le mot d’ordre. Au pouvoir, il était alors nécessaire de permettre au simple citoyen de mettre un visage sur le nom du plus illustre des bolcheviks dont la presse faisait mention jour après jour. De information à la propagande, la répétition constante du nom et de l’image de Lénine, destinée à galvaniser les énergies révolutionnaires, crève l’écran [9]. Dès le mois d’août 1918, les premiers trains de propagande (agitpoezd) vont sillonner le pays. Le premier d’entre, sur la ligne Moscou-Kazan porte le nom de Lénine.
1924 : Reportage lors des funérailles de Lénine
Le 21 janvier 1924, Lénine meurt. Le 26 janvier, au cours de ses funérailles nationales, Staline prononce l’éloge funèbre, pendant que les cinéastes d’actualité immortalisent l’évènement.
La suite, "on " la connait : un mausolée sur la Place-Rouge, Trotski, Staline, des pitreries autocratiques, quelques trahisons et autocraties de tous ordres…
En 1927, Lénine entre en studio…
– 1927 : Octobre d’Eisenstein
Tourné pour le 10° anniversaire de la révolution, Octobre est la première "superproduction" du cinéma soviétique. Des moyens considérables sont mis à la disposition d’Eisenstein [10] avec des milliers de figurants, ouvriers, soldats, marins… Lénine y apparait pour la première fois à l’écran sous les traits, fort ressemblants, d’un acteur non professionnel, l’ouvrier Mkandrov. [11] Conçu comme une chronique des événements qui anticipent le soulèvement généralisé d’octobre 1917, ce film lui donne l’occasion de développer sa théorie du "montage intellectuel", qui consiste à faire émerger une idée, un concept à partir du montage ordonné des diverses représentations.
– 1934. : "Trois chants sur Lénine" de Vertov
Dziga Vertov va célébrer les dix ans de la mort de Lénine, non par un portrait complaisant, mais en illustrant les actions initiées par la Révolution. Celui qui dans les années 1920 initia le Kino-pravda (ou "ciné-vérité"), un mouvement théorique et esthétique qui s’oppose au cinéma esthétisant d’Eisenstein. En sortant sa caméra, qu’il considère comme un perfectionnement de l’œil humain, pour capter le réel, il s’émancipe des codes hérités du théâtre pratiqués en studio et capte la vie quotideinne [12]. Il part alors tourner à travers tout le pays, jusqu’en Asie centrale et monte des témoignages populaires avec des images d’archives.
– 1937 : "Lénine en octobre"
Cédant au culte de la personnalité, Mikhaïl Romm réalise une commande : un film biographique et historique, allant de l’exil en Finlande à la victoire de la révolution au IIè Congrès panrusse des Soviets…
– 1938. : "Lénine en 1918"
Récidivant en 1938, Mikhail Romm fait de Lénine l’incarnation de la justice idéale…
1991 : Good Bye, Lénine ?
2017 : Lénine est si jeune...le combat continu !
Alors que certains s’attèlent à "revivifier la mémoire de la Révolution russe", que le corps du "père de la révolution russe" est maintenu à très grands frais, les Jeunesses Communistes Léninistes de Russie dansent sur un DJ Remix d’une chanson soviétique de 1974 : "Lénine est encore si jeune...un nouvel octobre arrive"…